De celle qui a failli être otage à celui qui fait "sglong" : florilège de ces patients qui vous ont le plus marqués

01/09/2023 Par Lecteurs d'Egora
Témoignage
Au cours de votre carrière, médecins, vous avez réalisé de nombreuses consultations et vécu parfois des situations exceptionnelles ou cocasses. Cet été, nous publions vos histoires : voici le dernier épisode de ces patients qui vous ont le plus marqués.
 

  Celle qui voulait se suicider par auto-suggestion Anonyme "Cette patiente que je n'ai jamais oubliée était hospitalisée dans une aile du service de neurologie du Pr Contamin, au CHU Saint-Antoine, à Paris. Nous sommes à l'hiver 1974, et j'en suis à mon troisième stage d'externe. Quoique ayant choisi ce service, la pratique de la neurologie m'ennuyait passablement, et le chef de clinique, me trouvant dépourvu du zèle qu'il avait souhaité m'inculquer, a fait en sorte de m'orienter au bout de deux mois vers les lits de psychiatrie d'une petite unité rattachée au service. Je me suis vu relégué, sans avoir trop le choix, vers cette discipline dont j'ignorais l'essentiel. Mon premier contact a changé ma vie professionnelle. Il s'agissait d'une jeune femme de 25 ans, étudiante en lettres, qui, les présentations faites, m'a déclaré tout de go : ‘j'ai voulu me suicider par auto-suggestion'. Elle avait de la conversation, mais contournait méthodiquement les points douloureux, et un traitement légèrement surdosé la fatiguait sans l'apaiser. Cette pathologie fut pour moi saisissante, me plongeant littéralement dans un monde nouveau sur le plan clinique. Et, trouvant ma voie sans l'avoir cherchée, je ne l'ai plus quittée jusqu'à la retraite."   Celle qui ne voulait pas se traiter Anonyme "C’était dans les années 90, je débutais les remplacements. J’ai été amenée à voir une jeune fille de 18 ans, métisse, magnifique, avec la vie devant elle. Elle avait été infectée par le VIH lors de sa première relation sexuelle. Elle était amoureuse, le gars avait fait de la prison. A cette époque, elle ne voulait pas se traiter, elle n’était -je crois- que séropositive. Je l’ai perdue de vue, je ne sais pas ce qu’elle est devenue. Je pense souvent à elle, à sa vie et à chaque fois, je suis émue. J’aime à croire qu’elle a changé d’avis, qu’elle s’est traitée et qu’elle est en vie. Je raconte parfois cette histoire à mes jeunes patients pour les sensibiliser et les inciter à se protéger."   Celle qui toussait Anonyme "Ma femme… Elle toussait, après ça a dérapé. C'était il y a 23 ans. Sans regret."   Celle qui se souvenait de tout, ou presque Dr Georges Fichet "C'était une vieille dame de Cayenne, à qui je rendais visite chaque semaine. Elle m'a raconté certains épisodes notables de l'histoire de la Guyane. Elle était pour moi un inestimable témoin du passé de cette région. Elle avait assisté, enfant, aux émeutes qui avaient succédé à la mort du député Jean Galmot, à la révolte en 1946 des 'Sinégalés', ces tirailleurs sénégalais que la France coloniale avait "oubliés" en Guyane depuis 1928 ! Elle aimait me raconter ces histoires et j'aimais l'écouter. Et un jour, elle m'a dit que souvent, les gens lui demandaient de raconter ces histoires car, m'a-t-elle déclaré, elle avait 'beaucoup de, beaucoup de ... Ah ! je ne me souviens pas...Comment appelle-t-on ce qu'on a dans la tête, Docteur ?", m'a-t-elle questionné, en montrant son front du doigt. 'Vous avez beaucoup de mémoire', lui ai-je suggéré. "Oui, c'est bien ça, Docteur !'"   Celui qui était misogyne Pr Françoise Lagoutte "C'était à la fin des années 1990. J'étais ophtalmologiste, professeure d'université, spécialiste de la cornée et "correspondante" dans ce domaine. Un collègue m'envoie pour avis un cas difficile, un herpès je crois me souvenir. Je conclus à la nécessité d'une greffe de cornée. Le patient me remercie chaleureusement pour mon avis et me lance : 'Mais je ne pourrais jamais me faire opérer par une femme'".     