crédit : Louise Claerebouddt
"Mes premiers internes ont pris leur retraite" : rencontre avec l'inépuisable Dr Jean-Paul Hamon, figure du syndicalisme médical
À l'aube de ses 80 ans, la flamme du Dr Jean-Paul Hamon ne vacille pas. Le généraliste qui a été de toutes les luttes professionnelles continue de se battre pour ce métier "formidable" qu'il juge plus que jamais menacé. Nous l'avons rencontré en septembre à Clamart, dans les Hauts-de-Seine, où il exerce toujours.
crédit : Louise Claerebouddt
"Celui-là, il y a eu trois générations de médecins qui ont travaillé dessus. Il appartenait au prédécesseur de mon prédécesseur", sourit le Dr Jean-Paul Hamon en s'installant derrière son imposant bureau en bois. Vestige d'une médecine passée qu'il compte léguer à son remplaçant quand l'heure de la retraite aura sonné. "Mais ça, c'est pas demain la veille !", garantit le généraliste de 79 ans. "La maladie de ma femme [Alzheimer] a été l'alibi pour que je continue à exercer. Depuis qu'elle est décédée, je me rends bien compte que je n'ai pas envie d'arrêter", confie le médecin, veuf depuis deux ans. Son remplaçant actuel est pourtant "le premier" pour lequel Jean-Paul Hamon se dit qu'il pourrait "prendre la suite". Il est là tous les mercredis. Et vient justement d'arriver : "Allez, va travailler !", lui lance amicalement Jean-Paul Hamon, en lui cédant son bureau. "J'aimerais qu'il reste… Il faudrait agrandir le cabinet."
Nous nous installons dans la petite salle de repos, située juste derrière l'accueil, où flotte une odeur de café. "Le matin, on y discute cinq minutes. Mais le midi, j'ai pris l'habitude de prendre un casse-dalle vite fait, glisse Jean-Paul Hamon. Maintenant j'essaie de me garder une demi-heure pour être peinard. Quand je suis un peu crevé, je vais chez moi – j'habite à 500 mètres – je mets un réveil, – 20 minutes, pas plus – et je m'endors. Moyennant quoi on réussit à tenir le coup." Cela fait 52 ans que le généraliste est installé à Clamart, dans les Hauts-de-Seine. "La vache ! Vous vous rendez compte ?" Avec son groupe, il a d'abord exercé "un peu plus haut, en face de l'église", avant de déménager ici, avenue Jean Jaurès, il y a 35 ans.
Jean-Paul Hamon n'avait pas prévu de poser ses bagages en banlieue parisienne. "Je pensais m'installer à Meslay-du-Maine avec le médecin que j'avais remplacé quand j'étais en 6e année. Mais quand j'ai expliqué mon projet à ma femme, elle m'a dit 'je te préviens, si tu vas en Mayenne, tu y vas tout seul'", se rappelle le généraliste, amusé. "J'avais commis l'erreur de l'emmener, avec notre fils Thomas, durant mon remplacement, plaisante-t-il. On se couchait le soir sans savoir si on allait pouvoir dormir. Je me réveillais en sueur dès que le téléphone sonnait. Ils [les patients] appelaient pas pour des prunes ! Moi, je trouvais ça génial, on faisait une médecine vachement intéressante !" Oui, mais voilà, sa femme prépare l'agrégation. Hors de question pour elle d'aller s'enterrer là-bas.
"Pion chez les Jésuites"
C'est en 1966, à l'université de Nantes, que Jean-Paul Hamon a rencontré Marie-Christine : "Quand je l'ai vue entrer dans le restaurant universitaire, la foudre a frappé. Elle a mis trois ans à céder !" Elle était en lettres modernes, lui en médecine. "C'est ce que j'avais envie de faire. Je connaissais les deux généralistes du patelin, ça avait l'air bien. L'un d'eux avait recousu la main de mon père qui avait coupé des lignes électriques pendant la résistance." Elève fougueux, il avait hésité à s'inscrire à cause de la durée des études – sept ans à l'époque. "J'ai passé le bac en 1962. Mes parents venaient de quitter Ploërmel pour s'installer à Paris. J'attendais les résultats pour les rejoindre, je logeais donc à l'hôtel en demi-pension. Là, j'ai beaucoup discuté avec le remplaçant du dentiste. Il m'avait dit 't'es con, qu'est-ce qu'on se marre pendant les études !' C'est la phrase qui m'a permis de ne pas avoir peur", raconte le médecin. "Et c'est vrai qu'on s'est marré."
Incertain jusqu'à cette discussion, Jean-Paul Hamon avait volontairement raté le coche de l'inscription. Il planifiait de préparer le concours pour entrer à la faculté l'année suivante. Le voilà donc "pion" à Saint-François à Vannes, "chez les Jésuites". "Mon frère, Claude, de cinq ans mon aîné, m'avait pistonné." Le jeune surveillant suit, en parallèle, des cours par correspondance de maths et de physique. "Je servais de grouillot au prof de sciences nat' du lycée." Sur son temps libre, il joue au football avec l'équipe de Saint-François. Et le week-end avec Les Léopards de Ploërmel, sa ville natale. Numéro 5, il s'illustre sur le terrain par son endurance. Si bien que "la réserve du Stade rennais contre qui on jouait ne nous a jamais mis de but", dit-il avec fierté.
