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"La médecine devient un produit de luxe" : un centre de santé fait appel à des PU-PH retraités pour offrir "l'excellence" en secteur 1

Alors que sept Français sur dix* rapportent avoir des difficultés à obtenir un rendez-vous chez un médecin spécialiste et que la désertification médicale s'étend sur tous le territoire national, le centre de santé parisien Odon Vallet propose de "mobiliser l'expertise des médecins PU-PH" (professeurs des universités et praticiens hospitaliers) retraités pour offrir des consultations en secteur 1 dans des spécialités médicales complexes. 

11/02/2025 Par Sandy Bonin
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"La médecine est en train de devenir un produit de luxe et nous avons voulu prendre le contre-pied de ce constat", résume Jérémy Renard, co-fondateur du centre de spécialités médicales Odon Vallet. Ce nouveau centre de santé parisien, installé dans le 13ème arrondissement, salarie des médecins spécialistes hospitaliers retraités pour offrir aux patients une expertise de second recours, sans dépassements d'honoraires. 

"Notre centre naît de l’observation d’une aberration : bien que nous manquons de médecins, de nombreux professeurs de médecine se voient contraints de prendre leur retraite, alors même qu’ils souhaitent continuer à exercer. Nous leur proposons aujourd’hui de poursuivre leurs activités entourés de leurs confrères les plus émérites, dans un environnement particulièrement propice à l’émulation des savoirs, selon leur calendrier et à leur rythme", précise Jérémy Renard.

Tout commence il y a plus de cinq ans. Le Pr Yvon Calmus est alors professeur de médecine émérite, hépato-gastroentérologue à la Pitié-Salpêtrière. "A 68 ans, on lui a dit qu'il était temps de prendre sa retraite. On lui a proposé un contrat de consultant junior. Il s'est alors trouvé sans alternative alors qu'il avait envie de continuer à exercer", retrace Jérémy Renard. "Je suis parti, mais si j'avais pu je serais resté. Je ne sais faire que ça. On fait ce travail pour être utile. C'est ballot de se dire qu'à partir d'un certain âge, on va faire de la pêche à la ligne", commente le Pr Calmus.  

 

"Une perte de matière grise"

Avec le Dr Dipak Mandjee, gynécologue-obstétricien et président d'un organisme de formation médicale, les trois hommes entament "un parcours du combattant" pour faire naître un centre de santé salariant des médecins hospitaliers retraités. "Nous avons fait le constat que beaucoup de PU-PH partent à la retraite décontenancés et sans projet précis. C'est une perte de matière grise, alors que l'on nous parle sans cesse de déserts médicaux", estime le Pr Calmus. 

Le praticien réalise une enquête auprès d'une centaine de confrères proches du départ à la retraite. Et le bilan est sans appel : 80% des praticiens souhaitaient poursuivre une activité, mais "pas à temps plein, ni à l'hôpital public qui est devenu une usine à gaz infréquentable", rapporte l'hépato-gastroentérologue. 

L'idée germe alors dans la tête des trois hommes, mais ils y ajoutent une précision. "Notre première préoccupation était d'ouvrir un centre en secteur 1. C'était un peu notre ADN. Nous ne voulions pas faire du fric mais ouvrir un centre pour le public et compenser le manque de spécialistes en faisant travailler la matière grise", rembobine Yvon Calmus. "En 2020, nous avions 80 médecins prêts à démarrer. Nous cherchions juste des locaux", se souvient Jérémy Renard.

Avec Dipak Mandjee et Yvon Calmus, ils partent donc "à la chasse aux sous" pour lancer leur projet. "En cinq ans, on s'est pris tellement de portes que l'on a failli abandonner", raconte Jérémy Renard. Problème : leur concept ne rentre dans "aucune case". "Nous voulions lancer un centre de santé en secteur 1, mais nous n'avions que des PU-PH. Or, les médecins généralistes sont les pivots des centres de santé."

Pendant deux ans, les discussions avec la mairie de Paris, la région Ile-de-France et l'ARS piétinent à cause du Covid. "Finalement, nous avons tout fait par nous-mêmes", résume l'entrepreneur. Les trois hommes finissent toutefois par obtenir des subventions pour financer leur initiative. La région Ile-de-France leur offre 100 000 euros et la ville de Paris 180 000 euros. C'est finalement Odon Vallet qui sera leur principal donateur…

 

600 000 euros

Historien des religions, Odon Vallet "à l'étiquette de l'homme le plus généreux de France", explique Jérémy Renard. En effet, il hérite en 1989, avec son frère, d'une fortune estimée à 78 millions d'euros. "Ils ont estimé qu'ils n'avaient pas besoin de cet argent et ils ont créé la Fondation Vallet dans laquelle ils ont reversé l'intégralité de leur héritage pour créer des bourses d'études au mérite", retrace Jérémy Renard. Odon Vallet croise alors la route de Dipak Mandjee, Yvon Calmus et Jérémy Renard, "un peu par hasard". "Il a tout de suite adhéré à notre projet. Notre devise qui est l'excellence au service de la solidarité, lui a parlé." Le philanthrope offre alors 600 000 euros pour la création du centre. "C'est grâce à lui que notre projet a pu voir le jour, nous avons donc proposé de donner son nom à notre centre de santé."  

Le centre de spécialités médicales Odon Vallet a donc ouvert ses portes le 7 janvier dans des locaux temporaires, au 19 rue Ponscarme dans le 13ème arrondissement de Paris. Des travaux sont encore en cours dans les locaux définitifs situés 15 boulevard Général-Jean-Simon, également dans le 13ème arrondissement. L'inauguration est prévue au printemps. 

