Egora : En octobre et novembre derniers, vous étiez des milliers d’étudiants en médecine dans la rue contre l’allongement de l’internat de médecine générale. Pourquoi vous mobilisez-vous aujourd’hui ?
Olivia Fraigneau : On a décidé de faire une nouvelle journée de mobilisation car on s’est rendu compte que malgré les grandes manifestations de l’an dernier, le Gouvernement est passé à côté d’un sujet capital : celui des conditions de vie et de travail des internes. En octobre et novembre derniers, on a fait des grèves réactionnelles à l’actualité politique. On protestait contre le PLFSS 2023 qui est une aberration notamment à cause de la quatrième année de médecine générale, ainsi que toutes les propositions de loi coercitives. En ce moment, on parle beaucoup de l’installation des futurs médecins et de notre avenir professionnel… mais ce qui est principalement préoccupant pour les internes, c’est que tous les 18 jours, l’un d’entre eux se suicide. Avec cette journée de mobilisation, on avait besoin de remettre l’église au centre du village, car finalement il n’y aura pas de problématique d’installation, il n’y aura pas de problématique de durée d’internat, si demain les internes se suicident. A quoi va ressembler cette "journée sans internes" ? Le but, c’est de sortir les internes de leurs terrains de stage pour montrer, par leur absence et par leur silence, à quel point ils sont indispensables dans le système de santé - notamment public - et pour la bonne prise en charge des patients. On rappelle qu’ils représentent 40% des médecins des hôpitaux publics. Aujourd’hui, ils ne sont pas du tout considérés comme tel et ce n’est plus entendable. Vous demandez depuis longtemps la mise en place du décompte fiable et objectif du temps de travail. En décembre dernier, vous avez engagé des procédures de poursuite contre les CHU qui ne se sont pas encore conformés à cette règle. Où en êtes-vous ? Suite à notre plainte, les tribunaux ont demandé des mémoires de défense* à l’ensemble des CHU de France que nous avons attaqués. Pour l’instant, nous n’avons pas de date d’examen et de rendu de décision. C’est une procédure qui dure environ un an, donc d’ici la fin de l’année, l’ensemble des décisions seront prises. Qu’attendez-vous de cette procédure exceptionnelle ? Ce qu’on attend, c’est que les CHU profitent de cette occasion pour instaurer le décompte horaire, ce qui devrait être fait depuis plusieurs années déjà. Nous avons pris cette décision car les discussions amiables avec les établissements ne donnaient rien. Dans le cadre de cette procédure en justice, les CHU seront obligés de payer s’ils ne se conforment pas. Ça fait presque cinq mois que nos plaintes ont été déposées et aucun hôpital n’a encore mis en place un décompte horaire fiable, objectif et transparent du temps de travail des internes comme l’exige le Conseil d’Etat. En se conformant à cela, on protégera aussi les patients car l’un des principaux facteurs de risque de commettre une erreur médicale, c’est la fatigue. Ça fait longtemps qu’on sait que quelqu’un qui travaille plus de 24 heures d'affilée, quand il part et prend le volant, a des reflex qui sont comparables à une alcoolémie supérieure aux taux maximum légal.
Vous demandez par ailleurs 300 euros bruts mensuels d’augmentation. C’est un minimum ? Nous demandons que le salaire des internes soit valorisé de 40%. Pourquoi ? Parce qu'on n'a jamais pris en compte le fait qu’on est des professionnels de santé... On met plutôt en avant notre côté étudiant. On doit aussi prendre en compte l'inflation. Je le répète : les hôpitaux tournent aujourd’hui parce qu’il y a des internes. Ce double discours qui consiste à dire “vous n’êtes pas indispensables au système de santé” et qui permet de justifier toutes les dérives qu’on subit d’un côté ; et de l’autre, “on ne respecte pas votre droit de grève, vos repos de garde et votre temps de travail”, ce n’est plus possible. Donc oui, il faut augmenter les internes. Il faut les augmenter drastiquement, ce sont des médecins à part entière. Si on veut qu’ils restent, il faut le faire. On se cache trop derrière le statut étudiant des internes ? Oui. C’est d’autant plus incompréhensible qu’aujourd’hui, le statut étudiant est devenu l’épée de damoclès au-dessus de la tête des internes. Typiquement, le non-respect du droit de grève vient d’un chantage exercé par les universitaires qui disent : “si tu fais une journée de grève, je ne validerai pas ton stage, je ne validerai pas ton sujet de thèse, je ne validerai pas ta spécialisation”. Par contre, on oublie très vite la casquette étudiante des internes quand il s’agit de faire appliquer les devoirs des universitaires et des employeurs et qu’on les laisse seuls pour faire fonctionner des services. De la même manière, des internes ont le droit de remplacer bien avant la phase de Dr Junior dans beaucoup de spécialités… ce qui est bien la preuve qu’ils ont la capacité d’être des professionnels