50 professeurs de médecine signent une pétition pour l'emploi des médecins retraités : "C'est une armée de réserve"
[EXCLU] Co-fondateur du centre de santé Odon Vallet, qui n'emploie que des médecins retraités, Jérémy Renard vient de lancer une pétition sur le site de l'Assemblée nationale pour faciliter l'emploi de ces praticiens, "seule ressource disponible à court terme". 50 professeurs de médecine renommés sont également co-signataires de ce texte. Car selon eux, trop d'obstacles se dressent sur la route des médecins retraités qui souhaitent poursuivre ou reprendre une activité pour prêter main forte dans les territoires en tension. La pétition appelle à créer un statut de médecin retraité volontaire sur le modèle du VIE (volontariat international d'entreprise) afin de les exonérer de charges sociales et d'impôts sur le revenu.
Egora.fr : Pourquoi avez-vous lancé cette pétition ? Quel est l'objectif ?
Jérémy Renard : Je suis persuadé que la seule ressource disponible à court terme pour lutter contre les déserts médicaux, ce sont les médecins retraités. J'ai publié une tribune dans Les Echos, dans laquelle je l'explique en détail, chiffres à l'appui. L'autre ressource, c'est la formation. Certes, il faut agir dès aujourd'hui, mais ça va prendre 10 ou 15 ans minimum. Désormais, on accueille plus de médecins en première, deuxième années, mais on n'a pas forcément des forces de formation extensibles. Il faut du personnel pour former.
On entend aussi beaucoup parler de l'option de faire venir des médecins étrangers. Je trouve que c'est une solution qui n'est pas humainement viable. On est quand même en train de d'appauvrir des pays déjà beaucoup plus pauvres que nous, pour répondre à nos problèmes. On ne fait que déplacer le problème.
Et donc la seule ressource disponible à court terme, ce sont les médecins retraités. A partir de ce constat, nous avons créé le centre de santé Odon Vallet à Paris. Ça fonctionne plutôt bien. Nous avons 11 cabinets et nous sommes à environ 80% de taux de remplissage. Il nous manque encore 5 à 10 médecins. Mais je constate que depuis que nous communiquons sur notre centre, on a ressuscité énormément de vocations de praticiens retraités. Depuis le début de l'année, j'ai reçu des emails d'à peu près 300 médecins qui veulent continuer à servir. Ce sont des gens qui ont une mission de service public, ils veulent aider les gens. La médecine est un métier noble. Nous avons donc cette ressource disponible, pourtant nous sommes face à des obstacles pour salarier ces médecins.
Quels sont les obstacles rencontrés ?
Nous avons des médecins retraités salariés une demi à deux journées par semaine, avec des contrats à temps partiel. Le salariat est la seule solution. Les médecins retraités veulent n'avoir aucune contrainte. Ils ne veulent pas être embêtés avec des charges à payer à l'Urssaf, ouvrir une entreprise, un numéro de Siret pour être en libéral… S'ils sont déjà en libéral, ils veulent lâcher cet aspect-là. Ils ne veulent faire que soigner. Il faut donc trouver un cadre administratif facilitant. C'est ce qu'on a fait au centre Odon Vallet, mais malgré tout, ils sont salariés. C'est le droit du travail classique qui s'applique alors qu'il s'agit de médecins retraités. Donc on gère tout pour eux. On doit s'occuper du contrat de travail qui fait 25 pages, leur éditer une fiche de paie. Une fiche de paie aujourd'hui c'est 25€ par mois. Nous employons 50 médecins, même si certains ne sont là qu'une demi-journée par semaine. Cela fait beaucoup de tracas administratif très lourds par rapport au temps de travail des médecins.
Et ce qui me morfond le plus, c'est le taux de charge. Nous avons créé un centre associatif à but non lucratif, nous sommes en secteur 1, nous sommes un véritable complément de service public. Pour autant, nos médecins ont exactement le même taux de charge que n'importe quel salarié du privé, c’est-à-dire 43%.
Nos médecins perçoivent 400€ brut par jour, ce qui coûte quasiment 580€ au centre en coût total employeur parce que sur ce brut salarial, il faut rajouter les charges patronales. En net, les praticiens gagnent à peu près 320€. Puis après ils ont encore l'impôt sur le revenu. Donc ça coute 580€ au centre et in fine ils ont 200/250€ nets en poche.
