Ordonnances de demain : comment les prescriptions s'adaptent aux enjeux économiques, écologiques et numériques

27/12/2023 Par Anne-Hélène Collin
Médicaments
La pertinence des soins et des prescriptions est un enjeu central pour le ministère de la Santé, et donc pour l’Assurance maladie, qui entend faire respecter les recommandations de bonnes pratiques. Doivent s’y ajouter la transition écologique et le virage numérique. À quoi va donc ressembler l’acte de prescription en 2024 ?
 

Mettre fin aux prescriptions inappropriées ou inutiles est un levier d’économies de la Caisse nationale de l’Assurance maladie (Cnam), rappelée à l’ordre par la Cour des comptes pour sa régulation des dépenses de santé "inaboutie" et guidée par la lettre de cadrage du ministre de la Santé. C’est donc l’heure de "la juste prescription". Dans le viseur, cinq classes de médicaments pour lesquelles la Cnam a relevé un mésusage par prescription : les antibiotiques (encore trop surprescrits) : les inhibiteurs de la pompe à protons (prescrits inutilement dans 80% des cas en prévention des lésions gastroduodénales dues aux AINS chez des patients non à risque) ; les antidiabétiques et particulièrement les analogues de GLP-1 (dont les remboursements ont augmenté de 20% en un an, avec un nombre de bénéficiaires trois fois plus élevé que la population cible) ; les analgésiques opioïdes (encore trop de mésusages et de risques de dépendance) et les benzodiazépines (prescrites trop longtemps et trop souvent aux personnes âgées).  

  Autres champs d’action : la lutte contre la polymédication des personnes âgées, les prescriptions d’actes de biologie médicale qui s’écartent des référentiels - au premier rang desquels les tests de vitesse de sédimentation, le dosage de la vitamine D et le dosage des hormones thyroïdiennes - et la chasse aux hospitalisations évitables. "En 2017, 265 000 hospitalisations pour des pathologies chroniques auraient pu être évitées", rappelait la Direction de la recherche, des études de l'évaluation et des statistiques (Drees) en juin 2023. "L’Assurance maladie entend rappeler les recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) dans le traitement de certaines pathologies", promet-elle.   Plus vert Suivant la feuille de route du Gouvernement "Planification écologique du système de santé" de mai 2023 qui veut déployer les "soins écoresponsables", l’Assurance maladie s’est engagée à "décarbonner" les prescriptions, et plus généralement le système de santé, pour la période 2023-2027. Action sûrement nécessaire puisque le secteur de la santé émet à lui seul autour de 49 millions de tonnes de gaz à effet de serre par an, soit plus de 8% de l’empreinte carbone de la France, selon le groupe de réflexion The Shift Project, dans son rapport publié en avril 2023. La médecine de ville est responsable de près d’un quart (23%) de ces émissions. Comment ? En ajoutant la dimension santé environnementale dans toutes les campagnes de gestion du risque et de promotion de la santé et en expérimentant avec les partenaires conventionnels des actions de prévention en santé environnementale. Par ailleurs, pour limiter l’impact environnemental des produits de santé, l’Assurance maladie compte intégrer à leur tarification l’évaluation de leur coût-carbone en un système de bonus/malus, et réduire prioritairement le mésusage des médicaments et dispositifs médicaux ayant un impact carbone important. Reste à identifier les produits de santé polluants et avant tout constituer un groupe de travail ad hoc…   Transition numérique L’échéance pour la mise en place de l’ordonnance électronique approche. Initiée en 2022 avec les médecins de ville et les pharmaciens pour la prescription des médicaments et des dispositifs médicaux et de tous les autres actes et soins, la généralisation de l’e-prescription doit être bouclée au plus tard pour fin 2024 pour tous les acteurs de la ville avec obligation de mise en œuvre à partir du 1er janvier 2025.  

