
+4 °C en 2100 : la médecine générale à l’épreuve du changement climatique
Canicules, sécheresses, feux de forêt… Ces événements déjà visibles en France sont amenés à être plus fréquents et intenses dans les prochaines décennies. Travailler et soigner dans ce contexte implique de se préparer et se former pour mettre en place des stratégies d’adaptation. Une démarche suivie par de plus en plus de médecins qui intègrent la santé planétaire dans leurs pratiques et diffusent, en consultation, des messages de prévention. "Il y a aujourd’hui une vraie conscience", assurent-ils, à la veille du congrès "Santé en 2050", dont Egora est partenaire.

À l’horizon 2050, la trajectoire de réchauffement de référence pour l’adaptation au changement climatique (Tracc) considère un réchauffement de +2,7 °C par rapport à la période préindustrielle, en raison notamment des activités humaines. Un chiffre qui se fonde sur les tendances actuelles d’émissions de gaz à effet de serre et leurs traductions en termes de réchauffement climatique dans les dernières simulations analysées par le GIEC. En effet, l’Europe se réchauffe plus vite que la moyenne planétaire. En France hexagonale et en Corse, ces niveaux de réchauffement se traduiraient par une hausse des températures moyennes liées aux activités humaines : +2 °C à l’horizon 2030 ; +2,7 °C d’ici à 2050 ; et +4 °C pour 2100.
À titre d’exemple, en 2100, la température à Paris pourrait s’apparenter à l’actuelle température moyenne annuelle de Montpellier (15 °C), et celle du sud de la France serait comparable à celle de l’Andalousie aujourd’hui (donc supérieure à 18 °C). Rien qu’en 2050, les vagues de chaleur en France seront cinq fois plus fréquentes mais aussi plus longues (potentiellement de début juin à mi-septembre). Avec des températures ne descendant pas en dessous de 20 °C, le nombre de nuits chaudes et pénibles pour la santé humaine augmentera particulièrement dans les centres urbains et dans le Sud (12 par an et jusqu’à 100 sur le littoral méditerranéen). Le seuil des 37 °C sera atteint en moyenne tous les ans et, localement, des records de chaleur jusqu’à 48 °C, voire 50 °C, seront possibles.
Faut-il dérembourser les cures thermales ?

François Pl
Oui
Dans les années 80 j'ai été suivre (sans prescription - je suis Belge) une "cure thermale" en Auvergne, suite à une promotion tour... Lire plus
Zoonoses, pathologies respiratoires, risques infectieux
Fortes chaleurs, augmentation des pluies intenses, multiplication des épisodes extrêmes sévères… Le dérèglement climatique entraîne des impacts sanitaires nombreux. "Aujourd’hui, la prise de conscience peut être individuelle ou professionnelle, mais elle tarde au niveau collectif", estime Violaine Brunelli-Mauffrey, médecin généraliste et cofondatrice de la MSP de Tomblaine (Grand Est). "Je m’imagine mal exercer avec 4 °C de plus. Mais de manière très objective, cette hausse des températures va aussi entraîner l’augmentation de nombreuses pathologies."
Selon Pierre Souvet, cardiologue et président de l’Association santé environnement France (Asef), les premiers effets sanitaires seront visibles à plusieurs niveaux. "La hausse des températures rend le retour du sang au cœur et le travail cardiaque plus difficiles, favorisant les problèmes cardiovasculaires, précise-t-il. La hausse de la pollution va accentuer les pathologies respiratoires, et la déshydratation favorisera les problèmes rénaux. À cela, il faut ajouter les conséquences du développement des zoonoses, l’arrivée d’espèces invasives vectrices de nouvelles maladies, les risques infectieux et épidémiques en hausse (dengue, paludisme, chikungunya, etc.)… sans oublier les conséquences sur la santé mentale. De plus, on sait que les patients qui prennent des antidépresseurs ou des antihistaminiques peuvent avoir une altération de la perception de la chaleur. Pour s’adapter aux pics de chaleur, le médecin doit avoir tous ses éléments en tête lors de ses consultations."
