Réforme de la santé : "Il n'y aura pas d'autre occasion pour les médecins", alerte le président de l'Ordre

19/07/2019 Par A.M.
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CPTS, assistants médicaux, projet de loi : le premier acte de la grande réforme de santé souhaitée par Emmanuel Macron vient de s'achever. S'il se félicite de voir ses grandes propositions reprises par le Gouvernement, le Conseil national de l'Ordre des médecins ne relâche pas pour autant sa vigilance face aux textes d'application à venir. Refonte des études de médecine, recertification, urgences, remplacement, titre d'homéopathe… Le Dr Patrick Bouet, président de l'Ordre, revient sur les enjeux du moment.

  Egora.fr : Le projet de loi de santé vient d'être adopté par le Parlement. Est-il en mesure de répondre à l'urgence de la situation, comme l'assure la ministre ? Dr Patrick Bouet : Il faut regarder le projet de loi sous deux axes. Est-ce qu'il y a des mesures qui sont susceptibles d'apporter des réponses ? Oui, il y a de bonnes orientations. Est-ce que le projet de loi répond à l'urgence de la situation ? C'est plus compliqué. Rien ne nous dit que nous aurons les médecins attendus dans les territoires dans les cinq années qui viennent. La disparition du numerus clausus ne va pas amener 20 % de médecins en plus à court terme. La suppression des ECN ne va pas amener 50 % de généralistes en plus dans les territoires. Nous sommes dubitatifs sur la résolution de la problématique d'accès aux soins. Il est vrai que nous attendions un texte de loi plus précis. Malgré tout, il va dans le sens que nous souhaitions. Il y a maintenant une forme de contrat de confiance avec le ministère sur la volonté de faire évoluer le dispositif voté avec les textes complémentaires et de concerter les professionnels.   Alors que s'ouvre cette deuxième phase d'élaboration des décrets d'application et des ordonnances, quels seront les points de vigilance pour le Cnom ? Ils vont être multiples ! Nous avons défendu plusieurs priorités lors de l'élaboration du texte et lors du travail parlementaire. La première, c'est la professionnalisation des étudiants. Pour nous, il est fondamental que les textes à venir permettent à l'étudiant de s'immerger très précocement dans les pratiques. Nous serons par ailleurs très vigilants sur la façon dont on va sortir du numerus clausus et des ECN : il faut que ce soit clarificateur du parcours de l'étudiant, et pas complexificateur. La deuxième, c'est la territorialité. Depuis quatre ans, maintenant, nous portons cette vision d'une organisation territoriale de tous les acteurs pour l'accès aux soins et nous serons très vigilants sur la façon dont les GHT poursuivront leur réorganisation et sur les CPTS. Il y a aujourd'hui sur les CPTS plus de questions que de réponses, compte tenu de la multiplicité des projets déposés. La CPTS se contente-t-elle de regrouper tous les professionnels libéraux ou est-elle une organisation dont l'objectif est de créer une vraie communauté professionnelle de territoire avec tous les acteurs ?

La troisième, c'est la démocratie de territoire. Nous avons appelé à une meilleure représentation des acteurs dans l'élaboration d'un plan territorial de santé, à ce que les DG ARS mettent vraiment en œuvre la démocratie sanitaire et ne se contente pas de quelques touches. Pour l'instant, ce point est assez mal élucidé dans le dispositif qui vient d'être voté. Enfin, nous serons bien évidemment vigilants sur les conditions de mise en œuvre de ce stage obligatoire dans les zones désertifiées, décidé par le législateur. Et nous le serons également sur les coopérations – vous savez que nous sommes très en avant sur le sujet, mais nous ne voulons pas de confusion entre les métiers.   Pour rebondir sur le territoire, le projet de loi acte le principe d'une responsabilité territoriale des acteurs de santé… Toutes les propositions que les professionnels nous avaient demandé de porter en 2015 sont devenues des voies prioritaires législatives. Une phase d'élaboration des textes s'ouvre aujourd'hui. Il ne faudrait pas que les professionnels en soient écartés. Il faut un vrai travail de co-construction des ordonnances, décrets et arrêtés qui vont suivre. Avec un agenda clair, sachant que l'agenda législatif est court et l'agenda politique sera compliqué avec les municipales l'année prochaine. Je n'ai pas de doute sur la volonté de la ministre, mais il faut que la structure DGOS-DSS suivent.   Dans quelle mesure êtes-vous associés aux travaux en cours ? Actuellement, nous sommes associés sur le plan de l'oralité. Voilà. Ce n'est pas suffisant pour nous. Nous voulons travailler sur la base de propositions martyres : les acteurs se rassemblent et trouvent un consensus, comme dans le cadre de la commission mixte paritaire des deux assemblées.   Sur la recertification, par exemple, où en est-on ? Nous avons redonné au cabinet ce que sont pour nous les principes fondamentaux de la recertification : une affaire de professionnels, construite et gérée par des professionnels. Tout ce qui irait à l'encontre de ces principes n'est pas acceptable. L'Ordre sera présent partout où la loi lui en donne mission. Nous garantirons que l'indépendance, la place des professionnels et la sécurité de la population soient bien prises en compte.   Les annonces faites en réponse à la crise des urgences vous paraissent-elles suffisantes ? Si j'entends les acteurs, ils ne semblent pas penser que tout a été mis sur la table. Ce qui est urgent aujourd'hui, c'est d'organiser un vrai travail de fond sur les urgences hospitalières, les synergies avec la prise en charge sur les territoires. Il faut apporter des réponses autres qu'une réponse financière partielle.   Je reviens sur les CPTS, qui devront notamment organiser la réponse aux soins non programmés. Quel regard portez-vous sur l'accord conventionnel interprofessionnel issu des négociations ? C'est un texte qui va dans le bon sens. Les acteurs ont su donner une logique conventionnelle à ce système. Mais il faut que nous portions notre attention sur la déclinaison législative, il faut aller jusqu'au bout de la logique.   Pensez-vous que les médecins vont jouer le jeu ? Je pense qu'il n'y aura pas d'autres occasions. Il y a eu une très forte attente du monde professionnel, du côté hospitalier comme du libéral, pour une restructuration cohérente du dispositif d'organisation des soins. Il n'y aura pas de deuxième tour. Le système est au bout de son cycle. Il faut réussir la mise en œuvre du dispositif législatif proposé et l'améliorer par les textes complémentaires s'il le faut.   Après l'annonce du déremboursement de l'homéopathie, certains médecins réclament une prise de position sans délai du Cnom. Que leur répondez-vous ? J'ai clairement exprimé la position du Cnom. Nous n'aurons, nous, qu'à statuer que sur le droit au titre. Ce n'est pas l'Ordre qui a créé l'homéopathie, ce n'est pas l'Ordre qui enseigne l'homéopathie, ce n'est pas l'Ordre qui avait décidé de rembourser l'homéopathie. Nous avons notre domaine de compétence. A la suite d'un rapport qui va être élaboré par la section exercice professionnelle, la section formation et compétence et la section santé publique, le Cnom se déterminera au mois d'octobre. Que ces confrères sur Twitter comprennent que l'Ordre fait ce que la loi l'autorise à faire, de façon cohérente. Nous avons demandé à la ministre de prendre l'avis de la HAS, de reprendre l'avis de l'Académie de médecine : elle l'a fait. Là où nous pouvons agir, nous avons agi.

