Soigner tout en préservant l'environnement, le grand défi de la médecine
Faut-il opter pour un traitement efficace sur une personne, mais qui aura des effets délétères sur l'environnement, et donc, indirectement, sur la santé d'autres individus ? Cette question des arbitrages auxquels est confrontée la médecine était au cœur de la table ronde "Soigner 1 ou protéger 1000 ? L'innovation face au choix éthique", qui clôturait le congrès "Santé en 2050", organisé à Lyon le 28 juin dernier par l'association Les Shifters.
Quand on s’intéresse à la santé, on s’intéresse aux soins, on s’intéresse à la recherche, on s’intéresse aux choix qui sont en relation avec cette santé. Derrière ces choix, il y a des arbitrages qui peuvent être impactés par de nombreux paramètres contextuels. On peut citer la responsabilité sociale, le financement, la gestion des innovations, la transparence, les évolutions démographiques, les questionnements éthiques, les droits des patients, et bien sûr, la responsabilité environnementale.
Sans oublier que cette dimension environnementale se conjugue avec non seulement la dimension économique, mais aussi avec les déterminants de santé des populations et les situations de vulnérabilité individuelle de chacun. Ainsi, les personnes en situation de maladies chroniques peuvent être disproportionnellement vulnérables par rapport à la qualité de l’air qui va impacter leur santé cardio-respiratoire, ou par rapport à la chaleur entrainant des morbidités et des risques de mortalité.
Travailler collectivement
Les impacts environnementaux du système de santé, des traitements et des soins amènent incontestablement de nouveaux questionnements porteurs de modifications. "Certains médecins et chercheurs - de moins en moins - avaient une sorte de perception d’extraterritorialité des soins ou de la recherche qui leur permettait de faire des choix indépendamment du contexte, souligne François Eisinger, médecin interniste, professeur associé de santé publique (Institut Paoli-Calmettes, Marseille), membre du Haut Conseil de la santé publique et modérateur de la table ronde. Tout cela, c’est terminé. On va quitter cette tour d’ivoire dans laquelle nous étions tranquilles pour rencontrer d’autres acteurs, pertinents, légitimes, qui n’auront peut-être pas le même vocabulaire et le même référentiel que nous. Il va falloir apprendre collectivement à parler entre nous, et se comprendre. "
Tout est imbriqué dans cette nouvelle donne qui intègre les impacts environnementaux. Quand on aborde l’antibiorésistance, on se pose la question d’un arbitrage entre un traitement efficace sur une personne mais qui aurait un effet délétère sur l’environnement et qui donc, indirectement, voire secondairement, serait susceptible d’impacter la santé de plusieurs personnes. "Et il ne faut pas croire que cela soit simple en disant que 1000 c’est mieux que 1, car la personne à qui on refuserait le traitement efficace pour protéger l’environnement est une personne identifiée, capable de se plaindre, alors que les victimes statistiques sont muettes", poursuit-il. Qui va décider ? Qui doit définir les limites ? Patients, institutions, couple patient-médecin, tutelles, sociétés savantes, citoyens…Face à ces enjeux, une vision systémique où les patients ont toute leur place s’impose.
Ce que soigner veut dire
Lama Basbous, patiente partenaire en onco-hématologie, docteure en chirurgie dentaire et porteuse du projet Ripaï (Réseau interpartenarial pour des alimentations intelligentes) prône une alimentation saine et à moindre impact sur les écosystèmes et la biodiversité. Elle a apporté un témoignage poignant : "Il y a quelques années, j’ai été face à ce questionnement, lorsque l’on m’a recommandé un traitement assez cher pour soigner une leucémie, précise-t-elle. Je n’ai pas fait le choix vertueux, sinon je ne serais pas là aujourd’hui. Mais ce sujet procure une tension assez classique entre deux problèmes qui sont légitimes. D’un côté, nous avons à soigner la souffrance qui est en face de nous - c’est la vocation première de la médecine -, et de l’autre côté, à penser aux autres, préserver le collectif, les ressources."
En posant le problème de la sorte - "Soigner 1, versus protéger 1000" - , la décision va être de rationaliser, en se basant sur des données et des études. On va essayer de mesurer, de comparer des bénéfices par rapport à des coûts. Cette logique va bien fonctionner si on dispose de données. Ce sera plus complexe dans un contexte d’incertitudes. "Face aux crises socio-environnementales majeures, face à la complexité de problèmes qui sont systémiques et interdépendants, est-ce que ce schéma assez binaire est suffisant ?", questionne-t-elle. "Comment faire cette balance entre les bénéfices et le coût en s’assurant de ne pas faire peser une charge morale sur les patients, tout en prenant le risque de ne pas forcément augmenter le bien commun ? Quand on parle de soigner versus protéger, il y a une espèce de dichotomie. Cela présuppose une vision du soin réductrice où le soin est forcément une thérapie et une thérapie innovante. "
Or le soin est global, il concerne beaucoup d’activités que font les soignants, les proches, et les patients eux-mêmes. "Je ne veux pas choisir entre soigner 1 et protéger 1000, je veux un soin au sens large où on fait attention, où on a des pratiques et des tentatives d’amélioration des choses, pas pour 1, ni pour 1000 mais pour les 10 milliards ! ", conclut-elle.
Selon la Dre Armelle Vinceneux, cancérologue médicale dans l’unité des essais cliniques de phase précoce au Centre anticancéreux Léon-Bérard (Lyon), "il existe une prise de conscience dans nos équipes. On se questionne et on souhaite avancer ensemble. Sachant que le sujet n’est pas d’arrêter les essais cliniques, mais d’essayer d’améliorer les pratiques en continuant à soigner. Il faut aussi avancer avec la réflexion des patients en parallèle. À titre personnel, j’aurais du mal à indiquer à un patient en face de moi le poids carbone de l’essai clinique ou son impact sur la santé de ses enfants… " Soigner 1 ou Protéger 1000 nous engage tous ensemble sur le système de santé que nous voulons pour demain.
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