"Toute ma vie je m'en souviendrai" : quand la première garde d'un étudiant en médecine tourne au cauchemar
Cet été, Egora publie vos témoignages de stages marquants. Ceux qui ont joué un rôle clé sur le médecin que vous êtes devenu, ou au contraire votre pire expérience. Après Michel Cymes la semaine dernière, c'est un jeune lecteur qui nous livre le témoignage de sa première garde aux urgences.
"Une semaine après avoir passé mon ECN, je commence un FFI dans un hôpital de périphérie. J’avais effectué dans le même service des urgences mon stage post 1ere année et un stage d’externat. Tout s’était toujours extrêmement bien passé, et l’été en bord de mer s’annonçait sous les meilleurs auspices. Ce stage, c’était à mes yeux mon premier stage dans ma future spécialité, urgentiste, dans ce qui allait devenir l’hôpital que je prendrai à chaque stage, où je connaîtrai tout le monde et où j’allais prendre mes habitudes.
On me laisse deux ou trois jours de tolérance pour que je me (re)familiarise avec le logiciel et pour que je me fasse à mon nouveau poste : interne. Mais on m’alerte rapidement, je fais fonction d’interne donc aux yeux des chefs, il n’y a pas de différence entre un interne, ici depuis plusieurs mois, et moi. Nous sommes tous internes, donc 4ème jour : de garde. La seule exception se trouve dans le fait que je dois parler succinctement de chaque dossier avant de faire sortir un patient. C’était la théorie, quand ils avaient le temps, quand ils voulaient bien. Mais si jamais je ne le faisais pas alors c’était la réprimande.
Ma première nuit commence bien, puis à minuit la senior décide d’aller se coucher et me laisse seul jusqu’à 8h du matin. La consigne est donnée : si j’ai besoin, je l’appelle. Évidemment, ce qui devait arriver arriva. 4h du matin, entrée au déchocage : Femme jeune 25 ans environ, plaies multiples par arme blanche dans l’abdomen et à la prise de constante 8/5 de tension artérielle. N’écoutant que mon courage et mes connaissance limitées aux dates du calendrier vaccinal du nourrisson et à la troisième ligne de traitement de la cystite chez la femme asymptomatique allergique à la pénicilline, je décroche mon téléphone et j’appelle la cheffe. Réponse rapide à la hauteur de l’urgence : tu m’appelles vraiment pour ça ? Puis tonalité de fin de conversation. À l’aide de mes connaissances donc, et surtout surtout (j’insiste) à l’aide de mes collègues infirmiers présents, nous avons pris en charge la patiente assez bien pour qu’elle soit sauvée.
Mais la nuit de rêve continue lorsqu’arrive entre deux gaillards casqués habillés en bleu marine, un jeune homme un peu rouge pour être quelqu’un de sobre et sympathique. Sa main droite ayant visiblement traversé une vitre. La main est lacérée. Il s’était retranché dans son mobil-home après l’intervention des gendarmes pour une dispute conjugale où il avait fini par… donner des coups de couteau dans l’abdomen de sa compagne ! Me voilà enchanté de ce qui se passe dans mon service des urgences. Car c’est à ce moment-là que j’apprends quelque chose de formidable. Les gendarmes me demandent si leur cher patient avec la main lacérée sortira dans l’heure car ils ont du travail et que rester devant une porte des urgences ne fait pas partie du planning.
Afin de gagner du temps d’interrogatoire et du temps d’action pour d'autres affaires, ils placeront ce patient en garde à vue qu’une fois sorti de d’hôpital. Ainsi, ils n’ont pas besoin de mobiliser des hommes 'inutilement' devant la porte du box. Je leur demande quand même à qui incombe la responsabilité de la surveillance de l’agresseur supposé, placé actuellement dans le box traumato, en face du déchoc où se trouve la victime présumée. Réponse claire : au médecin présent dans le service au moment des faits. Au revoir Docteur (merci) et bon courage (merci). Lorsqu’on se questionne sur le sens de la responsabilité médicale de la senior de garde, je me dis que j’ai tout intérêt à ce que mon patient ne croise pas la route de la patiente.
À l’interrogatoire mon gentil monsieur se trouve être relativement 'gentil' ! Calme, il coopère sans broncher et adhère totalement à la prise en charge chirurgicale programmée au lendemain matin que je lui propose. Il souhaite rester dormir calmement dans le box en attendant le bloc, aucun souci. Je lui fais un pansement et je le laisserai tranquille. Nous discutons, et il me raconte avoir perdu pied hier soir pour une histoire d’adultère supposée et effectivement d’avoir poignardé sa compagne. Car c’est comme ça qu’ils font chez eux, on ne peut pas tolérer l’affront d’être trompé. Alors il se met à pleurer à chaudes larmes car il l’aime, je vous jure docteur (merci) que je l’aime, mais si je la recroise je la tue. Ah.
Les premières lueurs du jour arrivent et la fin de la garde avec. La seule chose qui, par un heureux hasard, ne soit pas arrivée cette nuit-là, ce sont des patient supplémentaires. Je n’ai eu qu’à me concentrer sur nos 2 amoureux et sur la fausse réassurance de leur jurer à l’un comme à l’autre que leur moitié avait été emmené dans un autre hôpital à 100km de là.
Longtemps j’ai espéré faire une erreur tellement grosse que je les aurais entraîné dans ma chute
Mon stage a duré ensuite 6 semaines, où je ne me suis jamais vraiment remis et l’équipe de senior non plus, de cette nuit. Je n’avais pas pu tolérer cette nuit et j’en avais parlé au chef de service avec qui je travaillais quotidiennement. Réponse encore une fois rapide, c’est l’avantage des urgences tout va vite : c’est de ta faute tu as un déficit de connaissances, si tu n’es pas prêt à affronter les urgences de manière autonome tu devrais te poser la question de te réorienter totalement car même en changeant de spécialité, tu seras toujours confronté à des urgences. En tout cas, je te déconseille de devenir urgentiste.
6 semaines de stage à sortir en pleurant et à craindre la moindre séniorisation car ça forge le mental, ça le forge à coup de marteau vous rabaissant presque sous la surface. S’en sont suivis 2 mois de réflexion sur la possibilité de me réorienter et à minima de changer de spécialité. J’ai choisi le DES de médecine générale, non pas à regret, mais par défaut sur un stage qui s’était très mal passé, en ayant croisé le chemin de personnes malveillantes avec une équipe entretenant ce climat de terreur et privilégiant leur sommeil à leur rôle universitaire. Longtemps j’ai espéré faire une erreur tellement grosse que je les aurais entraîné dans ma chute, quitte à devoir me réorienter, autant que eux aussi.
Aujourd’hui cette rancœur est passée, grâce ou à cause d’eux je ne serai jamais urgentiste et toute ma vie je me souviendrai de ma première garde. Enfin, je ne serai jamais urgentiste… Ça reste à prouver, car après mon semestre aux urgences d’un autre hôpital, qui s’est extrêmement bien passé, la question se repose à nouveau d’aller vers mon choix premier, le choix qui m’a toujours guidé depuis plus de 10 ans, moins 6 semaines."
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