Le fiasco des ECNi 2017, tout le monde s’en souvient. A cause de problèmes techniques et parce que des sujets proposés étaient déjà tombés, une promotion entière de sixième année avait été contrainte de repasser son concours, non sans protestations et angoisse, criant à une rupture d’égalité des chances. Se considérant comme une “promo fiasco”, les carabins étaient descendus dans la rue, poussant les ministères de l’Enseignement supérieur et de la Santé à se pencher sur l’intérêt et le fonctionnement des ECNi. Un an de concertations plus tard, les ministres Frédérique Vidal et Agnès Buzyn annonçaient leur suppression et en profitaient pour présenter les bases d’une réforme du deuxième cycle des études médecine (R2C), complètement modifié.
Car désormais, terminé le bachotage sans intérêt. La R2C se basera sur une épreuve de connaissances, au tout début de la sixième année, une épreuve de compétences pratiques, à la fin de l’année, et prendra en compte le parcours global de l’étudiant. Le choix de la spécialité, lui, se fera via un “matching”. “On sort de tout ce qu’on avait pu connaître”, explique Jeanne Dupont-Deguine, vice-présidente chargée des études médicales à l’Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf). “Le principal changement, c’est qu’on sort du ‘tout connaissances’, du classement unique. Ce même classement qui ne permettait pas de distinguer des étudiants. Par exemple, quelqu’un qui avait bien répondu à des questions de chirurgie, n’avait pas plus de chance d’avoir cette spécialité au final. A l’inverse, des personnes qui ont tout faux à des questions de neurologie, rien ne les empêchera de devenir neurologues", illustre-t-elle.
Nouvelles modalités d’évaluation : un triptyque “connaissances, compétences, parcours”
Le nouveau modèle de la réforme se veut plus équilibré, en différenciant les connaissances théoriques, les compétences cliniques et en incluant dans le classement définitif des carabins à la fin de la sixième année, des éléments de son parcours. Les connaissances théoriques, aussi appelées “connaissances contextualisées”, seront évaluées en septembre, les connaissances cliniques, seront, elles, évaluées en juin, au cours de mises en situation spécifique.
- Epreuve de connaissances théoriques ou de “connaissances contextualisées”
Les épreuves de connaissances contextualisées constituent les examens dématérialisés nationaux (EDN), et remplaceront le modèle actuel des ECNi. Ils se dérouleront sur deux jours désormais, contre deux jours et demi pour les ECNi, et représenteront 60% de la note classant l’étudiant pour le choix de sa spécialité.
Question programme, il a été réduit et...
hiérarchisé en trois types de connaissances : rang A, rang B, rang C. Les connaissances de rang A correspondent à toutes celles jugées nécessaires à tout médecin, quelle que soit sa spécialité (définition, prise en charge d’une urgence…). Les carabins devront absolument avoir une note minimale de 14/20 au rang A pour valider leur classement. Les connaissances de rang B concernent, elles, des éléments plus spécialisés, utiles à un interne. “Attention, on ne parle pas de connaissances de sur-spécialité, prévient Jeanne Dupont-Deguine. Cela concerne uniquement les éléments utiles aux internes pour leur début de semestre.” Nouveauté : les notes des connaissances de rang B vont être pondérées afin de proposer non plus un classement unique comme aux ECNi, mais 44 classements différents en fonction des spécialités. “Aujourd’hui, toutes les questions valent la même chose. Mais dans cette nouvelle configuration, une question en cardiologie comptera par exemple x2 pour le classement de cardiologie. On introduit une distinction entre les questions”, explique-t-elle encore.
Enfin, les connaissances de rang C, correspondant aux éléments de sur-spécialité (le suivi du patient diabétique, par exemple) ont été retirées des EDN. “On considère que l’interne aura tout le temps de les apprendre au cours de son troisième cycle”, estime l’élue de l’Anemf. Le programme a donc été allégé, afin que les carabins puissent mieux se concentrer sur la prise en charge des patients.
Les modalités d’évaluation, aussi appelées modalités docimologiques, ont été intégralement revues : il n’y aura plus seulement des QCM et des épreuves de dossiers progressifs, mais également des vignettes cliniques réalistes, des menus déroulants, des concordances de script, des "key-features problems" consistant en une série de 2-3 questions sur des points clés du programme posant souvent des difficultés aux étudiants… Les questions des dossiers progressifs seront réduites de moitié (7 contre 15 aujourd'hui) pour ne pas tomber sur des questions de sur-spécialité et “éviter de perdre le côté ‘prise en charge plausible’” mais aussi pour pouvoir brasser plus de spécialités et ainsi avoir une “meilleure vue d’ensemble du programme”, selon Jeanne Dupont-Deguine.
