Pascale Mathieu

Crédit photo : Louise Claereboudt

"Il y a un manque de considération pour les kinés" : le coup de gueule de la présidente de l’Ordre

Alors que le 8 septembre marque la Journée mondiale de la physiothérapie, la présidente de l'Ordre national des kinésithérapeutes dénonce sur Egora le manque de reconnaissance de la profession. Elle déplore une "profonde inquiétude" de ses confrères et réclame une loi pour les kinésithérapeutes.

08/09/2025 Par Sandy Bonin
Interview Kiné
Pascale Mathieu

Crédit photo : Louise Claereboudt

Egora : Vous publiez ce lundi 8 septembre une lettre adressée à l'ensemble des kinés dans laquelle vous déplorez des difficultés croissantes dans l'exercice de la profession... 

Pascale Mathieu : Aujourd'hui, c'est la Journée mondiale de la physiothérapie et en général, c'est l'occasion de se réjouir et de dire qu'on est fier d'être kinésithérapeute. Quand j'ai réfléchi au message que je voulais adresser dans ce cadre, je me suis dit que si je disais que la kinésithérapie, c'est formidable, j'allais récolter, à juste titre, une volée de bois vert par les kinésithérapeutes qui se diraient que je suis complétement hors-sol.

J'ai donné, ce matin, des cours de déontologie aux étudiants en dernière année à Bordeaux et la première question que j'ai eue a été : "Est-ce que vous pensez qu'il y a un avenir pour notre profession ?" Quand des étudiants, qui seront professionnels au mois de juin posent cette question-là, il y a de quoi être très inquiet.

C'est vrai que ça ne va pas. Et ça n'est pas une question de finances publiques ou de difficultés, comme peuvent en avoir les pharmaciens par exemple avec la baisse des remises sur les génériques. De notre côté, il s'agit d'un manque de considération du rôle du kinésithérapeute dans le monde de la santé.

Cela fait des années que l'on nous dit : "On s'occupe d'abord des infirmiers ou des sages-femmes, puis des uns et des autres, et viendra le tour des kinésithérapeutes." Mais le tour des kinésithérapeutes ne vient jamais, et je ne parle pas que d'un point de vue économique. Beaucoup de choses ne vont pas et pourraient être améliorées facilement et à moindre coût. 

A quoi pensez-vous ? 

Je pense déjà à la formation.

Vous dites effectivement dans votre lettre qu'elle est devenue très coûteuse... 

Nous demandons une intégration universitaire et la réponse des pouvoirs publics est de multiplier l'ouverture des universités privées. La dernière qui vient d'avoir lieu à Tours est l'un des instituts les plus chers à plus de 9000 euros l'année. Est-ce l'avenir que nous souhaitons, en n'investissant pas dans la formation ? C'est plus cher que toutes les études de santé dans les autres professions. Nous demandons au Gouvernement depuis plus de cinq ans un moratoire sur l'ouverture de nouveaux instituts privés afin de réfléchir à une intégration universitaire qui ne coûterait pas plus cher. Je n'ai pas de réponse. 

La voie d'accès à la kinésithérapie est aussi extrêmement complexe la première année. Les étudiants n'y comprennent rien. Les parents nous appellent pour savoir quelles sont les orientations possibles. Nous avons eu des occasions ratées de simplifier ces choses en nous intégrant dans les réformes, comme cela avait été promis. 

Et puis, il y a aussi le véritable scandale des formations européennes. Enormément de kinésithérapeutes vont dans un pays d'Europe pour faire leurs études. Quand ils reviennent en France, ils doivent passer par les directions régionales pour faire comparer leur diplôme au diplôme français, et voir si des mesures compensatoires sont nécessaires. Il y a tellement d'étudiants que les directions régionales sont débordées et que les dossiers ne sont pas étudiés en profondeur. Des dizaines de dossiers sont validés en une après-midi alors qu'il faudrait passer au moins une heure par dossier. Nous avons proposé de reprendre ce travail à notre compte, je n'ai jamais eu de réponse.

Il y a une urgence et on prend des mesurettes

L'expérimentation dans 20 départements de l'accès direct pour les kinés exerçant en CPTS a été lancée. Avez-vous eu un retour ? 

Ça n'a pas été lancé avant le 1er septembre [l'arrêté a été publié le 7 juin, NDLR] parce que l'administration n'était pas prête, alors que ça faisait deux ans qu'on attendait l'arrêté. Il ne s'agit que des kinés exerçant dans des CPTS sur 20 départements… Cela représente combien de professionnels ? Pas beaucoup. Il y a une urgence et on prend des mesurettes. Pourquoi ? Parce qu'on veut ménager les uns les autres et qu'il y a encore des oppositions corporatistes qui ne veulent pas aller vers des délégations de tâches.

Dans votre lettre vous écrivez : "Nous mesurons la lassitude, parfois la colère, mais aussi la profonde inquiétude qui traversent la profession." Que demandez-vous en priorité, au-delà de la formation ? 

Je pense à l'accès aux soins. Je demande du respect pour la profession. Je ne veux plus entendre que nous sommes trop nombreux. J'estime que c'est une faute de considérer qu'une profession de santé est trop nombreuse alors qu'on pourrait la mobiliser pour répondre aux problèmes d'accès aux soins. 

