Médecins suspendus ou condamnés, des cas plus fréquents qu'on ne le croit

12/03/2020 Par V.H.
Déontologie
Les suspensions et les interdictions d’exercice sont de moins en moins rares. Que celles-ci soient prononcées par l’autorité judiciaire ou par l’autorité ordinale, elles laissent le médecin généraliste dans un grand désarroi et parfois dans une situation économique dramatique.

On pense que cela n’arrive qu’aux autres. Début février, l’un des signataires de la tri­bune anti-homéopathie, pa­rue dans Le Figaro en 2018, a été condamné à trois mois de suspension d’exercice au mo­tif de " non-confraternité " par la chambre disciplinaire de première instance d’Île-de-France. Face à cette sévérité inédite, le Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom) a néanmoins fait appel de cette dé­cision. Défendant une position inverse sur cette thérapeutique, le Dr Didier Grand­george a écopé, en novembre dernier, d’un mois d’interdiction d’exercice pour avoir fait la promotion d’un traitement homéopathique de l’autisme. Une condamna­tion émanant de la chambre disciplinaire de l’Ordre de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, à la suite d’une plainte formulée en 2018 par le Conseil national. Là encore, l’interdiction qui devait prendre effet au 1er février a été suspendue, à la suite d’un appel du Conseil national estimant, cette fois, que la peine n’était pas assez lourde. Une autre affaire a récemment ému la profession. C’est celle du Dr Jean Méheut-Ferron, médecin généraliste en Normandie [voir sa tribune], interdit d’exercice par la justice en novembre à la suite de sa mise en examen pour avoir administré du midazolam à sept patients en fin de vie.  

Dans les affaires de violences sexuelles commises par des médecins, les interdic­tions d’exercice commencent à être plus sys­tématiques, même si elles sont souvent ex­trêmement tardives aux yeux des victimes. Ainsi, le Dr Jean-Paul Guittet, psychiatre au Mans, a fait l’objet d’une première sus­pension de trois mois en octobre 2017, avant d’être radié en septembre de l’année sui­vante par la chambre disciplinaire de l’Ordre des Pays de la Loire, près de trente ans après les premiers signalements et plaintes contre lui pour des faits de viols et d’agressions sexuelles... On se souvient aussi que l’ancien ministre du Budget, le Dr Jérôme Cahuzac, avait été condamné, en 2014, à six mois d’in­terdiction d’exercice par l’Ordre des méde­cins de Paris pour avoir " déconsidéré la pro­fession " en se rendant coupable de fraude fiscale et de blanchiment.   Subutex, publicité et déontologie Autant d’affaires qui ont défrayé la chro­nique mais qui ne sont pas, pour autant, em­blématiques de la réalité de l’interdiction d’exercice. En effet, celle-ci est devenue très habituelle dans les affaires de trafics de Subutex, par exemple. Un généraliste du Limousin a ainsi été condamné, en 2017, à dix mois de prison avec sursis et un an d’in­terdiction d’exercice par le tribunal correc­tionnel de Limoges pour avoir prescrit de grandes quantités de buprénorphine à ses patients toxicomanes, sans pour autant s’être enrichi lui-même. En réalité, les suspensions les plus fré­quentes relèvent de motifs encore plus ordinaires et liés à l’exercice quotidien de la profession. C’est notamment le cas des médecins suspendus pour avoir fait de la publicité, contrevenant ainsi au code de déontologie. Et on se rapproche encore plus du " Dr Tout-le-monde ", avec les sus­pensions prononcées contre des praticiens à qui sont reprochés des abus d’actes ou de supposés actes fictifs, en raison de leur très forte activité. " Le risque de suspension n’est pas du tout anticipé par les médecins alors qu’il faut avoir conscience qu’un certain nombre de comportements peuvent y expo­ser ", prévient Fabrice Di Vizio, un avocat qui défend plusieurs praticiens dans des affaires de publicité et de surprescription ou d’activité importante.   Deux autorités distinctes et indépendantes Pour ne rien simplifier, les interdic­tions d’exercice peuvent être prononcées par deux instances ju­diciaire ou ordinale. " La suspension par l’autorité judiciaire est généralement une peine complémentaire dans le cas d’une in­fraction pénale, explique Fabrice Di Vizio. C’est notamment très fréquent dans les af­faires de fraudes à la Sécurité sociale où un médecin est condamné à une peine d’amende et/ou d’emprisonnement et également à une interdiction d’exercice quand les faits sont suffisamment graves et ont été commis dans le cadre de l’exercice professionnel. 

