Innovations

Diabète de type 2 : le boom thérapeutique va-t-il trop loin ?

Insulines hebdomadaires, antidiabétiques toujours plus puissants… Présentés en juin à la 85ème session scientifique de l’American diabetes association (ADA), de nouveaux résultats confirment le boom thérapeutique de la diabétologie, où la concurrence se durcit entre les (nombreux) futurs médicaments. Au risque d’un trop-plein ? Le Pr Bruno Guerci*, chef du service d’endocrinologie, diabétologie et nutrition du CHRU de Nancy, fait le point pour Egora. 

28/07/2025 Par Romain Loury
Interview ADA 2025 Diabétologie
Innovations

Egora : Lors du congrès de l’ADA, l’insuline efsitora, d’administration hebdomadaire, a fait l’objet de nouveaux résultats favorables de phase 3. Avant elle, l’insuline icodec a été autorisée dans l’UE en mai 2024, mais n’est pas encore disponible en France. Où en est-on ? Que peut-on attendre des insulines hebdomadaires pour les patients atteints d’un diabète de type 2 ?

Pr Bruno Guerci* : Les études Qwint présentées au congrès visaient à démontrer la non-infériorité de l’insuline efsitora par rapport aux insulines quotidiennes en bolus, en termes de contrôle glycémique. Cette non-infériorité a été démontrée chez des patients naïfs d'insuline, lors de l’étude Qwint-1. Elle l’a aussi été, lors de l’essai Qwint-3, chez des patients qui étaient déjà sous insuline basale, ayant switché vers l’insuline efsitora. Dans Qwint-4, il s’agissait de patients sous schéma basal-bolus : ces patients ont remplacé leur insuline basale par l’hebdomadaire, tout en gardant leurs deux à trois injections quotidiennes d’insuline rapide.

Lors de l’étude Qwint-1, il y avait moins d’épisodes d’hypoglycémie que dans le groupe contrôle, probablement en raison d’une titration peu agressive, mais aussi plus simple dans une optique d’utilisation en pratique clinique. Car dans l’ensemble des études cliniques, le risque hypoglycémique était plus souvent supérieur avec l’insuline hebdomadaire par rapport à une insuline basale quotidienne, de manière statistiquement significative ou non. Toutefois, l’impact clinique semble limité : cette augmentation des hypoglycémies concerne plutôt celles de niveau 1 (entre 0,54 et 0,70 g/L). Il n’y avait, en revanche, pas de différence quant à celles de niveau 2 (en-dessous de 0,54 g/L) et de niveau 3, celui des hypoglycémies sévères qui requièrent l’aide d’une tierce personne.

Quel est l’avantage des insulines hebdomadaires, par rapport aux quotidiennes, pour les patients atteints d’un diabète de type 2 ?

Selon moi, les insulines hebdomadaires sont particulièrement d’intérêt chez les patients naïfs d’insuline, ceux qu’il faut convaincre de passer à un traitement injectable. Ce schéma peut faciliter l’acceptation des contraintes liées au traitement. Chez les patients déjà sous insuline, il pourrait peut-être y avoir une petite barrière psychologique. Quand on a l’habitude de recourir à 20 unités quotidiennes d’insuline glargine, on peut redouter de passer à 140 unités d’insuline hebdomadaire. Cela peut faire un peu peur, notamment au moment du switch et de la titration.

Des doutes demeurent en revanche quant à l’intérêt des insulines hebdomadaires chez les patients sous schéma basal-bolus, chez qui le passage à une insuline lente hebdomadaire diminuera peu le nombre total d’injections.

Moi-même je ne suis pas totalement convaincu. Rappelons toutefois que, selon les données de l’étude française Entred 3, seuls 4 à 5% des patients atteints d’un diabète de type 2 sont sous schéma basal-bolus, contre 17% à 18% de patients sous insuline basale seule.