Celui qui voulait voir mon papa Anonyme "Juin 1970, 26 ans, fraîchement diplômé et inscrit au Conseil de l'Ordre après passage de ma thèse, j'effectue à Nogent-sur-Seine mon premier remplacement chez un généraliste local à la très grosse clientèle. En costume cravate, tenue pour moi inhabituelle, j'attends fébrilement à 8h du matin le premier coup de sonnette. Un homme d'une quarantaine d'années se présente : 'Bonjour, tu peux aller chercher ton papa!'"     Celle qui craignait d'être enceinte Anonyme "Par un calme après-midi d'été, quelqu'un sonne à la porte avec insistance. Inquiet, je me précipite à la porte et je trouve une dame affolée. 'Docteur, j'ai peur de faire une grossesse extra-utérine!' Cette dame, je la connaissais depuis quelques années. Elle souffre d'un retard mental. En essayant d'en savoir plus et de me faire expliquer ses inquiétudes, elle m'avoue avec pudeur qu'elle était bien avec son "Bop" - c'est ainsi qu'elle appelait son compagnon d'alors - et qu'elle lui a fait une fellation - elle ne connaissait pas ce mot mais a su me l'expliquer dans son sabir - et pas inadvertance elle a avalé! J'ai pu la rassurer en lui expliquant quelques rudiments d'anatomie et de physiologie... Elle est repartie en me disant merci : 'Mais vous êtes sûr, Docteur, que je ne risque rien?'     Celui qui a fait "sglong" Dr Jean-Jacques Billon "J'étais médecin de montagne aux Ménuires (Savoie). Il avait dans les 16 ans, une stature de rugbyman. Il s'est présenté avec son grand-père. Il avait fait une chute de ski et la radio faite en urgence montrait une luxation de hanche. Il a mal mais serre courageusement les dents. À ma grande surprise, grand-père et petit-fils me demandent de tenter la réduction au cabinet ! Il y a entre deux une connivence et une confiance qui fait plaisir à voir. Le grand-père cool, qui est pharmacien, prépare un bolus de morphine IV pendant que je 'révise' la technique de réduction de luxation de hanche que je n'ai jamais pratiquée. Le petit-fils, quant à lui, fait des exercices de respiration et essaie de se détendre au maximum. J'explique la technique au grand-père car j'ai besoin de son aide pour ce geste technique. Les patients dans la salle d'attente ont compris à mon attitude que quelque chose de particulier se préparait et le silence est total dans le cabinet. Tout est en place. Après avoir suivi scrupuleusement la technique livresque décrite, nous entendons un énorme "sglong" : La luxation de hanche est réduite! Grand-père et petit-fils me félicitent et moi je loue leur calme et leur courage. J'ai toute la peine du monde à faire comprendre au jeune rugbyman qu'il doit marcher quelque temps avec des béquilles. Durant mes 25 ans de pratique de médecin de montagne, j'ai réduit une multitude de luxations : épaules, coudes, doigts, chevilles, rotules, etc. Mais cet épisode est mon Graal!"   Celui qui fait partie de la famille Dr Pierre Frances "Il y a 13 ans, au décours de consultations que j'effectue régulièrement au sein de foyers de SDF de manière bénévole, j'ai rencontré un jeune de 21 ans quelque peu apeuré qui souffrait de phlyctènes au niveau des pieds. Il s'ouvre à moi en expliquant qu'il avait été mis à la porte du domicile familial car il était homosexuel, et que pour survivre il avait fait des petits boulots et le trottoir. Ce qui le gênait le plus était le fait qu'il soit contraint pour survivre de faire la manche. Ses parents ne voulaient plus entendre parler de lui. Malgré différents appels, sa mère m'a insulté et m'a expliqué qu'elle le reverrait que lorsqu'il serait à 30 mètres sous terre. Je me suis empressé de lui trouver une place dans une structure plus adaptée. Il est revenu une semaine plus tard à mon cabinet cette fois...