Lorsque Jean-Paul Hamon annonce à son club qu'il va être contraint d'arrêter les matchs pour pouvoir payer ses études de médecine à Nantes, ses dirigeants lui répondent : "T'as besoin de combien ?" "Ils m'ont filé 200 francs par mois. Ça m'a permis de payer ma piaule, ma bouffe et mes bouquins", se souvient-il. "Ça a duré trois ans. Après, ma condition physique a commencé à diminuer." Le foot l'a "sauvé" plus d'une fois, glisse-t-il, le regard espiègle. "En terminale, je sortais en douce voir la fille du quincailler. J'avais été repéré et je risquais d'être viré. Le curé du secteur, qui s'intéressait au foot, avait dit à mon frère de me prévenir pour ne pas perdre son demi-centre. Ma relation avec cette fille s'est arrêtée là", s'esclaffe le généraliste.
De son enfance dans le Morbihan, il conserve ce souvenir d'une "liberté totale", rythmée par les après-midis à l'étang où l'on faisait de la voile, de la pêche à la truite... "Il faisait 1 kilomètre de large ; on le traversait aller-retour pour épater les filles." Lorsqu'il se rend à Belle-Ile-en-Mer, où il aime s'évader, il jette toujours un regard sur le clocher de Ploërmel avant de bifurquer pour prendre l'autoroute.
"2002 : l'action dont je suis le plus fier"
C'est loin de cet environnement insouciant que Jean-Paul Hamon fait ses premiers pas de généraliste. Très vite, le jeune praticien déchante face au "mépris" des politiques. En 1982, il bat le pavé aux côtés de milliers de soignants libéraux pour dénoncer les attaques du Gouvernement envers la médecine de ville. "J'ai défilé avec ma pancarte 'J'ai voté Mitterrand mais je me soigne'. Il nous avait assassinés, on avait été taxés un maximum. Aucun médecin de notre groupe n'était parti en vacances cette année-là." A l'époque, Jean-Paul Hamon cotise au syndicat des médecins de groupe, mais n'est pas plus investi que ça. En 1995, c'est contre le plan Juppé* qu'il se mobilise. "On a monté nos premières tentes pour consulter dehors près de la mairie de Clamart. Un de mes patients avait imprimé les banderoles." Ce mode de contestation deviendra sa marque de fabrique.
A l'automne 2001, la colère gronde dans la profession, qui entame une grève dure. Alors que la France vient de passer aux 35 heures, le maintien de l'obligation de gardes apparaît insupportable pour la profession, qui se sent sous-rémunérée et pas reconnue à sa juste valeur. Le tarif est alors bloqué à 17,50 euros depuis 1999. De premières alertes émergent dans le même temps sur une baisse de la démographie médicale. Jean-Paul Hamon fulmine : "On sent que ça déconne, et rien n'est fait pour le système de santé." Lors d'un dîner privé, il livre son désarroi à l'épouse d'un ami. "Elle était au bureau national du Parti socialiste. Elle m'a écouté et m'a dit : 'très bien mais tu parles au nom de qui ?' Elle me fait prendre conscience qu'il faut avoir une légitimité pour parler." Cet échange résonne en Jean-Paul Hamon, qui se fait élire président de l'amicale de Clamart, puis de la Fédération des amicales du 92.
Le 23 janvier 2002, les médecins des Hauts-de-Seine, menés par Jean-Paul Hamon, consultent "avec des nez rouges" sous une tente à la sortie du métro Corentin-Celton, à Issy-les-Moulineaux. "C'était le cirque Kouchner. On nous prenait pour des clowns. C'était passé sur toutes les téloches. Il y avait un mécontentement incroyable. A cette époque, on donnait un coup de fil, il y avait 50-100 mecs [médecins] qui débarquaient aux réunions." La tension monte d'un cran le 24 janvier, lorsque MG France signe avec la Cnam pour une revalorisation du C à 18,50 euros. Des coordinations fleurissent partout en France, avec à leur tête des figures telles que Luc Duquesnel, Patrick Guenebeaud… et Jean-Paul Hamon. Le 3 février, les représentants des coordinations départementales se réunissent à l'amphi Coste de l'hôpital Cochin (AP-HP) et créent la Coordination nationale des médecins généralistes. "On a eu une pleine page dans Le Parisien. On avait dit que 35 départements étaient représentés… Tu parles ! C'était une escroquerie médiatique. On a gonflé le truc. Mais après c'est vraiment parti. Le lendemain de l'amphi Coste, il y avait toutes les télés à Clamart."