Dans ce fonctionnement, 367 items ont été retenus. C’est plus qu’actuellement (362). Les nouveaux items toucheront principalement à la discrimination, au numérique en santé, l’éthique en santé… Autant de domaines qui seront évalués dans les Examens cliniques objectifs et structurés, la partie pratique des examens.
- Évaluation des compétences cliniques : création des Examens cliniques objectifs et structurés
Les Examens cliniques objectifs et structurés (Ecos) constituent la grande nouveauté de la R2C. Ils comptent à hauteur de 30% dans la note déterminant le classement des étudiants avant le choix de spécialité.
Concrètement, il s’agit de mises en situation pratique des étudiants sur 11 compétences attendues au cours de l’apprentissage : procédure, éducation / prévention, stratégie diagnostique, communication interprofessionnelle, urgence,...
iconographie, examen clinique, stratégie pertinente de la prise en charge, entretien/anamnèse, annonce et synthèse de résultats d'examens paracliniques. Tous les étudiants passeront 10 thèmes, tirés au hasard et accompliront donc dix “stations” (nom de la situation), réparties en deux jours. Chaque station durera 7 minutes.
Comment cela va-t-il se passer? “L’étudiant arrive devant une salle, avec un écriteau qui lui donne un scénario. Par exemple : ‘vous êtes interne aux urgences, vous devez prendre en charge un patient de 60 ans qui vient pour des douleurs thoraciques’”, illustre Jeanne Dupont-Deguine. L’étudiant dispose, à cet instant, d’une minute pour lire le scénario et entrer dans la salle. “Il y aura un patient standardisé, un acteur ou un chef de clinique, qui jouera un rôle. Il disposera d’une fiche descriptive avec des réponses à toutes les questions que pourrait lui poser l’externe. Dans cette situation par exemple, l’externe qui joue donc un interne, devra faire un interrogatoire. Mais il peut y avoir d’autres stations de gestes, avec des sutures à faire sur bloc de mousse”, poursuit l’élue de l’Anemf.
Il existe dans le programme 350 situations de départ, correspondant à des mises en situation clinique auxquelles les étudiants peuvent être confrontés, comme les douleurs thoraciques, les céphalées, les annonces de diagnostic, etc. Toutes les stations des Ecos seront créées par le Conseil scientifique, à partir de ces situations de départ et seront notées sur 100.
“L’objectif des Ecos, c’est aussi qu’ils soient les plus objectifs et les plus standardisés possibles”, ajoute Jeanne Dupont-Deguine. Ainsi, l’évaluation se fera sur la base de grilles d’évaluation binaires. “Est-ce que l’étudiant a demandé les antécédents du patient : oui ou non”, cite-t-elle par exemple. Chaque station sera jugée par deux évaluateurs. L’Anemf a par ailleurs obtenu que les évaluateurs ne soient pas tous de la faculté de médecine des carabins. Ainsi, dans 6 stations sur 10, un juré sur deux proviendra d’une faculté différente.
Enfin, les stations des Ecos seront, elles aussi, pondérées par groupe de spécialité pour le choix final. Par exemple, les stations gestes et sutures seront sur-pondérées pour le classement de chirurgie. Les étudiants en médecine pourront s’entraîner dès leur quatrième année au cours d’Ecos facultaires, des examens blancs.
- Prise en compte du parcours des carabins
Comptant pour 10% de la note globale des étudiants pour le classement final, le parcours aura aussi une importance toute nouvelle au...
sein de la réforme. Sera donc pris en compte l’ensemble des éléments annexes qui font la particularité des carabins : les mobilités internationales (stages à l'étranger), nationales (stages dans un autre CHU que celui de rattachement), les diplômes de langues étrangères, les unités d'enseignements supplémentaires, les années effectuées hors médecine (licence, master, thèse, ...), les engagements étudiants (en tant qu'élus, dans des associations, dans des tutorats, ...) et les expériences professionnelles (job étudiant).
Une grille plafonnée à 60 points a été décidée “pour éviter la course à l'échalote des étudiants qui voudraient faire toujours plus”, précise Jeanne Dupont-Deguine. “Le seuil est facilement atteignable. Globalement les étudiants pourront avoir 40, 50 points facilement”, assure-t-elle.
Choix de la spécialité : le matching
A l’issue de l’année, au mois de juin, l’étudiant disposera donc de ses 44 classements constitués lors de l’épreuve de connaissances (comptant pour 60% dans le classement), de l’épreuve de compétences (30%) et du parcours (10%). En parallèle, il réalisera des vœux de villes et de spécialités. Il n’y aura pas de nombre de vœux maximum, mais probablement un nombre minimal. Une fois que cette liste est établie, ce sera un algorithme, celui de Gale et Shapley, surnommé l’algorithme “des mariages stables”, qui se chargera de réaliser un “matching” pour attribuer à chacun un poste, (spécialité et subdivision).
