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"On a perdu" : "coincés" par la Cnam, les médecins corses renoncent à se déconventionner

Ils étaient déterminés à agir. Début octobre, 50 médecins libéraux corses devaient officiellement lancer leur procédure de déconventionnement, devant le refus de l'Assurance maladie de reconnaître la spécificité de leur exercice dans la nouvelle convention, signée au printemps. Mais l'ajout d'une clause instaurant un délai de deux ans avant de pouvoir revenir dans la convention a eu raison de leur action.   

06/11/2024 Par Louise Claereboudt
Déconventionnement
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Pour le Dr Frédéric Frau, c'est à la fois une "grosse déception" et un sentiment de "dégoût" qui priment aujourd'hui. Début octobre, le généraliste de formation, qui exerce désormais en tant que médecin du sport à Furiani, près de Bastia, devait officiellement lancer sa procédure de déconventionnement, et démarrer son nouvel exercice en secteur 3. Comme lui, 49 autres médecins corses avaient, ensemble, annoncé début mai qu'ils franchiraient le pas, face au refus de la Caisse nationale de l'Assurance maladie (Cnam) de reconnaître la spécificité de leur exercice insulaire dans la nouvelle convention.

Mais l'ajout d'une clause instaurant un délai de deux ans avant de pouvoir revenir dans la convention* dans les tout derniers instants des négociations conventionnelles, à laquelle s'est ajoutée la menace de déremboursement des prescriptions des médecins déconventionnés, formulée dans le rapport Charges et produits de l'Assurance maladie présenté début juillet, ont eu raison de leur mouvement. "Ils nous ont coincés comme ça", déplore le Dr Cyrille Brunel, également médecin du sport à Furiani et porte-parole du collectif ML Corsica, qui a insufflé la révolte sur l'île de beauté.

"Je pense que ça embêtait beaucoup [la Cnam] qu'on se déconventionne, c'est une certitude. Elle a inscrit [ce délai de deux ans pour se reconventionner**] dans la convention sans rien demander à personne. Elle l'a sorti lors de la dernière réunion alors qu'elle n'en avait pas parlé avant. Les syndicats ont accepté parce qu'ils étaient dans l'optique de discuter les 30 euros…", analyse le Dr Brunel. "Ce n'est pas loyal, c'est comme si vous jouiez aux échecs avec quelqu'un qui peut, à tout moment, changer les règles à son avantage", accuse son confrère, le Dr Frau, membre de ML Corsica, pour qui le lien de "confiance" a été rompu.

Résultat des courses : "Les médecins corses, moi y compris, n'ont pas envoyé leur lettre de concrétisation au mois de septembre", poursuit le Dr Brunel. Aucun d'entre eux. La réponse de la Cnam "prouve qu'il s'agissait d'un moyen de pression efficace" mais "on a perdu. Là-dessus je suis assez pragmatique. Rien n'interdisait [à la Cnam] de faire ça, et elle n'a pas eu tort puisqu'elle a réussi… On va dire que je suis bon joueur."

Une première victoire de courte durée

"Si [l'Assurance maladie] a vécu [cette action collective de déconventionnement] comme un défi, ce n'était absolument pas le but, assure Frédéric Frau. On voulait essayer un nouveau mode de fonctionnement pour mieux soigner." Car si "la cohésion nationale est basée sur l'égalité d'accès aux soins, donc l'égalité des médecins à pouvoir fournir le soin identique à tous les Français, en Corse, malheureusement, ça n'est pas respecté", constate Cyrille Brunel. L'île de beauté cumule en effet les difficultés. D'abord, elle souffre d'un manque chronique de médecins libéraux, en particulier de spécialistes – au 1er janvier 2023, on comptait 164 spécialistes pour 100 000 habitants, contre 193 au niveau national, selon les chiffres de l'Insee. Le Dr Brunel a lui-même délaissé son activité de généraliste pour ne faire "que de la rhumatologie" et satisfaire les besoins des patients.