Au Royaume-Uni, quand ils ont vu qu'ils n'avaient pas assez de médecins généralistes et qu'ils n'y arrivaient pas, ils ont proposé aux kinésithérapeutes - avec une formation complémentaire - de prendre en charge tout ce qui était musculosquelettique en première intention. Ça marche, tout le monde est content. Quand j'en parle, personne n'ose franchir le pas alors que ça désengorgerait les urgences. Nous avons fait plusieurs propositions pragmatiques, simples et de bon sens, mais ça n'aboutit pas, de peur probablement de froisser les uns ou les autres. Mais pensons d'abord aux patients. 

Je demande vraiment à ce que l'on considère notre place dans le système de santé. On nous parle que de prévention de tous les côtés, mais nous ne sommes toujours pas inclus dans les rendez-vous de prévention. Nous avons eu une réunion avec la Direction générale de la santé sur la "stratégie nationale sport-santé" la semaine dernière. Ils envisagent de prescrire de l'activité physique adaptée remboursée. D'un côté, on nous dit qu'il n'y a pas d'argent pour les kinésithérapeutes, et d'un autre, on veut rembourser du sport alors que certains pays, comme le Danemark, arrêtent de rembourser le sport parce que ce n'est pas la solution optimale. Mobilisons les 110 000 kinés pour les rendez-vous de prévention ! Je déplore cette vision où on écarte systématiquement les kinésithérapeutes des politiques publiques. 

Non seulement on ne veut pas payer les kinésithérapeutes, mais on ne leur donne pas les moyens de travailler, on les contraint d'un point de vue réglementaire de tous les côtés, et on limite leur installation. Dans le dernier avenant qui devait prévoir des revalorisations qui ont été reportées, on a imposé à nos étudiants - qui paient leurs études - de travailler dans un établissement de santé ou d'aller en zone sous-dotée, et on a renforcé les zones où ils n'ont plus le droit de s'installer en étant conventionnés. C'est pour ça qu'ils sont désespérés les jeunes. Quelle autre profession a des contraintes pareilles ? 

Quels sont vos objectifs de rentrée pour la profession ? 

J'attends qu’on prenne vraiment en compte les sujets de la kinésithérapie à bras le corps, qu'on résolve le problème de la formation initiale. Il faut faire confiance aux kinésithérapeutes, en leur donnant plus de responsabilités. Il y a des heures d'attente dans les services d'urgences, ne serait-ce que pour une simple entorse de cheville. Agnès Buzyn l'avait très bien compris, elle avait mis en place un protocole pour que le kiné voit l'entorse de cheville en première intention et puisse prescrire arrêt de travail, imagerie, antalgique, kinésithérapie... Mais c'est une telle usine à gaz derrière qui a été mise en œuvre que c'est inapplicable et qu'on ne peut pas facturer. Faisons les choses simplement, allons droit au but !

Il faut une loi pour les kinésithérapeutes ; pas une loi fourre-tout, mais un texte qui puisse permettre d'avancer dans l'exercice, de la formation initiale jusqu'à l'enseignement et la recherche. On demande des pratiques avancées, des nouvelles compétences... On nous dit toujours : "On verra plus tard." Quant à nos compétences actuelles, on demande qu'elles soient valorisées, mises en œuvre, même en restant en compétences constantes. 

Comptez vous fermer vos cabinets entre le 5 et le 15 janvier?

Claire FAUCHERY

Claire FAUCHERY

Oui

Oui et il nous faut un mouvement fort, restons unis pour l'avenir de la profession, le devenir des plus jeunes qui ne s'installero... Lire plus

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17,4 k points
Débatteur Passionné
Médecins (CNOM)
il y a 3 mois
"Il y a encore des oppositions corporatistes qui ne veulent pas aller vers des délégations de tâches" Revenons aux définitions : la délégation est le fait de confier une tâche à un subordonné, sans dégager le délégant de sa responsabilité. Sinon ça ne s'appelle pas une délégation de tâche, mais une acquisition de compétence. Moi sur le principe je veux bien des deux : - Soit vous choisissez la délégation de tâches, dans ce cas il faut que chaque kinésithérapeute s'associe à un médecin référent dans une relation hiérarchique assumée, - Soit vous choisissez l'acquisition de compétence, dans ce cas il faudra mettre à niveau la formation des kinésithérapeutes pour leur apprendre les drapeaux rouges devant telle ou telle douleur avant de conclure à un trouble musculo-squelettique. Mais simplement réclamer la liberté de jouer au Docteur, ça ce n'est possible et c'est normal qu'il y a des oppositions. A la rigueur moi je m'en fiche un peu, ce n'est pas moi qui suis directement en danger.
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7 k points
Débatteur Passionné
Médecine générale
il y a 3 mois
faut pas s'inquiéter, ici, les kinés font des formations de 6 mois, et se retrouvent à faire des tests basic médicaux (MMS...) pour de très gros forfaits, tout en refusant les patients qui oseraient leur demander de la rééducation. C'est beau, la délégation des tâches et "le travail en équipe". Et ces opportunistes qui fuient leur métier plutôt que d'exiger une vraie reconnaissance, tout en brandissant ces délégations ineptes au motif de reconnnaissance...monde de fous...Macron induit.
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714 points
Incontournable
Médecins (CNOM)
il y a 3 mois
N'importe quoi la délégation de tâches ! Déjà que dans ma région il est quasiment aussi difficile pour les patients qui ont une ordonnance de trouver un rendez-vous chez le kiné que chez l'orthophoniste...
 
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