à part entière. C’est quand ça les arrange ! Ce n’est plus entendable non plus que les internes paient 600 euros de frais d’université pour se faire menacer d’invalidation après tout ce qu’ils ont déjà sacrifié pour devenir médecin. Les internes comptent aussi sur les indemnités complémentaires à leur salaire, comme celles des transports ou du logement… On attend qu’il y ait une plus grande aide sur ce plan. Dans certains hôpitaux, il y a des internats avec un certain nombre de places mais ça ne permet pas de loger tout le monde. D’ailleurs, des villes n’en possèdent pas du tout, c’est le cas de Paris notamment. Les internes changent de stage tous les six mois, ils sont souvent au courant de leurs nouveaux terrains moins d’un mois avant de commencer. Les recherches d’appartement, ça a un coût. Changer d’appartement et déménager aussi. Je ne parle même pas des internes qui sont déjà parents et qui doivent changer de crèche. Il y a une incertitude, une prise de risque, une précarité. Ce qu’on demande, c’est donc d'augmenter l’indemnité logement pour compenser le fait que tous les six mois, il est obligatoire de bouger. Et quand ce n’est pas possible, il faut augmenter l'indemnité transport pour aider à supporter les temps de trajet. A Paris, tous les ans, on a des internes qui vivent dans leur voiture les deux ou trois premiers mois de stage, le temps d’avoir des fiches de paie à présenter aux bailleurs. Qu’espérez-vous de cette journée sans internes ? On veut continuer à faire du bruit. Il faut que les gens, au sens large du terme, comprennent que certes c’est une grève catégorielle, mais quand les internes vont mal ce sont eux les premiers à en souffrir. Je ne dis pas ça pour caricaturer : les internes sont ceux qui sont principalement en charge des patients dans les hôpitaux, qu’on veuille l’admettre ou non. Malgré vos mobilisations, vous avez eu peu de retours de François Braun… J’attends du ministre qu’il saisisse cette occasion pour avancer. Depuis le début de l’année, on demande l’ouverture de groupes de travail. Quelle n’a pas été notre déception et notre colère quand ils ont annoncé des réflexions sur le statut des praticiens hospitaliers, des praticiens des universités… mais pas sur les internes ! Ils ont rouvert la mission sur la permanence de soins des établissements de santé, nous avons été auditionnés… mais pas pour parler de nous ! On devait parler des seniors, de nos chefs. On nous a demandé de nous projeter en tant que futurs professionnels, mais ils n’ont pas compris : la permanence de soins de nos établissements repose essentiellement sur des internes. On veut que de vraies réflexions soient menées sur le sujet. S’il faut répéter cette journée de manière régulière, on le fera.
A moins de trois mois des ECN, le ministère n’a toujours pas dévoilé la maquette du nouveau DES** de médecine générale. Vous demandez le report de l’application de cette mesure, à laquelle vous êtes profondément opposés. A-t-on une date de remise officielle de ce rapport par le ministre de la Santé ? On a toujours aucune information. Initialement, ça avait été promis pour le premier trimestre 2023. On n’y est pas ! Ça devient profondément problématique. Dans quelques semaines, il y aura les ECN et on va donc envoyer à un concours national, qui déterminera le reste de leur carrière, 9 000 personnes sans qu’ils sachent si, à l’issue de ce concours, ils prendront la médecine générale ou non. Même si le rapport ministériel était remis demain, le temps qu’il y ait des arbitrages, que les textes soient rédigés, publiés, soumis puis validés par le Conseil d’Etat… Il est probable que cette validation intervienne après les décisions de redoublement pour les sixièmes années, voire même après le début des choix. En tout cas, après le début des simulations. Il n’est pas envisageable, ni entendable, qu’on impose la quatrième année l’année prochaine. Je rappelle qu’on s'est mobilisés contre, que cette année est inutile et on n’a pas voulu nous écouter. Pour nous, si le ministère est aussi en retard, c'est parce qu’il se rend bien compte qu’il n’y a aucune façon de mettre en place correctement cette quatrième année. Mais, plutôt que de le reconnaître, ils essaient de jouer la montre. Jouer la montre, c’est terminé. A minima, il faut que cette quatrième année de médecine générale soit reportée. Vous sentez-vous entendus ? Non. Ça fait de nombreuses années que les ministères de la Santé successifs ne font pas grand-chose pour nous. Ce qui m’inquiète le plus, c’est qu’on va vraiment finir par mettre à mal l’attractivité des études de médecine et les jeunes vont arrêter de s’y inscrire. Aujourd’hui, le coût devient franchement supérieur à la récompense. Un jour, on n'aura plus de médecins. Ce n’est pas comme ça que les choses vont s’améliorer et que les patients auront des gens pour les soigner. *Arguments du défendeur **Diplôme d’études spécialisé
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