"Si des arrêts ne sont pas validés, je vais avoir à gérer des patients mécontents" : une jeune généraliste raconte sa MSAP
Épinglée par la CPAM pour avoir délivré trop d'arrêts maladie, Anne-Sophie*, jeune généraliste installée dans le Maine-et-Loire, a été mise sous accord préalable (MSAP) au début du mois. Une situation que cette maman de trois enfants vit très mal. "C'est un peu humiliant", confie la médecin, qui appréhende la suite de la procédure.
"Les mauvaises nouvelles s'enchaînant, je me suis posé la question de mon exercice", lâche Anne-Sophie, des sanglots dans la voix. Jeune installée de 39 ans, elle fait partie des 500 médecins généralistes qui ont été ciblés en juin dernier par l'Assurance maladie dans le cadre de la première vague de MSO-MSAP 2025-2026. L'entretien confraternel auquel elle a été conviée le 16 juillet au siège de la CPAM du Maine-et-Loire, et en présence du statisticien de la caisse, laissait peu de doute sur la sanction qui allait lui être infligée. "La directrice de la caisse m'a fait comprendre que les cartes étaient jouées", avance la praticienne, qu'Egora avait interrogée à l'issue de ce rendez-vous.
Celle-ci avait pourtant tenté de justifier son nombre élevé de prescriptions d'arrêts maladie lorsqu'elle avait été informée du lancement d'une procédure à son encontre, au cours d'un appel téléphonique, "un vendredi midi" de juin, avec le sous-directeur de la CPAM 49 – "J'avais été un peu abasourdie sur le coup". "J'avais écrit un courrier pour expliquer que ma patientèle est quand même particulière." Beaucoup d'ouvriers, d'artisans, des femmes de ménage… "J'ai un plus gros taux d'accidents de travail et de maladies professionnelles que la moyenne de mes confrères, quasiment le double."
Sentant le vent tourner en sa défaveur, Anne-Sophie avait souhaité anticiper. Sans attendre le courrier fatidique de l'Assurance maladie – qui devait lui parvenir fin juillet en plein pendant ses congés – elle avait adressé une lettre à la CPAM 49 indiquant qu'elle refusait la mise sous objectif (MSO) de ses prescriptions d'arrêts maladie. "J'ai décidé de ne pas risquer de louper le délai pour refuser la procédure", explique la généraliste, qui a été accompagnée par la Comeli 49 et la Fédération des médecins de France (FMF). Prenant acte de son refus, la CPAM a ordonné une mise sous accord préalable (MSAP). "Quand on relativise, on sait bien que ce n'est pas grave, mais c'est un peu humiliant", reconnaît Anne-Sophie, la voix chevrotante.
La généraliste a accusé un "deuxième coup de massue" à son retour au cabinet, à la fin de l'été, lorsque sa remplaçante lui a annoncé son départ, planifié pour le mois de décembre. Écœurée par le traitement réservé à sa consœur, cette dernière envisage "un autre mode d'exercice de la médecine". "Elle m'a dit qu'elle ne s'installerait pas en médecine générale parce qu'elle travaille exactement comme moi et qu'elle trouve que mes arrêts sont justifiés", rapporte Anne-Sophie, qui espérait qu'elle deviendrait sa collaboratrice. "Je comptais beaucoup sur elle, on travaillait très bien ensemble", se désole la maman de trois enfants qui exerce à temps partiel, les lundis, jeudis, vendredis et parfois les samedis, tandis que sa remplaçante est au cabinet les lundis et mercredis : "C'était parfait pour moi, sachant que mon conjoint est urgentiste…"
Se sentant acculée, Anne-Sophie a envisagé, elle aussi, de se tourner vers un autre mode d'exercice. Une option qu'elle a, pour l'heure, mise en pause, sans la balayer totalement. "Sans le soutien de mes cinq collègues du cabinet, la décision aurait été plus nette. Ils m'ont dit : 'Tes patients comptent sur toi, tu es un bon médecin, ce serait une grosse perte si tu partais'." La procédure de mise sous accord préalable de ses prescriptions d'arrêts a ainsi démarré le 1er octobre, et doit se poursuivre jusqu'à fin mars. "Je vais aller jusqu'au bout. Je vais essayer de trouver une autre personne pour travailler avec moi, et, si ça fonctionne, je resterai car j'aime ce que je fais", informe la médecin.