La Corse est aussi la seule région à ne pas avoir de CHU, ce qui n'incite pas les jeunes à venir s'y installer après leur internat réalisé sur le "continent", et ne permet pas non plus de développer la recherche sur l'île. Pour bénéficier de certains soins spécialisés et avoir accès à un vaste plateau technique, la population insulaire est parfois contrainte de traverser la Méditerranée ; l'Assurance maladie dénombre ainsi 18 000 déplacements pour raison médicale chaque année.

À cela s'ajoutent d'importantes contraintes démographiques : presque un tiers de la population a plus de 60 ans, ce qui nécessite des prises en charge plus longues et complexes (patients précaires, polypathologiques…). Celles-ci n'épargnent pas les médecins, dont 38% ont plus de 60 ans. En outre, la population explose sur ce territoire, à l'instar du coût de la vie, bien plus élevé qu'en métropole (prix de l'essence, charges exorbitantes, etc.). "Pour les dermatos, l'azote coûte 3 fois plus cher que sur le continent", illustre ainsi le Dr Brunel. "Si on compare les régions, on se dit que ça ne vaut pas le coup de venir [exercer] en Corse. Car [nos contraintes] ne sont pas prises en compte dans nos tarifs." Contrairement aux DOM-TOM, où les praticiens bénéficient d'une majoration de leurs actes.

C'est pour remédier à cette "injustice" que le collectif ML Corsica, qui réunit désormais plus de 300 médecins sur les 550 que compte l'île de beauté, a été créé au printemps 2023. Son objectif : que les autorités reconnaissent à la Corse son statut "d'île-montagne". ML Corsica avait ainsi initié un mouvement de grève l'hiver dernier, entre Noël et nouvel an, dans l'espoir de peser dans les négociations conventionnelles en cours, ainsi que plusieurs rassemblements. Les médecins corses avaient obtenu un première victoire "historique" en parvenant à s'inviter à la table des négociations dans le cadre d'un focus "Territoires", organisé le 31 janvier 2024, au cours duquel ils avaient pu exprimer leur différence.

L'occasion également pour le collectif de présenter à la Cnam ses revendications. À savoir – outre la reconnaissance du statut d'île-montagne (ouvrant la voie aux mêmes revalorisations que pour les DOM-TOM), la possibilité de cumuler à taux plein un acte clinique avec un acte technique ou deux actes techniques, de réaliser des téléconsultations par téléphone pour les patients âgés dans le cadre d'un suivi, la revalorisation de la majoration des déplacements, ou encore l'élargissement des critères de cotation des consultations complexes et visites longues à domicile.

"On a mis un pied dans la porte"

L'espoir n'aura duré que peu de temps puisque le 8 février, lors d'une séance multilatérale, la Cnam n'avait finalement "rien" mis sur la table pour la Corse, à l'exception d'une majoration de déplacement de 15 euros spécifique aux zones "montagne" et une revalorisation des indemnités kilométriques. "Des miettes…" pour le porte-parole de ML Corsica, le Dr Cyrille Brunel. La colère n'avait alors cessé de monter sur ce territoire où il y a une "forte tradition d'indépendance", indique le président de l'UFML, le Dr Jérôme Marty, qui s'était rendu le 16 mars dernier à Biguglia, près de Bastia, pour assister à un séminaire sur le déconventionnement. Une centaine de médecins avaient fait le déplacement pour se renseigner sur le secteur 3, soit "un tiers des généralistes corses", soulignait à Egora, le Dr Henri Guérini, vice-président de l'UFML.

Portés par cet élan, 33 médecins du grand Bastia et 17 médecins installés dans la zone de Porto-Vecchio s'étaient engagés, le 4 mai, soit trois semaines avant la signature de la convention, à sauter le pas. La riposte de la Caisse nationale de l'Assurance maladie a finalement mis un coup d'arrêt à leur démarche, laissant place à "l'amertume" et à "la colère", déplore le Dr Brunel. Contactée par Egora, l'Assurance maladie explique que "le fait de fixer un délai de deux ans n’est pas une barrière administrative", comme cela a été perçu par les médecins corses, "mais bien en accord avec le caractère important de se conventionner ou se déconventionner".