Titulaire d'un baccalauréat C avec mention bien, il m'a exprimé son souhait de poursuivre ses études. Emu, j'ai passé "un contrat" qui lui a permis avec mes deniers d'avoir une aisance matérielle pour continuer son cursus. Il est devenu professeur d'espagnol. Son activité professionnelle lui permet un épanouissement professionnel et personnel, et a permis un rapprochement avec ma famille. Il est devenu, en l'absence de ses parents biologiques (qui avaient fini par demander une déchéance parentale) mon fils adoptif. Cette expérience est une histoire de vie dont je suis très fier, car elle démontre que nous pouvons parfois être utiles en tendant la main aux autres. C'est la raison qui me pousse actuellement à poursuivre mes actions pour les jeunes qui nécessitent un coup de pouce."   Celle qui a failli être une otage célèbre Dr Gérard Agulhon "Un matin, je vois sur la liste des visites à domicile à effectuer une personne dont le nom faisait la une de l'actualité. Il s'agissait d'une otage qui venait d'être libérée. Je m'organise pour disposer de plus de temps pour pouvoir me consacrer à cette visite particulière. Je sonne à l'appartement indiqué, une jeune femme m'ouvre la porte. Je me présente et je dis que je viens pour madame X (qui était une femme d'âge mur). La jeune femme me dit : 'C'est moi'. Victime de l'homonymie, je me consacre à la patiente imprévue. Je lui parle, l'écoute et l'examine dans des conditions favorables puisque j'avais prévu plus de temps pour cette visite. Cette visite lui a plu car elle devint une patiente fidèle et comme elle travaillait dans l'édition elle m'encouragea après mon départ en retraite à écrire un livre - "Dites Docteur" - qui s'est bien vendu."   Celui qui est revenu d'entre les morts Marie PC "M. H est arrivé en réanimation car il ne pouvait plus bouger, ni respirer. Il avait une polyradiculonévrite à virus polio, contractée en buvant l'eau de son puits... Le respirateur, les techniques de réanimation ont permis à M. H de vivre. Les jours ont passé… 1 mois, 2 mois, 3 mois... Il a été opéré du thorax pour un abcès, ses artères coronaires ont été dilatées à cause d'un risque d'infarctus, il a été dialysé... Il est sorti au 364ème jour, pour aller en chambre d'hospitalisation. Il a pratiquement récupéré ses quatre membres et a poursuivi sa vie à son domicile pendant plusieurs années. Et tous les ans, en juillet, il nous apportait une boite de chaussures pleine de splendides et délicieuses tomates. Quelle joie pour toute l'équipe de l'avoir pris en charge et sorti au bout de 1 an moins 1 jour de réa!"   Celle qui n'a rien vu, rien entendu Dr Christian H. "A cette époque, il était possible de faire des Doppler au domicile des patients. Je devais faire un bilan cervico-encéphalique. J'arrive au domicile d'un couple très âgé, les deux étant très sourds. J'explique au patient la façon dont il doit se tenir et je débute l'examen, dans le désintérêt total de l'épouse. Le Doppler martèle les bruits du sang passant dans les artères, sans que cela gêne le moins du monde la femme, accoudée à la fenêtre, qui regarde passer les voitures. Soudain, plus de bruit... Je vérifie les branchements de la machine et je teste la sonde sur moi. Aucun doute, le patient est en arrêt cardiaque ! Et Madame est imperturbable à sa fenêtre... J'attrape le patient et le dépose au sol, bien à plat, démarrant un massage cardiaque et une réanimation des plus sommaires car très surpris par ce malaise dramatique. Après quelques instants d'un effort intense, le malade reprend conscience et je l'aide à se recoucher. Il reprend ses esprits... C'est à ce moment-là que Madame se retourne et me dit : 'Ben je crois bien qu'il ne fera pas bien beau demain !'"     