Tribune anti-homéopathie : parmi les médecins condamnés, des conseillers ordinaux en sursis
Sept ans après la publication de leur tribune anti-homéopathie, les premières condamnations en appel commencent à pleuvoir à l'encontre des médecins signataires. Quatre praticiens viennent de recevoir un avertissement. Une peine légère en apparence mais dont les répercussions sont lourdes pour les médecins qui occupent un mandat ordinal. Deux d'entre eux, en attente de leurs sanctions, ont témoigné pour Egora.
"On ne sait pas encore comment cela va se passer, mais vu les décisions, il y a de fortes chances que je reçoive ma condamnation à un avertissement pour non-confraternité dans les semaines qui viennent. Je serais obligé de démissionner de mon poste de conseiller départemental de l'Ordre des médecins et je ne pourrais pas me représenter avant trois ans. Cela mettrait un frein à tous les projets qui ont été lancés depuis mon élection en 2020", commente le Dr Pierre de Bremond d'Ars, président du collectif No fakemed.
Rembobinons. En mars 2018, 124 professionnels de santé, dont une grande majorité de médecins, prennent la plume et publient dans Le Figaro et sur Egora une tribune contre l'homéopathie et les thérapies dites "alternatives" les accusant d'être "inefficaces au-delà de l’effet placebo" et "pas moins dangereuses". ""La tentation peut [...] être grande de pratiquer des soins sans aucun fondement scientifique. Cette tentation [...] est toujours nourrie par des charlatans en tout genre qui recherchent la caution morale du titre de médecin pour faire la promotion de fausses thérapies à l’efficacité illusoire", pointait le texte.
Ulcérés, plusieurs praticiens ou représentants syndicaux, dont le Syndicat national des homéopathes (SNMHF), le Syndicat de la médecine homéopathique (SMH), l'Union collégiale ou encore le Syndicat des mésothérapeutes français (SMF), avaient déposé une soixantaine de plaintes ordinales contre des médecins signataires à travers la France.
La meilleure façon de comprendre un système c'est d'y rentrer
"Notre message nous avait paru clair, mais ça n'a pas été entendu comme cela. Je le regrette à titre personnel", déplore Alix*, médecin généraliste, signataire de la tribune et conseiller départemental de l'Ordre. "Pour l'instant, j'ai reçu un blâme au niveau régional mais l'appel est suspensif, j'attends l'avis du Conseil national. Si l'avertissement est confirmé, je devrais suspendre mon mandat et je serais bien évidemment très déçu. Je peux entendre que nos propos aient été mal perçus, mais notre texte appelait simplement à pratiquer une médecine basée sur la science."
"Avec cette tribune, nous nous sommes retrouvés dans une position où on reprochait beaucoup de choses à l'Ordre des médecins, notamment le fait que la justice ordinale soit utilisée pour nous attaquer pour non-confraternité. L'Ordre ne nous avait pas particulièrement exprimé son soutien. La meilleure façon de comprendre un système c'est d'y rentrer pour le comprendre de l'intérieur", explique le Dr De Bremond d'Ars. "J'avais envie de donner de mon temps et de mon énergie pour voir comment fonctionnait l'Ordre et si possible le faire évoluer dans un sens qui correspondrait aux valeurs ordinales, à savoir assurer un soutien et un suivi des médecins pour que les patients puissent bénéficier des meilleurs soins", ajoute-t-il.
"La confraternité, c'est aussi d'être au service des médecins"
"J'ai toujours eu une volonté d'engagement vis-à-vis de la profession. On avait envie de comprendre comment fonctionne l'institution et de montrer que la confraternité, c'est aussi d'être au service des médecins dans l'intérêt des patients. On adhérait complètement à cette devise-là", confie Alix.
En 2020, Alix et le Dr De Bremond d'Ars sont donc élus dans leurs conseils départementaux respectifs pour un mandat de six ans. "Avec ma binôme, nous avons présenté une candidature comme tout médecin peut le faire. Nous n'avons pas forcément mis en avant le côté 'no fakemed', mais surtout le fait que nous sommes des jeunes médecins généralistes avec une volonté de comprendre et d'être au service des confrères. L'élection s'est très bien passée et, de tous les binômes, nous sommes ceux qui avons recueilli le plus de voix", retrace Pierre de Bremond d'Ars.
"En tant que conseiller ordinal, j'ai compris que c'était extrêmement complexe et difficile de se prononcer sur les différents cas, alors que de l'extérieur la critique est facile", reconnaît Alix. "Il y a plein de missions au sein du conseil de l'Ordre que je trouve passionnantes, notamment cette nécessité d'une conciliation, dont nous n'avons pas bénéficié malheureusement", pointe le médecin quadragénaire. "Être conseillers ordinaux nous a permis de mieux comprendre aussi les tenants et les aboutissants de la justice ordinale auxquels nous sommes confrontés, en tant que cibles d'une plainte", abonde le Dr De Bremond d'Ars.
Ce type de procédure-bâillon induit une peur de s'exprimer
Les deux praticiens affirment n'avoir "jamais été dans une démarche d'opposition, de représailles ou de rapport frontal avec l'institution". "Nous avons un engagement réel, nous y passons du temps. Nous avons des projets constructifs", affirme Alix, qui déplore que "ce type de procédure-bâillon induit une peur de s'exprimer pour les médecins".
Les deux généralistes placent beaucoup d'espoir dans un renouveau de l'Ordre. "Au-delà du sujet de l'homéopathie et de la désinformation en santé, il y a énormément de sujets aujourd'hui où l'Ordre peut être une voie interprofessionnelle un peu plus apaisée que les syndicats", estime Pierre de Bremond d'Ars. Il salue notamment le travail de recensement et de prévention engagé par l'Ordre national autour des pratiques non conventionnelles et des dérives sectaires.
"Ce qu'on nous reproche, c'est d'avoir utilisé de mauvais termes", déplore Pierre de Bremond d'Ars, qui rappelle que "la justice ordinale reste une juridiction indépendante". "Mais force est de constater l’absence de réaction de l’Ordre des médecins. Il valide ainsi implicitement ce qui peut apparaître comme des procédures-bâillons", soulignent le collectif No fakemed et l'Association française pour l'information scientifique dans un communiqué, publié le 10 septembre dernier.
Nouvelles élections ?
Sollicité pour ce sujet, le Conseil national de l'Ordre des médecins n'a pas souhaité réagir. Si l'avertissement des médecins du collectif est confirmé, ils devront donc en théorie démissionner et ne pourront se représenter pendant trois ans. "Dans mon conseil départemental, nous sommes trois conseillers à être visés", relève le Dr De Bremond d'Ars. "Et si jamais malheureusement il n'y a pas de personnes suppléantes volontaires pour venir donner de leur temps, ça obligera peut-être le conseil de l'Ordre à faire de nouvelles élections."
Les médecins déjà condamnés n'ont pas encore fait part de leur volonté de faire appel devant le Conseil d'Etat. Quoi qu'il en soit, ce dernier appel ne sera pas suspensif. "On comprend tout à fait qu'en effet, au bout de sept ans, les confrères aient envie de tourner la page", conclut le président du collectif No fakemed.
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