
"Le passage obligé par le généraliste est un handicap" : l'Académie de médecine veut élargir l'accès direct aux spécialistes
Dans un rapport publié mercredi 2 juillet, l'Académie de médecine préconise d'ouvrir plus largement l'accès direct à certaines spécialités médicales, telles la dermatologie, la rhumatologie ou l'urologie. Une mesure qui permettrait à la fois de réduire les délais de rendez-vous et de réaliser des économies. Le rôle de coordination du médecin traitant doit cependant être maintenu, selon les Académiciens.

C'est d'abord un constat alarmant que dresse l'Académie de médecine, dans ce rapport, voté en séance le 24 juin. Les médecins spécialistes, autres que généralistes, sont de plus en plus difficilement accessibles dans l'Hexagone, et en particulier dans certains départements. Ce qui est vécu "très négativement" par les Français. 35% des patients renoncent ainsi à des demandes de soins spécialisés du fait de ces difficultés d'accès. "Les ruraux consomment 20% de soins hospitaliers en moins que les citadins, et la différence est même de 40% pour les dialyses et chimiothérapies", relève l'Académie, jugeant ces inégalités "inacceptables".
Le nombre et la densité des médecins et chirurgiens spécialistes augmente pourtant "pratiquement chaque année depuis 1990" en France, notent les Académiciens, mais cette hausse "se fait exclusivement au profit des effectifs des médecins hospitaliers et à exercice mixte", quand l'exercice libéral, lui, bat dangereusement de l'aile. Aussi, l'Académie de médecine observe une diminution de l'offre de soins spécialisés du fait d'une modification du rapport au travail et d'une "hyperspécialisation"* entraînant une diminution des spécialistes de premier recours.
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Ainsi, "l'enjeu réel est celui de l'accès aux médecins spécialistes plus que celui de leur nombre", insistent les auteurs du rapport, précisant que "les inégalités de répartition sont très influencées par la présence ou non d'un CHU".
"En termes de densité, la situation des spécialistes libéraux est très contrastée", poursuivent les Académiciens, selon qui certaines spécialités sont particulièrement à la peine : la dermatologie, la rhumatologie, la gynécologie médicale, l'ORL, l'ophtalmologie, la psychiatrie, et la gastro-entérologie. "Ces difficultés d'accès conduisent à des délais de consultation pouvant atteindre plusieurs mois, rendant illusoire la pratique et le développement d'une politique de prévention", déplorent les auteurs du rapport.
En outre, cette pénurie en médecins spécialistes "a un effet délétère sur les installations de médecins généralistes", pointe l'Académie. Or "l'impact du déficit en médecins des autres spécialités dans la fidélisation des jeunes généralistes à un territoire donné n'est [aujourd'hui] pas considéré".
Face à cette situation, l'Académie de médecine prône "un nouveau regard" sur l'évolution des besoins dans les diverses spécialités médicales, le nombre et les conditions de répartition des professionnels sur le terrain. Cette vision "doit s'inscrire dans le long terme" et tenir compte à la fois "de l'évolution de la démographie médicale et de la démographie du pays" mais aussi "de la nécessité de pallier les difficultés d'accès actuellement constatées et ressenties par les patients", avance l'instance.
Le retour de l'internat régionalisé ?
L'Académie a d'abord tâché d'apporter une réflexion sur la planification des besoins de formation. Soulignant que "la pénurie en spécialistes médicaux et chirurgicaux est très hétérogène d'un territoire à l'autre et d'une spécialité à l'autre", l'instance défend la création d'un zonage pour toutes les spécialités, tel qu'il existe en médecine générale. Elle plaide pour un renforcement de la place des organisations régionales (URPS, conseils départementaux de l'Ordre…), ce qui permettrait "une évaluation plus précise des enjeux démographiques avec l'objectif d'évoluer de l'actuelle planification à une véritable prospective".
L'Académie défend par ailleurs la mise en place d'"une approche spécifique aux territoires" ainsi que d'une "approche 'parcours de soins'", toujours avec l'appui de ces organisations.
Dans cette logique, l'instance appelle à aller vers "une universitarisation des territoires". "Les modifications apportées ces dernières années aux études de médecine n'ont pas été précédées par une réflexion quant aux attendus des médecins de demain, regrette-t-elle. Elles ont été fondées sur les évolutions de la science et non sur l'évolution des besoins de santé." L'enjeu, pour l'Académie, est de "fidéliser" les étudiants "dans la région dont ils sont issus, en permettant par exemple aux carabins de signer un contrat CESP dès la 2e année de médecine (contre la 4e année actuellement), ou en délocalisant des enseignements dans les centres hospitaliers généraux.
Les Sages jugent par ailleurs "pertinent" d'ouvrir des antennes universitaires, avec des enseignants associés à temps partiel, plutôt que de nouveaux CHU.
Observant que "les jeunes médecins s'installent dans 74% des cas dans leur région de formation, notamment celle au sein de laquelle est réalisée l'internat", l'Académie de médecine défend le rétablissement d'un internat régional, comme c'était le cas jusqu'à la réforme de 2004 qui vu naître les Épreuves classantes nationales (ECN). Cette régionalisation s'appliquerait "aux conditions d'inscription aux épreuves de fin de 2e cycle et d'affectation des internes dans une inter-région" ; le classement, lui, resterait national.