Celui qui n'a pas vécu Vieuxdocattéré "Je suis pédiatre. Ce patient exceptionnel est malheureusement une histoire triste. Un soir, après une -trop- longue journée de consultations, je vois en dernier un nouveau-né de 15 jours avec ses deux parents. Le secrétariat avait dû se tromper dans la programmation, car je ne vois jamais de nouveau-né dans ces conditions. Un des parents était médecin. J'examine ce bébé et l'évidence est là : bon contact visuel, très bon même, mais un bébé véritablement très très mou. Décontenancé, je regarde le carnet de santé : accouchement normal, examen à la maternité normal à la naissance et normal à la sortie de maternité. Je botte en touche. Il est fort tard et j'explique aux parents que le tonus de ce bébé me semble un peu inhabituel, mais que j'ai eu une longue journée, que je me trompe peut-être, et je leur demande de bien vouloir revenir demain matin au premier rendez-vous pour revoir ce bébé. Le lendemain matin, même constat : un bébé trop mou. Je reprends l'interrogatoire et la maman me dit qu'elle avait quand même eu l'impression in utero que ce bébé ne bougeait pas beaucoup. Je ne voulais pas les inquiéter la veille, mais il faut quand même se rendre à l'évidence. Je leur explique que je les envoie immédiatement à l'hôpital pour exploration de ce tonus anormal. J'ai eu de leurs nouvelles plus tard par l'hôpital où je les ai envoyés : amyotrophie spinale infantile à révélation néonatale. Ce malheureux bébé en est décédé à l'âge de 3 mois. Je n'oublierai jamais cet enfant, au regard si pénétrant pour un bébé de 15 jours. Et ce malheureux papa, médecin, qui n'a rien vu ou rien voulu voir. Et cette malheureuse maman qui semblait se douter de quelque chose malgré tout. Ils n'ont jamais pu revenir me voir, ce que je comprends tout à fait."   Celui qui a consulté trop tard Natacha "'Docteur, je prends ma retraite, et j'ai donc décidé de faire un check-up.' Il a 72 ans, ce chef d'entreprise élégant, affable, que je vois pour la première fois. Il paraît également en très bonne forme, jusqu'à ce que je palpe un Troisier... C'est un tout autre homme que je prends au téléphone quelques heures plus tard, en larmes : le radiologue lui a annoncé qu'il était 'truffé de métastases', et qu'il devait reconsulter en urgence. Malheureusement, mes soins sont devenus rapidement palliatifs, et je lui ai régulièrement rendu visite à domicile, avec une orange fraichement pressée à ma disposition dès mon arrivée... C'est lors d'une de ces visites qu'il m'a déclaré : 'Chère Docteure, quel dommage que je ne vous ai pas connue plus tôt, vous auriez été le médecin de ma vie... Qu'à cela ne tienne, vous serez celui de ma mort!' Un grand monsieur, et la preuve, s'il en est besoin, que l'humour est une de nos meilleures armes…"     Celui qui avait… le choléra "Nous sommes dans une sous-préfecture de Haute-Saône. Un soir, un costaud gaillard d'une cinquantaine d'années m'est adressé aux urgences pour infarctus. Rien à l'ECG mais à l'examen une déshydratation aiguë du nourrisson. Un bilan biologique part et une perfusion est mise en place. En attendant les résultats biologiques, je rentre rapidement chez moi pour manger. En arrivant, je dis à mon épouse : 'J'ai un patient qui a tous les signes du choléra !' Un choléra en Haute Saône ? 'Mais d'où vient-il ?', me demande mon épouse. Je retourne aussitôt à l'hôpital : le patient, employé de la ville, revenait de vacances en famille au Portugal où sévissaient des cas de choléra non déclarés pour ne pas faire fuir les touristes. Je mets tous les contacts sous antibios. Notre homme reçoit en 24 h 35 litres de perfusion avant d'aller mieux dans une chambre, avec sas d'isolement. Au labo, dans ses selles on voit les vibrions cholériques au microscope. La DASS, prévenue, répond : 'Nous sommes vendredi soir...on verra cela lundi !' Sans prévenir, ils ont mis des fumigènes dans son logement, déclenchant la sortie de toute la caserne des pompiers avec la grande échelle pour l'HLM. Les chirurgiens se plaignent que leurs patients prévus se décommandent. Finalement, le Smur voisin vient le chercher, l'équipe étant équipée comme pour la peste. Le patient, alcoolique chronique, avait une gastrite atrophique et l'absence d'acidité avait facilité la transmission. Son épouse, qu'il n'avait vue que quelques heures, était porteuse. A la même époque, au CHU voisin, une dame en est morte sans diagnostic de son vivant. Comme quoi en médecine il ne faut pas faire d'impasse au cours des études."

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