En tant que médecin généraliste, on doit endosser notre responsabilité et notre rôle d’ambassadeur
Du côté de la population, les personnes les plus vulnérables – enfants, femmes enceintes, travailleurs extérieurs, personnes atteintes de maladies chroniques – seront les plus touchées. Il est donc important et nécessaire de pouvoir les identifier. Comme l’a rappelé Hervé Raps, médecin délégué à la recherche au pôle Santé humaine du Centre scientifique de Monaco, lors du colloque "Réduire les plastiques, un enjeu vital pour l’océan", qui s’est tenu à Marseille en mai dernier : "Il faut aujourd’hui considérer les liens entre environnement et santé humaine, et parler de santé globale et intégrée. L’élévation de la température de l’eau stimule la capacité de virulence des bactéries. Et la pollution plastique est un vecteur de l’augmentation de l’antibiorésistance."
Ainsi, réchauffement climatique et plastiques (très présents dans le secteur de la santé) ont des impacts sanitaires directs et indirects qui s’auto-alimentent dans un processus en cascade.
Un "besoin de repères"
Les effets du réchauffement climatique qui surviendront en 2050 ou en 2100 peuvent sembler lointains pour les professionnels, déjà très sollicités au quotidien, et les empêcher de prendre le sujet à bras-le-corps dès maintenant. Pourtant, de nombreuses initiatives existent. Il y a plus de quatre ans, un groupe de travail Santé planétaire a vu le jour à l’initiative des médecins au sein du Collège de la médecine générale (CMG).
"Il y a aujourd’hui une vraie prise de conscience et un besoin de repères", souligne Paul Frappé, son président. "Les questions environnementales ont été intégrées dans le référentiel professionnel de médecine générale sorti en mars dernier. L’objectif est que ce sujet infuse auprès des médecins généralistes. Il vient toucher et impacter la nature du métier et va faire évoluer le contexte de la pratique de la médecine de ville."
D'ailleurs, en 2019, traduire et publier la "Déclaration appelant les médecins généralistes du monde entier à agir en faveur de la santé planétaire" a été la première étape pour passer à l’action au sein du groupe du CMG comme de l’association Alliance santé planétaire. En 2023, la définition européenne de la médecine générale a inclus la santé planétaire. Là encore, l’un des objectifs est de la traduire et la diffuser afin que chaque médecin généraliste dispose d’un cadre clair.
Eva Kozub, médecin généraliste, coordinatrice du groupe Santé planétaire du CMG, qui compte une vingtaine de membres actifs, et membre fondatrice de l’Alliance santé planétaire, rappelle l’importance des enjeux : "Notre objectif est de fabriquer une boîte à outils pour les médecins généralistes et de les aider à passer à l’action. Nous avons produit des fiches, des affiches et référencé de nombreuses ressources pour que chacun puisse développer ses connaissances. Aujourd’hui, on sent vraiment l’évolution au sein de la population générale et de la population des médecins généralistes. Les liens se font entre la hausse des températures, la couche d’ozone, les perturbateurs endocriniens, la pollution… Il faut avoir une vision globale One Health. C’est donc un changement de perspective. Notre discours en tant que médecin généraliste va s’adapter à ce changement afin d’avoir une meilleure santé des personnes tout en protégeant la planète."
Les cobénéfices, la clé de l’adaptation
Se préparer au changement climatique est une tâche de grande ampleur, mais le but est d’adopter une stratégie d’adaptation en mettant en place au quotidien des actions dans son cabinet médical et avec ses patients.
"En tant que médecin généraliste, nous devons endosser notre responsabilité et notre rôle d’ambassadeur. La façon dont nous allons exercer est importante pour changer le comportement des personnes, comme du collectif", poursuit Eva Kozub. "Les vagues de chaleur vont être de plus en plus fréquentes et violentes, il faut en avoir conscience et adapter nos pratiques afin de mieux soigner les populations, notamment les plus vulnérables qui seront les plus exposées. Mais aussi tenir compte du bâti en favorisant l’écoconstruction."
Santé planétaire, de quoi s’agit-il ?
La santé planétaire est une approche globale de la notion de santé reliant différentes disciplines scientifiques (biologie, écologie, climatologie, anthropologie, etc.) et pratiques (médecines humaine et vétérinaire, architecture, agronomie, etc.). Elle éclaire les relations complexes qui nous lient aux écosystèmes terrestres. Le constat est sans appel : notre santé et notre bien-être dépendent de ceux de tous les autres êtres vivants. Il en découle qu’en prenant soin de la santé du vivant, nous prenons soin de nous-mêmes. Cette notion de cobénéfices est au cœur de la santé planétaire. Source : Alliance santé planétaire – https://santeplanetaire.org
Déjà, lors des pics de pollution, les médecins généralistes constatent une augmentation de la fréquence des consultations pour exacerbation d’asthme ou de bronchite chronique. "La prévention sur l’alimentation, l’eau, les modes de vie est vraiment très importante", souligne Christine Magendie, pédiatre à Huningue, installée en Alsace depuis vingt ans, et membre de l’Association française de pédiatrie ambulatoire. "Le but est d’avoir des messages simples et positifs. Je recommande aux jeunes parents, qui sont ouverts pour effectuer un changement dans leur vie, de sortir et de profiter de la nature, de marcher, de jouer, de privilégier le fait-maison… Je parle des cobénéfices en montrant que ce qui correspond aux besoins fondamentaux des enfants, ce qui est bon pour eux mais aussi pour la santé physique et mentale des parents est bon pour la planète et pour le climat."