Plusieurs signataires de la tribune anti "fake medecine" ont été sanctionnés par l'Ordre au niveau régional. Il y a eu plusieurs avertissements et blâmes. Le Cnom fera-t-il appel ? Quand un individu est condamné par une juridiction française, ce n'est pas le Gouvernement qui est responsable de la condamnation. Que l'on arrête cet amalgame ! L'Ordre national décide en session s'il doit faire appel, s'il y a des erreurs de fond ou de forme. Nous avons fait appel une fois parce qu'il y avait des erreurs de forme. Je vous rappelle que ce n'est pas l'Ordre des médecins qui a été plaignant dans cette affaire. C'est la juridiction disciplinaire, indépendante, qui a été saisie par des professionnels. Et je rappelle également que la plainte ne porte pas sur l'exercice de l'homéopathie, mais sur la façon dont "les protagonistes" se sont interpellés. Mais nous assumerons notre responsabilité de dire s'il y aura, ou non, poursuite du droit au titre.   Autre sujet d'actualité : la licence de remplacement. Le CNGE demande à ce qu'elle ne soit octroyée qu'en fin d'internat. Comment se positionne l'Ordre ? Nous n'avons pas attendu l'avis du CNGE pour lancer une concertation. Le CNGE a choisi cette voie d'interpellation car il n'y avait pas forcément de consensus autour de sa volonté… Premier sujet : le DES de médecine générale. Est-il en 3 ou 4 ans ? Existe-t-il une phase d'autonomie ou pas ? Aujourd'hui les textes réglementaires stipulent que trois semestres sont nécessaires : y a-t-il une opportunité de décaler d'un stage ou de deux stages l'octroi de cette licence ? Ce n'est pas l'Ordre seul qui va décider. Ce qui est sûr, c'est que l'on ne va pas attribuer aux internes de médecine générale une clause léonine en comparaison avec les étudiants des autres spécialités. Ce n'est pas le CNGE qui va faire la politique de la licence de remplacement. C'est l'Etat qui décidera sur les propositions qui lui seront faites.   Au cours des derniers mois, l'Ordre a sonné plusieurs fois l'alerte sur le lancement de plateformes de télémédecine, parfois financées par des assureurs. Le danger est-il écarté ? Nous avions demandé à ce que le principe de solidarité nationale soit réaffirmé de façon claire dans la loi de santé, pour justement renforcer le rempart qui permet de ne pas transformer en offre commerciale ce qui est pour nous une grande avancée dans l'exercice de la profession. Il ne l'a pas été. Néanmoins, nous avons pris des initiatives communes avec l'Assurance maladie, notamment en réaffirmant les conditions dans lesquelles ces actes peuvent être pris en charge et donner lieu au remboursement. Nous avons agi devant les juridictions dès lors que les plateformes avaient une attitude déloyale ou non respectueuse des textes dans leurs publicités. De même nous avons agi lorsque des plateformes ont donné à des professionnels des titres qui n'étaient pas les leurs, ou ont dissimulé -plus ou moins volontairement- des modes d'activité dans le fouillis des prestations. Nous avons porté plainte pour exercice illégal contre un professionnel se revendiquant médecin. Il y a une complexité à gérer les flux. Nous avons donc émis des contrats type pour les plateformes, qu'il leur appartient de respecter. Nous sommes très vigilants. C'est un outil d'avenir mais il ne faut pas qu'il devienne un outil d'exclusion d'une partie de la population, qui ne pourrait pas accéder aux conditions matérielles du contrat. Nous espérons que la volonté ministérielle sera de nous accompagner dans cette clarification des prestations et des prestataires.  

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