"Pour l'instant, nous louons trois box dans un centre de santé partenaire. Il fallait que l'on ouvre, on ne pouvait plus attendre. Nous avions 80 médecins prêts il y a cinq ans, nous en avons perdu pas mal en route. 15 professeurs ont déjà signé. Nous en devrions en avoir 40 en mai et notre objectif est d'en avoir 70 à 80", planifie Jérémy Renard. 

 

"Concentré de savoirs unique"

"Moi, je suis le sergent recruteur, je cherche dans tous les CHU où l'accès à Paris est facile. Je ne recherche pas que des PU mais aussi des PH", plaisante le Pr Calmus. Au centre Odon Vallet, les médecins sont salariés sur une base fixe par demi-journée. "Les contrats sont faits sur mesure pour leur offrir un maximum de liberté. Notre formule est adaptable selon leurs souhaits", promeut Jérémy Renard, qui se réjouit de voir les professeurs déjà en poste se retrouver autour de la machine à café. "Ils sont contents de retrouver une seconde vie active et pour les patients, c'est un concentré unique de savoirs sur un seul lieu", se félicite-t-il. 

"J'ai commencé mi-janvier et je suis ravi. L'ambiance est très agréable, nous nous connaissons tous depuis très longtemps, j'étais camarade de P1 de Dipak Mandjee", commente le Pr Fédéric Lioté, professeur de médecine émérite en rhumatologie et membre du comité de pilotage. "Mon cerveau fonctionne toujours, et mon épouse n'est pas encore à la retraite. Je pense qu'avec 35 ans d'expérience, j'apporte une certaine expertise dans mon domaine. C'est un projet très intéressant et altruiste", ajoute-t-il. 

Le centre de spécialités médicales est orienté sur le second recours. Une lettre d'adressage est nécessaire, dans la majorité des cas, pour prendre rendez-vous. "On prend le temps pour les patients. Je passe en moyenne 30 minutes par consultation. Le temps de l'interrogatoire est essentiel", décrit le Pr Lioté, qui aimerait que le centre puisse accueillir des internes en médecine générale. "J'ai toujours aimé enseigner et transmettre", explique-t-il. 

Des généralistes font également partie du projet. "C'était un prérequis de l'ARS pour ouvrir un centre de santé", précise le Pr Calmus. Pour autant, les médecins libéraux ne sont pas particulièrement recherchés. Si certains sont intéressés par le projet, leurs compétences particulières seront analysées, pointe l'hépato-gastroentérologue.

 

Codification spécifique

Pour l'heure, les spécialités les plus demandées sont la dermatologie, la gastro-entérologie, la rhumatologie, la diabétologie et la cardiologie. "Nous donnons des avis ponctuels. Le plus souvent, deux consultations sont nécessaires puis nous renvoyons les patients vers leur médecin", souligne le Pr Calmus avant de poursuivre. "Nous avons un réseau à l'hôpital qui est utile si une intervention est nécessaire."

Les créateurs du centre ont conscience du risque financier lié à l'ouverture d'un centre en secteur 1. "Nous sommes à contre-pied de tout ce qui se fait en ce moment alors que six centres de santé de La Croix Rouge et deux de la CPAM ont fermé leurs portes", admet Jérémy Renard. "Mais la médecine coûte de plus en plus cher, et aujourd'hui seules les personnes les plus aisées peuvent continuer à suivre. Ce qui nous permet d'être en secteur 1, c'est que les praticiens étant pour la plupart professeurs de médecine, ils ont une codification spécifique : l'APU. Une consultation de médecine spécialisée est normalement facturée 32,50 euros, sachant qu'elle dure 30 minutes, c'est impossible de vivre, sachant qu'il faut payer les loyers et toutes les charges" ajoute Jérémy Renard.

Avec l'APU, l'acte est donc valorisé 72 euros, mais il n'est possible de le coter qu'une fois par patient tous les quatre mois. "Alors que la CPAM fait de plus en plus de contrôles, nous verrons si elle nous laisse faire. Cela reste le mystère", conclu Jérémy Renard.

 

*Selon un sondage Odoxa – Mutualité Française, 77% des Français rapportent des difficultés à obtenir un rendez-vous chez un spécialiste 

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Nathalie Hanseler Corréard

Nathalie Hanseler Corréard

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Retraitée depuis la Covid. Mon vécu : ayant fait des semaines de 70H (5,5 J/sem) près de BX avec 4 gardes par an, puis déménagé à ... Lire plus

Photo de profil de Philippe Pizzuti
883 points
Débatteur Renommé
Médecins (CNOM)
il y a 1 mois
Ce centre aurait dû s'appeler "robin des bois" ....outre le ton moralisateur du médecin à l'origine de ce projet, à la limite de la déontologie quand il parle de "faire du fric" ....je retiens qu'il n
Photo de profil de Georges Fichet
5,6 k points
Débatteur Passionné
Médecins (CNOM)
il y a 1 mois
Pourquoi n'offre-t-on pas aides à l'installation de médecins généralistes dont on sait qu'ils sont en train de disparaître de la capitale, le tarit-f de la consultation en secteur 1 ne permettant plus
Photo de profil de Francois-Marie Trinques
20 points
Médecine générale
il y a 1 mois
Tout est dit dans la conclusion : à 30€ la passe, ça ne marche pas!! surtout en région parisienne!!
 
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