S'en suivent une multitude d'actions : des manifestations, une désobéissance tarifaire, des envahissements de CPAM, des déconventionnements... Une période dont le Dr Hamon se souvient avec nostalgie, enchaînant les anecdotes plus rocambolesques les unes que les autres. "Ça a été une bagarre continue, c'était génial." Son téléphone portable sonne. Le générique de Robin des bois retentit. Le 6 juin 2002, les syndicats – épaulés par la Coordination – obtiennent 20 euros. La PDSA deviendra une obligation collective quelques mois plus tard. "C'est l'action dont je suis le plus fier, incontestablement." Il se syndique à la Fédération des médecins de France (FMF), comme plus de 1500 autres praticiens révoltés. Le généraliste de Clamart ne prend la tête de la FMF-Gé qu'en 2006, et de la FMF en 2011. "Ma femme m'avait dit 'si tu deviens président de syndicat, je divorce'… Je l'ai fait un peu plus tard", reconnaît-il.
C'est un métier formidable, ça me fout en pétard que les politiques ne le comprennent pas
Généraliste "lambda", Jean-Paul Hamon est devenu en un temps éclair une figure emblématique de la profession. "C'est grâce à la presse ça !", explique-t-il. En 2002, Jean Lanzi, figure du petit écran, lui avait dit : "Les journalistes, il faut leur rendre service quand vous n'avez pas besoin d'eux". Un précepte que Jean-Paul Hamon a toujours appliqué à la lettre. "J'ai toujours accepté d'aller aux trucs sur la canicule, le grand froid, la gastroentérite… moyennant quoi j'ai un gros carnet d'adresses." Et ça a porté ses fruits à de multiples reprises, souligne le syndicaliste. "Quand on a monté la maison médicale de garde à Clamart on n'obtenait pas les fonds. Je me suis dit 'on va faire ça à l'ancienne'. On a eu une page dans Le Parisien, et le lendemain on avait le pognon."
Pendant l'épidémie de Covid, le généraliste n'a pas hésité à "dénoncer l'inertie du ministère et le poids de l'administration" sur les plateaux télé. "Et aussi le mépris des médecins et des infirmiers libéraux… ça m'a rendu furax." Il se souvient notamment que les internes en ambulatoire ne pouvaient pas prétendre à la prime Covid. Une erreur vite corrigée, "mais ils n'y ont pas pensé, c'est significatif…" "Pourquoi on est obligés de se battre comme ça à chaque fois, putain !", s'emporte le médecin, tempétueux. Une situation qui ne s'est guère améliorée. "Les médecins n'ont jamais été aussi maltraités. On explique à la population que ce métier n'est qu'une succession de petits actes qui peuvent être faits par l'infirmier, le kiné ou en téléconsultation !"
Président d'honneur de la FMF depuis 2020 et toujours très actif, il dénonce également le "harcèlement" de l'Assurance maladie, notamment sur le sujet des arrêts de travail. "C'est un scandale : le médecin généraliste devrait plutôt avoir le statut d'espèce protégée" alors que s'accroît la pénurie, juge Jean-Paul Hamon. "Au lieu de ça on propose deux jours par mois dans un désert…" Un interne en dernière année fait irruption au même moment dans la salle de repos. "Tiens, toi, on te garantit 5000 euros par mois, on te loge, on te met un secrétariat présentiel et un maître de stage au téléphone, tu irais [dans un désert] pendant un an ?", lui demande celui qui est aussi maître de stage. "Ah bah dans ces conditions, oui on y va", répond l'étudiant avant de retourner en consultation sous le regard d'un Jean-Paul Hamon satisfait.
Au bout de près de trois heures d'entretien, le généraliste marque un temps de pause. "Vous savez que mes premiers internes ont pris leur retraite !", lâche-t-il. A l'aube de ses 80 ans, le Breton d'origine n'échangerait pour rien au monde son quotidien. "Je suis content d'avoir fait ce métier", répète-t-il trois fois. "C'est un métier formidable, ça me fout en pétard que les politiques ne le comprennent pas. Les relations avec nos patients, ils n'imaginent pas ce que c'est… C'est irremplaçable", insiste Jean-Paul Hamon. "Il y a sept familles dont j'ai soigné cinq générations. J'ai même soigné une dame née sous Mac Mahon, ça rajeunit pas !", s'émeut le généraliste derrière ses petites lunettes ovales qui lui tombent sur le nez. "C'est passé vite… Ce n'est pas fini, mais c'est passé vite."
*"Pour rétablir l'équilibre financier, le plan Juppé comporte un dispositif d'ajustement "automatique" de l'évolution des rémunérations des médecins, conditionnée au respect des objectifs de dépenses", rapporte Les Tribunes de la santé, TOME 136 | N° 6 | JUIN 2014.
Biographie express :
24 août 1946 : Jean-Paul Hamon naît à Ploermel
Septembre 1965 : il fait son entrée à la faculté de médecine
8 novembre 1973 : il s'installe en tant que généraliste à Clamart
23 janvier 2002 : Jean-Paul Hamon met en place le "cirque Kouchner"
16 avril 2011 : il est élu président de la FMF, après avoir été président de la FMF-Gé
27 juin 2020 : il quitte la tête de la FMF et en devient le président d'honneur
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