"Personne n'a fait d'études dans ma famille" : étudiant en médecine, il propose à un généraliste de devenir son mentor
Issu d'un milieu modeste, Lucas, 23 ans, s'est vite senti en décalage sur les bancs de la fac de médecine de Lille. Pour trouver le soutien et la confiance qui lui manquaient, le jeune étudiant s'est tourné vers une plateforme de mentorat. A l'autre bout de la France, c'est le Dr Pierre Frances qui lui a tendu la main. Récit d'une rencontre improbable.
1103 km : c'est la distance qui sépare Lille de Banyuls-sur-Mer. Rien ne prédestinait Lucas, 23 ans, étudiant en médecine dans la capitale de la Flandre, et le Dr Pierre Frances, 58 ans, généraliste installé dans cette station balnéaire des Pyrénées-Orientales, à se rencontrer. Cet improbable duo s'est formé grâce à l'association Article 1, qui vient en aide aux étudiants issus de milieux populaires.
"Certains étudiants étaient logés à une meilleure enseigne que moi"
"Je viens d'une famille dans laquelle personne n'a fait d'études, confie Lucas à Egora. C'était un peu compliqué pour eux de comprendre ce que je vivais." Très vite, le jeune homme, originaire de la banlieue de Lille, s'est senti en décalage. "J'étais dans un univers que je ne connaissais pas du tout, dans une faculté où il y avait beaucoup de monde. La première fois que je me suis retrouvé en amphithéâtre ça m'a impressionné ! Et je me suis rendu compte avec le temps que certains étudiants étaient logés à une meilleure enseigne que moi. Ils pouvaient se payer des prépas, ils avaient du matériel informatique… Moi j'ai dû me débrouiller."
Sa première année, Lucas la passe en confinement, chez lui. "J'étais à la maison avec mes trois frères et sœurs, avec qui j'ai entre 10 et 19 ans d'écart. C'était compliqué d'étudier avec un nouveau-né à la maison", se souvient-il. "Puis mon père a été hospitalisé durant plusieurs mois, il est très malade", souffle Lucas.
Des difficultés familiales et financières qui poussent le jeune étudiant à pousser la porte de l'assistante sociale. "Elle m'a proposé différentes solutions, l'association Article 1 en faisait partie." Pour faciliter l'intégration professionnelle des jeunes, l'association a mis en place un programme de mentorat – via la plateforme Dema1n.org, qui met en contact étudiants et professionnels. L'idée d'être guidé dans son cursus par un médecin expérimenté séduit Lucas. "C'est un peu comme Léonard De Vinci et ses disciples", plaisante le jeune carabin. "J'avais surtout besoin d'un accompagnement sur le plan psychologique. Quand on ne connait pas du tout le milieu, on peut avoir des problèmes de confiance en soi avec ces études, on appréhende les stages hospitaliers", témoigne Lucas.
"La compétition est beaucoup plus féroce qu'à mon époque"
Quelque temps après avoir rempli son dossier, le jeune Lillois se voit attribuer son mentor, un médecin exerçant à l'autre bout de la France : le Dr Pierre Frances. Déjà membre de l'association Aides aux familles et entraide médicale (Afem), qui vient en aide aux orphelins de médecins, le généraliste – par ailleurs MSU – a été séduit par le concept d'Article 1. "Je viens également d'un milieu peu favorisé, relate le praticien. Mais à mon époque, les études de médecine n'étaient pas aussi complexes. Aujourd'hui, on leur demande beaucoup sur le plan universitaire et dès la 4e année, ils ne peuvent plus travailler car ils se préparent à l'examen de la 6e année. La compétition est beaucoup plus féroce… On voit de plus en plus d'étudiants qui souffrent de dépression, d'anxiété. C'est aussi notre rôle de les aider", insiste Pierre Frances, qui encourage ses confrères à s'engager sur cette voie.
Après quelques échanges, Lucas émet le souhait de rencontrer son mentor. "Il m'a dit : je viens à Banyuls!", s'amuse Pierre Frances. Le généraliste et son épouse, également médecin, acceptent alors de lui ouvrir les portes de leur cabinet durant une dizaine de jours. "C'est un stage officieux, sourit Pierre Frances. L'intérêt pour lui, c'est de voir comment on travaille, de voir la pratique médicale. Il a aussi pu faire la connaissance d'autres étudiants de 4e année et d'une interne de Montpellier, actuellement en stage." Objectif : rompre son isolement et lui donner confiance en ses capacités. "Les étudiants s'imaginent qu'ils ne valent rien. Il a des choses à apprendre car le champ de la médecine est complexe, mais il faut lui montrer qu'il est capable d'appréhender certaines situations."
Alors que Lucas s'apprête à rentrer à Lille pour entamer sa 3e année de médecine, le duo s'est promis de garder le contact. "Nous sommes au début d’une aventure avec un jeune qui va devenir dans quelques années un collègue", se réjouit Pierre Frances.
Un quart des étudiants en médecine sont issus d'un milieu moins favorisé
Une enquête nationale commanditée par la Conférence nationale des doyens en médecine, dont les résultats ont été présentés en novembre 2024, a révélé que 9% des étudiants en médecine sont en situation de précarité économique. 27% des carabins sont issus des catégories socio-professionnelles les moins favorisées et 21.2% ne bénéficient que d'un soutien financier familial faible.
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