Face aux appels au déconventionnement portés, "depuis quelques années", par "certains groupes ou syndicats", il est apparu à la Cnam "nécessaire de réaffirmer et renforcer l’impact et les conséquences d’un déconventionnement, notamment pour inciter les professionnels à rester dans le système conventionnel pour la bonne prise en charge de leurs patients car ce sont eux qui pâtissent de ce choix en premier lieu", précise-t-elle.

S'il pointe "l'hypocrisie" de la Cnam, le porte-parole de ML Corsica se réjouit néanmoins d'avoir réussi à placer la Corse "sur le devant de la scène". "On a réussi à inscrire la Corse dans la convention", ajoute son confrère, le Dr Frau. Les partenaires ont en effet convenu que l'ensemble du territoire de la collectivité de Corse bénéficie, à titre dérogatoire, des dispositions applicables aux communes relevant de la loi montagne à partir du 1er janvier 2026, et ce au regard des spécificités du territoire qui présente "un caractère 'd'île-montagne'". En l'occurrence, ils pourront bénéficier de la majoration de déplacement à compter de cette date. 

Cela ne répond pas à la demande initiale qui était d'obtenir le statut spécifique d'"île-montagne" mais "c'est un premier pas", admet le Dr Brunel. "Je me souviens de la première réunion en visio avec la Cnam, elle nous avait rétorqué qu'il n'y avait pas de spécificité corse… Aujourd'hui, le mot Corse est dans la convention, en toutes lettres. On a mis un pied dans la porte, ce qui était [pour la Cnam] irrecevable et impensable." "Il faut aller plus loin maintenant", appelle le Dr Frau. Si la "mayonnaise est un peu retombée" cinq mois après la signature de la convention, le collectif ne compte pas abandonner le combat.

"On doit maintenant engager un travail de pédagogie et d'information avec les différents groupes politiques pour leur faire comprendre qu'on est dans une situation un peu compliquée, du fait de l'attractivité qui est beaucoup plus faible par rapport à tous les autres territoires", explique Cyrille Brunel. Le collectif sera ainsi auditionné ce jeudi par la députée de Mayotte Anchya Bamana (RN), membre de la commission des Affaires sociales. "C'est la deuxième fois que nous sommes entendus par la commission, ça n'aurait pas été possible avant."

*contre un mois auparavant.

**Cette mesure entrée en vigueur le lendemain de la publication au JO (21 juin) de la nouvelle convention, elle s’applique aux médecins qui se déconventionneraient à compter de cette date, précise la Cnam à Egora.

 

Déconventionnement collectif : "L'action a pris un coup sur la tête mais on va continuer", soutient le Dr Marty

Instigateur du mouvement de déconventionnement collectif au niveau national, le Dr Jérôme Marty le reconnaît : "l'action [lancée en mars 2023, NDLR] a pris un coup sur la tête mais on va continuer à pousser les choses". Mais pour le président de l'UFML, qui rappelle qu'il est le seul syndicat à ne pas avoir signé la convention médicale, ce n'est pas tant le délai de deux ans, fixé par les partenaires conventionnels pour se reconventionner, qui est responsable de cet essoufflement, que le contexte politique en lui-même. "Ce qui a bloqué le nombre de lettres d'intention, c'est davantage la dissolution de l'Assemblée nationale que tout le reste", explique-t-il à Egora. Nouvel hémicycle, nouveau Premier ministre, nouveau Gouvernement, budget de la Sécu à retardement… "Tout cela a démobilisé, exactement comme ça a démobilisé les Français."