"Cette armée de réserve ne va ne va faire que grandir"
Je ne critique pas les charges sociales en France, c'est un tout autre débat. Mais je m'interroge sur le fait d'appliquer ces taux de charges à des personnes qui sont une ressource extrêmement rare et indispensable pour notre pays. Si on ne se soigne pas, c'est une catastrophe sanitaire et humaine. La santé est le patrimoine le plus important de l'Homme. C'est tragique que les gens ne puissent pas se soigner. Et nous le constatons au quotidien au centre. Nous voyons des patients en ALD qui n'avaient plus de suivi pour certains depuis 12, voire 18 mois.
Si on veut vraiment répondre au problème des déserts médicaux, il faut pouvoir faire appel aux médecins retraités. Aujourd'hui, il y en a 12, 13% qui sont en cumul emploi-retraite. Je pense qu'il faudrait se fixer un objectif collectif d'atteindre 30 à 40% des médecins retraités qui retravaillent. D'autant que cette armée de réserve ne va ne va faire que grandir dans les dix prochaines années. Il me semble que rien qu'à Paris, 60% des spécialistes ont plus de 60 ans. La pyramide des âges est assez inquiétante, donc il faut à tout prix qu'on trouve un moyen de retenir nos médecins retraités.
Financièrement, rien n'est fait pour les inciter alors que certains pourraient être intéressés. Ils n'ont pas toujours tous fait fortune pendant leur carrière. Quand ils divisent par quatre leurs revenus à la retraite, ils sont contents d'avoir un petit complément s'ils continuent. Certains ne vont le faire que pour ça.
Que proposez-vous ?
En partant de ce constat-là, j'ai proposé de créer le volontariat du médecin retraité, sur le modèle du VIE ou VIA, qui s'adresse aux jeunes de 18 à 28 ans. Ça leur permet d'aller travailler à l'étranger pour des entreprises (VIE) ou des administrations françaises (VIA). Ça les aide à se développer à l'international. C'est une agence nommée Business France qui gère le contrat et tout l'administratif (assurance, mutuelle…). Il s'agit d'un contrat très simple qui ne fait que trois pages, signé entre l'entreprise et Business France.
J'ai fait plusieurs VIE étant plus jeune. A chaque fois, l'entreprise n'avait rien à faire. Elle versait une somme par mois à cette agence, qui me reversait la même chose sans prélever aucun frais. Je percevais ainsi une indemnité. Je n'avais aucune charge sociale et pas d'impôt sur le revenu.
Le but serait de le transposer à nos médecins retraités. On pourrait avoir une agence au niveau national qui gérerait ce type de contrat. Les médecins seraient en contrat avec l'agence. Cette agence pourrait être une création nouvelle ou exister via les ARS, par exemple. Les centres de santé pourraient s'inscrire auprès de l'agence pour recruter les médecins retraités. L'idée serait bien évidemment que s'ils perçoivent 400€ brut par jour, ça soit une indemnité, donc sans charges sociales ni impôt sur le revenu.
Je dis 400 euros mais ce montant pourrait être à redéfinir. Ça pourrait être 300, si c'est une indemnité non chargée. Un médecin qui travaillerait quatre jours dans le mois aurait ainsi 1200 euros mensuels pour compléter sa retraite. Ça devient intéressant pour les médecins et c'est super intéressant pour tous les centres de santé qui n'ont pas de médecin.
Tout l'aspect contractuel serait géré par l'État et n'importe qui pourrait en bénéficier à la seule condition de rester en secteur 1. L'incitation serait à la fois financière et administrative.
Etes-vous soutenu politiquement sur ce sujet ?
Nous en avons discuté avec les équipes du ministre. Ils ont trouvé le concept du centre Odon Vallet "génial". Quant au sujet du statut de médecin retraité, ils m'ont dit de revenir vers eux en octobre, novembre, au moment des discussions sur le PLFSS.
Il ne faut pas oublier que si on accorde une exonération de charges à des médecins retraités, derrière ça va générer des économies énormes parce que notre système de santé est en tension.
La sélection de la rédaction
Comptez vous fermer vos cabinets entre le 5 et le 15 janvier?
Claire FAUCHERY
Oui
Oui et il nous faut un mouvement fort, restons unis pour l'avenir de la profession, le devenir des plus jeunes qui ne s'installero... Lire plus