Pour changer de paradigme et de perspective, passer d’un système de consommation de soins à un système qui s’appuie sur la prévention, le facteur clé à prendre en compte, ce sont les cobénéfices pour la santé et la planète. Avoir des affiches de sensibilisation dans la salle d’attente de son cabinet, mettre en garde les femmes enceintes contre les pesticides, alerter sur les PFAS (substances per- et polyfluoroalkylées), promouvoir une alimentation saine moins carnée, émettre une "prescription de nature" (deux heures par semaine passées dehors), adopter une prescription écoresponsable (prescrire moins et mieux)… un éventail d’actions est déjà possible.
"Les professionnels mettent souvent en place des choses sans forcément faire le lien avec l’approche en santé planétaire", estime Eva Kozub. "Instaurer un groupe de marche ou avoir une infirmière Asalée développent les cobénéfices. Tout cela donne du sens à notre pratique."
Tout ne peut pas reposer sur les soignants. Il faut une prise en compte des enjeux de la part de nos tutelles, des politiques et du Parlement
Mais pour que les choses prennent de l’ampleur, il faut un portage politique. Un point clé que rappelle avec conviction la Dre Aude Vandenbavière, qui, bien que très active sur le sujet de la santé environnementale, ne cache pas "être pessimiste". "Nous assistons à une explosion des pathologies métaboliques, diabétiques et des cancers. Il est illusoire de penser que toutes les solutions viendront du terrain même si le terrain est moteur", souligne la médecin généraliste, exerçant au sein de la MSP Millesoins sur le plateau de Millevaches et membre de l’Alliance santé planétaire. "Il faut que des choses soient mises en place à la hauteur des difficultés. Tout ne peut pas reposer sur les soignants, déjà confrontés à la désertification médicale. Il faut une prise en compte des enjeux de la part de nos tutelles, des politiques et du Parlement."
Se former pour changer de paradigme
Conscient des enjeux pour les médecins en exercice comme pour les futurs praticiens, le groupe de travail Santé planétaire du CMG a inscrit la formation sur sa feuille de route de 2025. Elle constitue un élément essentiel pour faire infuser la santé planétaire et entraîner une évolution des pratiques afin de se préparer au réchauffement climatique.
"Plus que de la sensibilisation, il faut de la formation pour les médecins et pour tous les professionnels de santé, et en cela l’université est un levier important", assure Violaine Brunelli-Mauffrey, aussi cofondatrice du DU Coordination d’actions de santé publique en soins primaires (CS2P) et responsable de l’orientation Actions et organisations en soins primaires du master 2 santé publique Parcours prévention et promotion de la santé. "Il faut vraiment se préparer à de nouvelles prises en charge que l’on ne voyait pas avant. Je rêve d’une responsabilité populationnelle en santé environnementale afin de fédérer tous les acteurs sur le sujet !"
52 mesures, plus de 200 actions concrètes : le 3e Plan national se dévoile
Le gouvernement a lancé, le 10 mars dernier, le 3e Plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC). Parce que "face à l’urgence climatique", il faut "changer d’échelle et se doter d’une véritable stratégie systémique d’adaptation", assure le rapport de près de 400 pages. "Changer de logique dans notre appréhension de l’adaptation. Construire une stratégie publique systémique avec les acteurs pour mettre notre pays sur les bons rails, faire les bons choix, éviter la maladaptation"… La philosophie de ce 3e PNACC découlera d’une prise en compte collective, à commencer par celle de l’État qui "montrera l’exemple" en agissant notamment sur deux leviers : le financement, "avec la promesse de ne plus financer des investissements non ou mal adaptés", et la planification publique, "avec l’engagement que, d’ici 2030, toutes les politiques publiques (normes techniques, plans et programmes d’aménagement, politiques sectorielles et aides publiques, etc.) seront mises en conformité avec la trajectoire de réchauffement à +4 °C en 2100". Ce nouveau PNACC contient 52 mesures et plus de 200 actions à court, moyen et long termes, qui concernent tous les territoires, en particulier ceux avec des enjeux spécifiques (littoraux, montagne, forêts, agriculture), et tous les secteurs d’activité. Voir www.ecologie.gouv.fr
Même si relever ce challenge s’annonce ardu, plusieurs marqueurs sont au vert. En février 2023, la Conférence des doyens des facultés de médecine de France a lancé un module pédagogique de médecine et santé environnementale, coordonné par Marine Sarfati (université Claude-Bernard-Lyon-1), devenue depuis conseillère en santé environnementale aux ministères de l’Aménagement du territoire et de la Transition écologique.