Par ailleurs, "s'il a glacé toute possibilité de déconventionnement territorial", comme ce qui était en train de se mettre en place en Corse, "Thomas Fatôme [directeur général de la Cnam] a perdu dans le sens où ça n'a pas fait revenir un seul médecin déconventionné dans le giron de l'Assurance maladie", soutient le généraliste de Fronton (Occitanie). "Ce faisant, il a dit qu'il allait dérembourser les prescriptions" des médecins installés en secteur 3 : "Ça [leur] a foutu la trouille. Mais ce n'est pas toujours pas passé parce que c'est très difficile à mettre en œuvre. On verra s'il y a un article là-dessus dans le PLFSS ou s'il y a un décret. Si c'est le cas, on ne manquera pas de l'attaquer, prévient le Dr Marty. […] Cela pose un problème juridique et [Thomas Fatôme] le sait".

Le président de l'UFML est toutefois convaincu que la flamme du déconventionnement collectif n'est pas éteinte. "Le Gouvernement dit qu'il est contre la coercition, mais imaginez que cela sorte, la profession n'a pas fini de souffrir, donc cette action n'a pas fini d'agir, j'ai toujours dit d'ailleurs que c'était du long terme. Pour moi, elle sera vraiment terminée quand la profession ne souffrira plus. Or je crois que les choses vont continuer à aller de mal en pis parce qu'on a des personnes en face de nouveau qui sont soit incompétentes soit inconséquentes. Cette profession est fragilisée et on continue à lui taper dessus, à un moment ça peut casser", met-il en garde. Un discours qu'il tiendra face à la nouvelle ministre de la Santé, avec qui il doit s'entretenir le 28 novembre prochain. 

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Frederic Limier

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Débatteur Passionné
Médecine générale
il y a 1 mois
Devant un dictateur, détenteur de tous les pouvoirs, à la fois exécutif, législatif , judiciaire, médical, et financier et qui par ailleurs change les règles du jeu, en fonction des conséquences de sa mauvaise gestion d'elle-même (contre les médecins qui savent visiblement trop bien s'adapter et se réorganiser, et contre les patients qui doivent payer de plus en plus de restes à charge), c'est sûr tout le monde s'incline pour ne pas sombrer ou faire sombrer les patients pris en otages. Mais si on considérait que la CNAM n'est en fait qu'une caisse de remboursement qui a des comptes à rendre aux patients qui la financent normalement pour garantir leur soin (ce qui n'est même pas le cas), peut-être que le déconventionnement ferait moins peur. A condition que tous le fassent, y compris les paramédicaux. Si on en arrivait là, c'est pas les soignant qui sombrent, c'est la CNAM qui disparait. Surtout , comme ils savent s'adapter, feront des actes gratuits ou peu chers pour les moins aisés qui n'auraient pas de mutuelle. Que d'économies à la clé, et beaucoup moins de papier , justification, contraintes, recommandations médicalement douteuses plutôt élaborées en fonction des recettes et dépenses de la sécu....
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Débatteur Passionné
Médecins (CNOM)
il y a 1 mois
Ne suffirait-il pas, pour supprimer cette clause d'un délai de deux ans pour se reconventionner, fermer carrément son cabinet médical en prévenant l'ARS et la CGSS qu'on cesse de travailler, se désinscrire officiellement de l'Ordre des Médecin, prendre des vacances, puis se réinstaller comme si on créait un nouveau cabinet. Je ne suis pas spécialiste en droit médical, mais j'étudierais bien cette option si besoin avec l'aide d'un avocat. Il faudrait demander l'avis de Nicolas LOUBRY, le juriste qui écrit régulièrement des chroniques juridiques dsur Concours-Pluripro.
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Débatteur Renommé
Médecine générale
il y a 1 mois
Une énième illustration du fait que la sécu est une dictature, un état dans l'état, qui tortille perversement les règles selon son agenda arbitraire, lequel vise à faire des économies sur le dos des professionnels de santé et des assurés sociaux: par exemple ceux qui paient leurs cotisations et sont pénalisés par l'absence de médecin traitant... Rappelons que les "déserts médicaux" sont la conjonction de la diminution volontaire, politico technocratique, du nombre de médecins formés depuis quarante an, et de l'inadéquation d'honoraires imposés par la sécu, (et non pas "négociés"), rattrapant au mieux une année d'inflation tous les cinq ans, qui sont une des causes du malaise des médecins corses et de bien d'autres !
 
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