Mais, parfois, l’interdiction d’exercice peut être prononcée avant même toute condam­nation pénale alors que le praticien est encore présumé innocent des faits qui lui sont reprochés. " Ce sont des situations très embarrassantes, prévient Me Di Vizio. Le médecin est alors suspendu à titre de sûreté en l’absence de reconnaissance d’une infrac­tion, pour protéger des tiers, à l’image de la détention provisoire. " Si ce médecin est, par la suite, reconnu innocent, il n’au­ra aucun recours et aucun...

moyen d’être indemnisé pour la perte de revenus qu’il a subie. Il arrive cependant qu’au cours de l’instruction la suspension d’exercice soit levée ou aménagée. " Dans les cas de fraude, il se peut que le médecin soit interdit d’exercer en libéral mais pas en salarié par exemple ", note Fabrice Di Vizio. Dans ces situations, pour avoir une porte de sortie, il peut être utile de recher­cher un poste de médecin salarié et de pré­senter une proposition d’embauche au juge.   Pas de remplacement Dans la majorité des cas, les privations du droit d’exercer relèvent d’une décision disciplinaire dès lors que le médecin a com­mis une faute sur le plan déontologique. Mais qu’il s’agisse d’une suspension par l’autorité judiciaire ou par l’autorité ordi­nale, le médecin libéral n’aura alors pas le droit de se faire remplacer à son cabinet. " S’il poursuivait son activité malgré l’in­terdiction, cela constituerait un exercice illégal de la médecine, met en garde le Dr Anne-Marie Trarieux, présidente de la section éthique et déontologie du Cnom. Il est possible de se faire remplacer unique­ment lorsque l’interdiction d’exercer est pro­noncée en raison d’une infirmité ou d’un état pathologique qui va rendre dangereux l’exer­cice de la médecine, mais pas en cas de faute déontologique. " Cette impossibilité de remplacement a des conséquences économiques d’autant plus importantes que ce n’est pas un risque couvert par les assurances. " Lorsque l’un de nos sociétaires assurés en responsabilité nous fait part d’une procédure qui risque de lui interdire d’exercer ou que cette décision est déjà tombée, il peut demander notre appui pour bénéficier d’une protection juridique, voire exercer en recours, indique Nicolas Gombault, directeur de l’indemnisation et de la communication du groupe MACSF. En revanche, lorsqu’un médecin est sanc­tionné et interdit d’exercice, les contrats de prévoyance ne peuvent aucunement pré­voir d’indemnisation au titre de la perte de revenus. "  

Et les patients dans tout cela ? La ques­tion de l’offre de soins ne fait pas partie des préoccupations de la justice qui prend ses décisions en toute indépendance. Mais quand un médecin exerçant dans un désert médical est suspendu, c’est entre un et deux milliers de patients qui se retrouvent dému­nis, du jour au lendemain. Un problème qui ne laisse pas de marbre le Cnom. " Nous avons une ré­flexion en cours pour prendre en compte les difficultés des patients dans ces situa­tions, indique Anne-Marie Trarieux. Au­jourd’hui, le Cnom est à l’écoute, les conseils départementaux tiennent compte des diffi­cultés des territoires, indépendamment de la situation personnelle des médecins concer­nés, et essayent d’y répondre. " La prochaine révision du code de déontologie médicale devrait être l’occasion de trouver une solution à ce problème. 

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