Et sur le terrain, une nouvelle génération de médecins se mobilise. C’est le cas de Loïc Blanchet-Mazuel, médecin généraliste remplaçant dans la vallée de l’Arve en Haute-Savoie, tombé dans la santé planétaire de manière évidente. Membre du groupe de travail du CMG et de l’Alliance santé planétaire, il est également investi dans la formation.
"Le point de départ a été mon travail de thèse consacré à la création d’une fiche d’information sur l’alimentation végétarienne pour les médecins généralistes en 2018. Puis j’ai creusé la question de la durabilité autour du cabinet médical et de la prescription", confie-t-il. "Aujourd’hui, j’interviens en tant que vacataire à la faculté de Grenoble sur des enseignements de santé planétaire pour les internes de médecine générale de la 7e à la 9e année. Et à la rentrée prochaine, je vais intervenir dans le cadre d’un enseignement optionnel à la faculté de Lyon pour les étudiants en médecine de la 3e à la 6e année, d’un côté sur le rôle du médecin généraliste dans la santé environnementale et de l’autre sur l’alimentation durable."
Il faut s’interroger sur notre façon d’agir et adopter une prescription écoresponsable. Même si le sujet est très dur, il est positif et profondément humaniste
Cet engagement, tant dans la formation qu’au cabinet, où Loïc Blanchet-Mazuel aborde, quand cela est possible, les cobénéfices avec les patients, répond au besoin de cohérence de ce jeune médecin engagé. Se former pour changer de paradigme est un travail de longue haleine. Mais aujourd’hui, la santé planétaire intéresse.
"Nous avons de plus en plus de sujets sur la santé environnementale, c’est un sujet porteur et cela permet d’avancer", pointe Aude Vandenbavière, également maîtresse de stage universitaire. "Au quotidien, je fais passer des messages auprès de mes internes en les sensibilisant à la juste prescription des médicaments et des examens, car avant de s’occuper de la gestion des déchets, il faut s’interroger sur notre façon d’agir et adopter une prescription écoresponsable. Même si le sujet est très dur, il est positif, profondément humaniste et donne envie de participer à mon niveau au renouveau des pratiques."
Un sujet porteur d’espoir
Une page est en train de s’écrire. Mais cela nécessite de la formation initiale et continue et beaucoup de ténacité. "Depuis quatre-cinq ans, on voit un intérêt croissant des étudiants pour la santé environnementale", confirme Joël Ladner, médecin hospitalo-universitaire, médecin de santé publique et chef de service du département d’épidémiologie et de promotion de la santé au CHU de Rouen-Normandie. "Le changement climatique est sans doute le sujet pour lequel le lien est le plus évident avec leur future pratique professionnelle. Les changements passent par la formation, bien sûr, mais aussi par la recherche, avec une approche interdisciplinaire réunissant des sociologues, des architectes, des psychologues, des professionnels de santé publique…"
Développer la recherche, amplifier et généraliser la formation, fédérer les soignants sur un sujet porteur d’espoir sont les clés pour se préparer au dérèglement climatique. Un sujet qui concerne les médecins. Et chaque citoyen.
1. Avec notamment quatre fiches détaillées pour les MG sur la santé planétaire, l’alimentation, la prescription écoresponsable, l’accompagnement des futurs et jeunes parents vers un environnement sain (www.cmg.fr/sante-planetaire)
2. Voir Egora n° 414
3. Voir www.woncaeurope.org
4. "Création d’un support d’information sur l’alimentation végétarienne pour les médecins généralistes en France", Loïc Blanchet-Mazuel et Charly Wissocq, Médecine humaine et pathologie, 2018
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