Pour les patients en basal-bolus, l’insuline hebdomadaire pourrait toutefois avoir un intérêt dans l’avenir grâce à l'insuline rapide inhalée, qui a fait l’objet de résultats favorables lors du congrès, avec de nouvelles formulations plus faciles à utiliser, un dispositif de taille plus réduite. Chez ces patients, il pourrait donc y avoir du sens à utiliser une insuline basale hebdomadaire, avec des bouffées d’insuline inhalées au moment des repas.

Le traitement hebdomadaire rend indéniablement service, mais certains patients disent préférer un traitement quotidien

Du côté des agonistes du récepteur du GLP1 (arGLP1), plusieurs résultats ont été présentés en vue de médicaments oraux et quotidiens, au lieu de ceux hebdomadaires et injectables, actuellement disponibles. La tendance est donc inverse de celle observée pour l’insuline. Comment l’expliquer ?

Le traitement hebdomadaire rend indéniablement service, mais certains patients disent préférer un traitement quotidien, afin d’être sûrs de ne pas l’oublier. Par ailleurs, l’usage du comprimé permet d’envisager des traitements deux-en-un, comme en lipidologie et le traitement de l’hypertension artérielle. Disposer de comprimés qui associeraient un arGLP1 et un iSGLT2, les deux classes d’antidiabétiques protectrices d’organes [liées à de moindres risques cardiovasculaire et rénal, NDLR], serait un atout en termes d’observance. Un autre intérêt du traitement quotidien oral est la suppression des freins psychologiques face à un traitement injectable, pour les nombreux patients ayant une phobie de l’aiguille.

Parmi les nouveaux arGLP1 oraux présentés au congrès, citons une nouvelle formulation du sémaglutide, mais aussi un premier médicament non peptidique, l’orforglipron. Au-delà du schéma quotidien, quel est l’intérêt de ces nouveaux médicaments ?

Comme il s’agit d’un peptide, la biodisponibilité du sémaglutide, même sous forme orale, demeure soumise au respect de certaines conditions liées aux prises alimentaires. Ce n’est pas le cas de l’orforglipron, de nature non peptidique, donc non dégradé au niveau gastrique. Selon une présentation faite au congrès, 23 arGLP1 non peptidiques seraient en cours de développement, dont trois sont en phase 3.

Ces nouveaux médicaments s’orientent vers la médecine de précision. Selon les molécules, on cible spécifiquement certaines voies de signalisation, après activation du récepteur du GLP1. C’est ce qu’on appelle des "agonistes biaisés", dont l’action dépend du site du récepteur avec lequel ils interagissent.

Certaines de ces molécules non peptidiques stimulent préférentiellement la cellule bêta-pancréatique (pour une insulinosécrétion optimale), alors que d’autres visent des effets extrapancréatiques, par exemple au niveau neurocognitif [comme la sensation de satiété, NDLR]. Cela pourrait aussi conduire à un moindre taux d’effets indésirables, notamment gastrointestinaux, une cause majeure d’arrêt des arGLP1.

Actuellement, on estime que 15% à 20% des patients ne répondent pas aux arGLP1. A l’inverse, d’autres répondent remarquablement bien, mais parfois au prix d’importants effets secondaires. Certains patients, très intolérants aux arGLP1 injectables, pourraient donc ne pas l’être à des molécules orales non peptidiques.

Lors du congrès, les résultats de nouvelles associations médicamenteuses ont été présentées. En particulier le CagriSema, qui associe le sémaglutide et un analogue de l’amyline, le cagrilintide. Ou encore le MariTide (maridebart cafraglutide), agoniste du récepteur du GLP-1 et antagoniste du récepteur du GIP. Leur efficacité s’avère très importante sur l’hémoglobine glyquée et la perte de poids, mais avec de nombreux effets gastrointestinaux. Quelle est, selon vous, la place qui pourrait revenir à des traitements toujours plus puissants ?