“L’idée, c’est que chaque étudiant se retrouve dans la meilleure situation possible. Ce qu’il se passe, c’est que l’algorithme regarde les premiers voeux des étudiants, et essaie d’en affecter le maximum possible en fonction des postes ouverts dans chaque spé. Admettons : s’il y a deux postes ouverts en cardiologie à Rouen et qu’il y a 3 étudiants qui veulent y aller, l'algorithme va regarder leur classement en cardiologie et affecter les deux meilleurs. Mais le troisième a le droit d’avoir un poste, donc l’algorithme va ensuite regarder son vœu numéro 2, et ainsi de suite”, développe Jeanne Dupont-Deguine.
Il ne sera pas possible de se retrouver affecté sur une spécialité ou dans une ville qui n’aura pas été inscrite dans la liste de vœux. Aussi, pour tous ceux qui n’auraient pas été classés lors de la phase de matching, une procédure complémentaire...
sera mise en place et imposera aux étudiants de choisir tous les postes non-attribués. “Mais l’algorithme incite les étudiants à mettre leurs vœux de cœur en premier, et ensuite de mettre des vœux de sécurité, qui généralement passent plus tard”, tient à rassurer Jeanne Dupont-Deguine.
La procédure de matching aura lieu en juin, et l’affectation définitive sera plus tôt dans l’année, courant juillet.
Un calendrier universitaire modifié
La réforme du deuxième cycle met fin à l’examen unique de fin de sixième année. Avec ce nouveau modèle, les étudiants auront entre leurs mains, dès la fin du mois de septembre, leur classement EDN, de manière à les orienter au cours de leur sixième année. Par exemple, “si un étudiant n’envisage pas de faire neurologie et qu’il se rend compte qu’il a une très bonne note dans cette spécialité aux EDN, il pourra choisir de faire un stage pour savoir s’il a des compétences particulières”, insiste l’élue de l’Anemf.
Le sens de la R2C est de permettre aux carabins une “orientation progressive”, en leur laissant donc la possibilité de se projeter, à travers des stages, dans différentes spécialités, sans la pression des connaissances attendues aux EDN. “On libère la sixième année pour qu’ils fassent un choix positif”, résume Jeanne Dupont-Deguine.
A la question de savoir s’il ne s'agit toutefois pas simplement de décaler le bachotage de la fin de la sixième année à la fin de la cinquième année, l’élue de l’Anemf répond que c’est loin d’être le cas. “On ressert le panel de connaissances attendues, il ne s’agira pas d’apprendre en largeur. Les EDN vont obliger les étudiants à trier plus leurs connaissances. De plus, les connaissances de rang A et B vont plus vite à apprendre que celles en usage jusque-là”, conclut-elle.
Enfin, en passant les EDN au début de l’année, les carabins auront le temps de se préparer aux Ecos, qui auront lieu fin mai, début juin.
Mise en place en cours
Repoussée à deux reprises, une première fois car la loi du 24 juillet relative à l'organisation et à la transformation du système de santé encadrant cette réforme avait été promulguée trop tardivement par rapport à la date de rentrée, puis à cause de la crise sanitaire, la R2C ne sera pas repoussée une troisième fois. Pour éviter des couacs de mise en place, un vade-mecum publié par l’Anemf, la coordination des enseignants, la Conférence des doyens, a été élaboré afin de guider les facultés dans tous les chantiers : refonte de la maquette, formation des enseignants aux Ecos, aux nouvelles modalités docimologiques.
“Sachant que le report n’est pas possible, nous prenons acte et nous appelons à donner au plus vite toutes les cartes en mains à tous les acteurs pour la mettre en place le plus rapidement et du mieux possible”, estime Jeanne Dupont-Deguine.
Spécificité des ECNi 2023
Les étudiants qui ont débuté leur externat à la rentrée 2020 passeront un examen classant national “adapté”, car les tout derniers ECNi seront déjà rénovés cette année-là. Ils seront, en effet, évalués à partir du nouveau programme de connaissances et sur un format similaire aux EDN. Seule une épreuve sera ôtée de leurs examens : celle des concordances de script, des modalités servant à évaluer l'incertitude. “Cette épreuve a été supprimée du programme des derniers ECNi car les enseignants ne se sentaient pas prêts et considéraient que c’était compliqué d'entraîner les étudiants à toutes les épreuves”, indique l’élue de l’Anemf.
R2C : Réforme du deuxième cycle
EDN : Épreuves dématérialisées nationales
Ecos : Examens cliniques objectifs et structurés
Station : Séquence de 7 minutes pendant laquelle un étudiant simule une situation clinique donnée
Matching : Procédure d’attribution des stages selon l’algorithme Gale et Shapley
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