Concrètement, "l'étudiant classé en rang utile pour accéder à la spécialité de son choix dans l'inter-région de son inscription effectuerait son choix au sein de celle-ci", précise l'Académie. Si son rang de classement est "insuffisant" pour accéder à la spécialité ou à la subdivision de son choix dans son inter-région d'inscription, "ses possibilités de choix seraient ouvertes à l'ensemble des subdivisions", peut-on lire. Elle suggère, en outre, de mieux préparer les étudiants à l'exercice libéral, par le biais de stages adaptés ou en permettant aux futurs spécialistes médicaux ou chirurgicaux d'exercer en tant que docteur junior hors les CHU et en ambulatoire.
Post-internat, l'Académie de médecine milite pour la création d'un assistanat territorial. Statut qui "doit être proposé à l'ensemble des spécialités médicales", et qui permettrait chaque année de déployer "plusieurs milliers" de jeunes diplômés dans les territoires.
Un accès direct "plus large"
Dans un second volet dédié à l'organisation des soins et aux évolutions à apporter, l'Académie de médecine défend un assouplissement des conditions de recours aux médecins spécialistes. Elle juge en effet que les difficultés d'accès aux médecins spécialistes sont "accentuées" par le passage obligatoire par un médecin traitant pour avoir un rendez-vous chez un spécialiste, "alors que 17% des Français n'ont pas de médecin traitant". "Le passage obligé par les médecins généralistes […] est un handicap particulièrement pénalisant en pédiatrie et en psychiatrie", estime l'instance.
A ce jour, seules quatre spécialités bénéficient d'un accès direct : la gynécologie, l'ophtalmologie, la psychiatrie et neuropsychiatrie pour les 16-25 ans, et la stomatologie pour les soins courants hors chirurgie lourde. Or, pour les Académiciens, "il faut faciliter l'accès des patients aux spécialistes, actuellement par l'intermédiaire de leur médecin traitant, à travers une information accessible et adaptée aux besoins locaux et une ouverture plus large à un accès direct à certains spécialistes de premier recours", comme les dermatologues, rhumatologues, urologues, etc., proposent-ils.
"Au-delà, les diverses spécialités devraient définir une liste de cadres nosologiques pour lesquels un accès direct, et donc accéléré, aux spécialistes médicaux ou chirurgicaux, devrait être rendu possible", appuient-ils.
Au-delà d'améliorer les délais et la qualité de prise en charge, cette plus large ouverture de l'accès direct permettrait "une économie en examens complémentaires", dans la mesure où les spécialistes de premier recours (hors MG) réalisent eux-mêmes les premiers examens, comme les échographies, et prescrivent les examens plus spécialisés, de type IRM, TEP…
Le médecin traitant, "pas nécessairement un spécialiste de médecine générale"
Cela ne signifie pas la mort du statut de médecin traitant, se défend l'Académie, qui note, dans son rapport, que, "de façon idéale", "la place du médecin traitant, qui n'est pas nécessairement un spécialiste de médecine générale, doit être conservée et son rôle de coordination maintenu dans cette situation de recours direct au spécialiste de premier recours, si celui-ci n'est pas le médecin traitant". Ce rôle est même indispensable pour lutter contre le "nomadisme médical", poursuit l'institution, qui constate une tendance à la "quête" d'avis multiples pour un même problème chez les patients, ce qui peut être source de "dépenses et de iatrogénie".
Une concertation pluridisciplinaire organisée par le médecin traitant
Ce n'est pas tout : "Il faudrait concevoir, surtout s'il y a plusieurs intervenants, que le médecin traitant puisse organiser et coordonner une concertation pluridisciplinaire pour donner toute sa valeur à la notion de coordination des différents professionnels de santé et que les décisions soient alors vraiment collégiales", juge l'Académie de médecine, qui évoque la possibilité de création d'une nouvelle lettre clé à la nomenclature des actes pour la rémunération des participants à cette concertation. "Le coût induit en serait sûrement compensé par l'amélioration de la pertinence des soins", avance l'instance, notant qu'actuellement "30% des actes seraient non pertinents".
S'agissant de la rémunération des médecins, l'Académie de médecine émet d'autres recommandations. Elle appelle d'abord à envisager la "question spécifique" de la rémunération des spécialistes sans gestion technique associé, "dans la mesure où elle influence considérablement les choix de spécialité des futurs médecins, au préjudice de la démographie des spécialités les moins rémunératrices". Doit aussi être mis sur le devant de la scène, le sujet de l'actualisation de la rémunération de certains actes, ajoute-t-elle. "A titre d'exemple, le tarif d'une prothèse totale de la hanche n'a pas évolué significativement au cours des 50 dernières années."
Alors que les dépassements d'honoraires sont dans le viseur du Gouvernement, l'Académie juge que "l'attractivité du secteur 2 pour les spécialistes médicaux et chirurgicaux, qui complique l'accès aux soins dans certains territoires, serait sans doute moindre si les honoraires étaient revalorisés".
*Le nombre de spécialités a été augmenté alors de 30 à 44 avec la mise en place de la réforme du 3e cycle des études médicales mise en place en 2017.
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