Pour l'heure, la MSAP n'a pas encore bouleversé sa pratique. "Curieusement, je ne fais pas tant d'arrêts que ça", ironise la généraliste, donc en termes de temps moi ça ne m'a pas trop impactée." "C'est plutôt ma [remplaçante] qui est impactée. Certains patients préfèrent en effet voir le médecin titulaire, ce qui fait qu'elle voit plutôt de l'aigu, ce qui veut dire plus d'arrêts. Elle a beaucoup plus de paperasse à faire que moi", observe Anne-Sophie. Et d'expliquer en quoi consiste la procédure : "On télétransmet toujours l'arrêt à la CPAM, mais, en plus, on a des items à remplir pour justifier l'arrêt à envoyer via notre compte amelipro au médecin conseil." Charge ensuite à ce dernier de valider ou non l'arrêt. "Mais à vrai dire, ce n'est pas très transparent, on ne sait pas quel arrêt est validé ou lequel ne l'est pas."
Jusqu'à cet été, je ne me rendais pas tellement compte de ce que le conventionnement impliquait...
Anne-Sophie ne cache pas son appréhension pour les prochains mois, quand la procédure aura avancé. "Si des arrêts ne sont pas validés, je vais avoir les gens mécontents à gérer au cabinet. On est déjà parfois leur punching ball, ça ce sera un autre stress… Ça va être compliqué pour eux de ne pas recevoir leur salaire. Surtout que je travaille au sein d'une population économiquement précaire. Il n'y a pas de réserve" financière, explique la généraliste. Si elle n'a pas souhaité "perdre de temps" en consultation pour expliquer la procédure aux patients, Anne-Sophie a placé une affiche – éditée par la FMF – dans sa salle d'attente. "Certains patients m'en parlent. Et parfois ça m'arrive d'évoquer la situation pour tenter de limiter la durée d'un arrêt, et montrer au patient que je ne peux pas faire n'importe quoi. Dans ce cas on fait le minimum et on réévalue au besoin."
La généraliste craint surtout que la MSAP ne détériore les relations qu'elle entretient avec ses confrères spécialistes, "parce qu'on se retrouve souvent à faire des arrêts pour eux". "Hier, j'ai reçu une dame avec une problématique d'IVG. Le centre qui l'a prise en charge lui a dit de rester chez elle, mais ne lui ont pas fait d'arrêt et l'ont invitée à aller voir son médecin traitant. Ce sont des médecins, il n'y a pas de raison qu'ils ne fassent pas d'arrêt !", s'agace la jeune femme. A cette patiente, Anne-Sophie n'a rien dit : "Dans sa situation je n'avais pas envie d'en rajouter." Mais elle compte bien durcir le ton, comme elle l'a fait le même jour avec une autre patiente, venue pour un bon transport pour des examens prescrits par un spécialiste. "Je n'ai pas hésité à lui écrire d'un ton un peu sec en lui disant que chacun était responsable de ses prescriptions."
"Déjà qu'on supportait mal d'être les secrétaires des spécialistes – ce n'est pas le cas de tous ! – là ce qu'on tolérait devient insupportable", souffle Anne-Sophie.
En reprenant la patientèle d'un confrère parti à la retraite il y a six ans, la généraliste ne s'imaginait pas faire face à autant d'obstacles. "Jusqu'à cet été, je ne me rendais pas tellement compte de ce que le conventionnement impliquait...", reconnaît-elle, un peu désabusée. "Je trouve que c'est normal que la CPAM ait un regard, c'est elle qui paie, mais il y avait d'autres manières de gérer la situation", juge la médecin de 39 ans. "Ce n'est pas un exercice qui est simple la médecine générale et je pense que ça, ils l'oublient. Il faut en vouloir un peu pour rester."
*Le prénom a été modifié pour préserver l'anonymat.
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