  Pour autant, le Gouvernement a revu ses ambitions à la baisse et s’est fixé pour objectif que, à fin 2024, 40 000 médecins aient créé une première ordonnance numérique. L’utilisation de ce nouveau service nécessite de disposer d’un logiciel métier référencé Ségur. 
"L’ordonnance numérique n’a pas d’impact sur le temps de consultation et préserve la liberté de prescrire", promet encore l’Assurance maladie. Dans son rapport de 2023, la Cour des comptes estime qu’avec ses cases obligatoires à cocher, ses éléments indispensables à renseigner sous peine d’impossibilité de prescrire (prescription en dénomination commune internationale…), la e-prescription aiderait à mieux distinguer les médicaments prescrits en relation avec une affection de longue durée ou à mieux repérer les atypies de durée ou de posologies. Elle limitera aussi la prescription hors-AMM en imposant au prescripteur de le mentionner. Enfin, la e-prescription pourrait aussi avoir un impact environnemental positif en limitant le recours au papier et en permettant, selon l’Assurance maladie, "la réduction des consultations visant seulement à obtenir des ordonnances en cas de perte du document papier et ainsi de réduire les déplacements associés". Bon pour l’écologie et l’économie.

7 débatteurs en ligne7 en ligne
Photo de profil de JEAN MEHEUT FERRON
19 points
Médecine générale
il y a 2 ans
Je suis passé à l'ordonnance numérique fin août, préférant y entrer en test qu'en traînant les pieds. J'y ai passé du temps, au début peut-être 4 à 5 mn par consultation, ce qui est énorme. Les médicaments doivent sortir à l'état brut de la Banque Claude Bernard, les modifications d'un médicament choisi doivent passer par la suppression de ce médicament pour en choisir un autre : pas question de modifier à la main le dosage de la molécule. Il m'a fallu plusieurs mois pour être à l'aise, et je travaille avec une grande ergonomie (clavier de portable a pavé tactile - sur Médistory). Je ne demande plus depuis belle lurette à mes patients de me donner leur accord pour que je puisse voir ce que le pharmacien a effectivement délivré, je n'ai pas le temps. Le temps informatique de la consultation augmente, ne serait-ce que par les fenêtres surgissantes concernant le DMP (identité vérifiée, accord…) Dans la masse de travail (je fais environ 45 actes par jour à 20 mn par acte), cette lourdeur arrive à un moment de pénibilité au vu de la situation de terrain, et semble un peu hors sol, ce d'autant qu'elle n'est même pas rémunérée. Je m'étonne aussi que ce soit la Cour des comptes qui ait à donner un avis sur la prescription, comme si l'assureur et les professionnels étaient incapables de s'en saisir par eux mêmes ! Quant à l'impact environnemental, il faut le pondérer par le coût de fonctionnement des serveurs, des terminaux et du réseau.
Photo de profil de Georges FICHET
6,3 k points
Débatteur Passionné
Médecins (CNOM)
il y a 2 ans
Je ne comprend pas pourquoi le dosage de la vitamine D est tant décrié. Je ne le demandais pratiquement jamais jusqu'à ce que, en pleine covid, je lise un article mentionnant le déficit en vitamine D comme facteur favorisant et aggravant. Je l'ai alors ajouté à mon bilan systématique. Et j'ai été très étonné et le reste encore par le nombre énorme de taux insuffisants inférieurs à 30 ng/ml. Pourtant, j'exerce en Guyane ou l'ensoleillement est très fort, mais justement, le soleil, ici, on s'en protège car rester une heure à poil sous le soleil guyanais, c'est l'érythème solaire assuré quelque soit la couleur de peau. Il ne se passe pas une semaine sans que je compte 2 ou 3 résultats en dessous de la limite inférieure. Mon épouse et moi-même avons eu des taux insuffisants ! Et j'ai une très petite patientèle, n'effectuant au maximum qu'une cinquantaine de consultations de médecine générale par semaine. J'aimerai avoir une explication de cette constatation !
Photo de profil de BILLES JEAN-FRANCOIS
43 points
Médecine d’urgence
il y a 2 ans
Si j'ai bien compris, il va falloir un logiciel métier référencé Ségur pour prescrire. Médecin à le retraite, je fais environ 10 ordonnances par an pour la famille, les proches ... Hors de question que j'achète un logiciel pour ça, plus un lecteur de carte bifente, médecin hospitalier à la retraite (urgentiste), autant dire que je ne suis pas parti avec le lecteur de mon bureau à l'hôpital, donc ça fera une dizaine de consultations en plus pour nos médecins référents respectifs. C'est comme celà que l'on fait des économies. En plus je me sentirais encore moins médecin, ce qui ne me plait pas forcément.
 
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