D’un point de vue scientifique, il est peu probable que toutes les molécules actuellement en cours de développement atteignent le stade d’une utilisation clinique à large échelle -notamment en France, où les enjeux économiques liés aux dépenses de santé demeurent déterminants dans les choix publics. La concurrence est vive, les avancées sont stimulantes, et il est passionnant d’observer cette émulation scientifique, de comparer les résultats. Mais en vue d’une mise sur le marché, ces traitements doivent justifier d’une pertinence médico-économique. Une prise en charge financière par l’assurance maladie de tous ces traitements médicamenteux de l’obésité, associée ou non à un diabète de type 2, semble illusoire.

De plus, certains de ces médicaments très puissants posent la question du risque de carence nutritionnelle, voire de dénutrition, en raison de la perte de masse maigre, donc de muscles, comme dans tout processus d'amaigrissement. Ces considérations nutritionnelles sont hélas peu prises en compte lors des études portant sur ces nouveaux médicaments. C’est pourtant ce qui est requis par la Haute Autorité de santé (HAS) pour le suivi des patients ayant bénéficié d’une chirurgie bariatrique ou métabolique pour le traitement de l’obésité et/ou du diabète.

Face à des pertes de poids si importantes sur un court laps de temps, avec jusqu’à 30% de réduction pondérale pour certains patients traités par CagriSema, il est inévitable que 25% à 30% de cette perte de poids soit de la masse maigre. Sa préservation constitue d’ailleurs un nouvel objectif des traitements de l’obésité, car si elle n’est pas maintenue par un renforcement musculaire, le rebond pondéral souvent observé se fera au profit d’une nouvelle augmentation de la masse grasse.

Or, dès que le patient arrête son traitement anti-obésité, il reprend du poids, l’ensemble des études le démontre. Cela pose la question, pour les patients ayant atteint leur objectif pondéral, de maintenir une dose pharmacologique d’entretien à une posologie plus faible. En l’absence d’évaluation, nous ne disposons d’aucune information à ce sujet. C’est une question cruciale, qui pourra être tranchée par les données en vie réelle.

Face à l’afflux de nouveaux traitements, quels sont les enjeux de la diabétologie de ces prochaines années ?

Lors de la cérémonie d’ouverture, un intervenant a appelé à "réduire l’écart entre la science et l’expérience du patient". Selon moi, c’est crucial. L’évolution, au niveau scientifique mais aussi des pratiques, est tellement rapide que certains professionnels de santé n’auront pas le temps de tout assimiler. Il y a donc le risque d’un fossé croissant entre la science et les soins. Pour empêcher cela, il faut déterminer quels résultats seront les plus utiles, quels soins seront les plus adaptés au patient, dans une médecine toujours plus personnalisée.

*Le Pr Guerci déclare avoir des liens d’intérêt avec : Novo Nordisk, Eli Lilly, Johnson & Johnson, AstraZeneca, Boehringer Ingelheim, Bristol-Myers Squibb, Bayer, Sanofi Aventis, GlaxoSmithKline, Novartis, Janssen, Intarcia, Metacure, Insulet, Pfizer, MSD, Roche Diagnostic, Medtronic, Menarini Diagnostic, Ypsomed, Abbott, Dexcom, Lifescan, Vitalaire, Dinno Santé, Ork’yn, Asten, ISIS diabète, CEMKA, SANOIA, SEMEIA.

Références :

Entretien avec le Pr Bruno Guerci, chef du service d’endocrinologie, diabétologie et nutrition du CHRU de Nancy, à l’occasion de la 85ème session scientifique de l’American diabetes association (ADA, Chicago, 20-23 juin). 

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Claire FAUCHERY

Claire FAUCHERY

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275 points
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il y a 4 mois
Très intéressant. Je réagis au dernier paragraphe La chirurgie Bariatique a outrance et finalement comme cela est dit le % de reprise de poids est important et en masse graisseuse s'il ne font pas de sport. Que ce soit les enfants obèses qui sont tjs sur écran et ne font pas de sport ou les adultes qui se nourrissent mal...la société va mal !
 
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