Les violences contre les médecins en hausse de 95% en trois ans : "Certains ont déplaqué", s'inquiète l'Ordre
Les années passent et ne s'améliorent pas. Présenté ce lundi 29 septembre par le Conseil national de l'Ordre des médecins (Cnom), le bilan 2024 de l’Observatoire sur la sécurité des médecins dévoile une hausse inquiétante des agressions. Près de 2000 incidents ont été signalés au Cnom l'an passé. Ce chiffre, bien qu'en hausse de 95% depuis 2021, est probablement largement sous-estimé.
"Les violences à l’encontre des médecins en forte hausse" titrait Egora le 8 octobre 2024, alors que le Conseil national de l'Ordre des médecins (Cnom) publiait son observatoire annuel sur la sécurité des praticiens. Un an plus tard, rien n'a changé. Le phénomène s'est même amplifié. Ainsi, en 2024, 1 992 fiches d’incidents ont été recueillies par le Cnom, un niveau nettement supérieur aux années précédentes (contre 1 009 en 2021, 1 244 en 2022 et 1 581 en 2023).
Cela représente une hausse de 26% par rapport à 2023, et de 95% en trois ans. "Les violences à l'encontre des médecins deviennent un phénomène durable et non un accident passager", analyse l'Ordre, qui pointe que "les agressions sont devenues un problème structurel pour l’ensemble de la profession".
Les Hauts-de-France, la région Provence-Alpes-Côte d'Azur et la Nouvelle-Aquitaine sont les régions les plus touchées par la violence. En un an, les déclarations d'incidents ont bondi de 93% dans les Hauts-de-France (477 déclarations), de 107% en Provence-Alpes-Côte d'Azur (439).
Les départements du Nord et des Bouches-du-Rhône comptabilisent respectivement des hausses d'incidents signalés de 150% (420) et de 120% (368). Le Dr Jean-Jacques Avrane, coordonnateur de l’Observatoire de la sécurité des médecins au Conseil national émet toutefois des réserves. "Il s'agit de départements où les médecins sont plus nombreux, donc il y a malheureusement plus de cibles", commente-t-il pour Egora. Toutefois, le taux de victimisation qui calcule le ratio entre le nombre de médecins et les incidents place encore ces deux départements en tête du classement.
Malgré cette hausse des incidents violents, certaines régions enregistrent une baisse. C'est le cas de la Nouvelle-Aquitaine où les signalements ont diminué de 18% (164) ou encore de l'Ile-de-France, en baisse de 23% (149).
Plus de 60% des victimes sont des généralistes
Les médecins victimes de ces violences sont à 63% des généralistes. Un chiffre stable par rapport à l'an dernier. Ils sont suivis dans une moindre mesure par les psychiatres, les ophtalmologistes et les gynécologues-obstétriciens. Fait marquant de 2024 : l'Ordre constate que de nouvelles disciplines apparaissent comme exposées, même avec de faibles effectifs. Cela "montre que le risque s’étend à toute la profession médicale (endocrinologie, rhumatologie, gériatrie, cancérologie, urgentistes/médecine physique et de réadaptation…)", s'inquiète l'Observatoire.
74% des incidents ont eu lieu dans le cadre de la médecine de ville et 19% au sein d'un établissement de soins. Comme l'an passé, les praticiennes sont légèrement plus touchées que leurs confrères par les incidents violents ; elles représentent 55% des victimes, contre 45% d'hommes.
Par ailleurs, 65% des médecins victimes avaient un secrétariat, ce qui signifie que cela ne diminue pas le danger. Les médecins eux-mêmes sont dans la plupart des cas visés par la violence (89%). Dans 16% des cas, il s'agit d'un collaborateur. 58% des agresseurs sont des patients, 12% sont des accompagnants.
Près de 8 incidents sur 10 relèvent d’atteintes aux personnes : insultes, menaces, pressions, parfois agressions physiques. Les agressions verbales représentent 61% des incidents, et les agressions physiques 5%.
"Les atteintes verbales et menaces dominent, avec un niveau record depuis la création de l’Observatoire", relève l'Ordre. "Les violences physiques existent toujours, mais restent minoritaires (7-8%), ce qui ne les rend pas moins traumatisantes", ajoute le Cnom. Certaines agressions ont même abouti à des déplaquages de praticiens. "Certains ont déplaqué, d'autre l'envisagent ou changent de région", rapporte le Dr Avrane.
L'usage d'une arme est rapporté dans 2% des incidents signalés. Dans sept cas signalés, il s'agissait d'un couteau ou d'un cutter. Six agressions ont eu lieu à l'aide d'une canne, ou encore deux avec un fusil. Parmi les autres armes utilisées on retrouve aussi un revolver, un pot de fleur, un pied de biche ou encore une bouteille en verre.
Les agressions antisémites, non comptabilisées dans l'observatoire sont également regardées de près par le Cnom. "Nous y avons été confrontées, soit sur internet, soit par des patients. A Paris, un certain nombre de plaques ont été taguées par des étoiles de David ou des croix nazies. Il y a eu des plaintes", rapporte le Dr Avrane. "Nous sommes très vigilants là-dessus, nous n'avons pas encore de chiffres mais nous ne restons jamais immobiles", témoigne-t-il. Dans plusieurs affaires de ce type, le conseil de l'Ordre s'est porté partie civile.
Les avis Google
Les agressions sur internet, notamment via les avis Google, sont un autre phénomène regardé de près par le Conseil national. Des chiffres sur ce sujet seront disponibles l'année prochaine. En attendant, l'Ordre y travaille avec le ministère. "Le médecin est soumis au secret médical, il ne doit surtout pas répondre aux avis sinon il risque de se mettre en tort. En revanche, il peut porter plainte", conseille le Dr Avrane.
Les atteintes aux biens (vols, vandalisme) représentent environ 2 incidents sur 10. Les objets les plus volés sont des outils directement liés à l’exercice : ordonnances, tampons, cartes professionnelles... À eux seuls, ils expliquent une partie croissante des déclarations. La falsification de documents, jusque-là marginale, est en très forte hausse en 2024. Elle représente plus d’un quart des incidents déclarés. "On peut espérer qu'avec les ordonnances numériques", ce "type d'incidents évoluent favorablement", commente le Dr Avrane.
Plus de la moitié des incidents ont eu lieu en centre-ville, 22% en milieu rural et 19% en banlieue urbaine.
Un reproche relatif à une prise en charge est le principal motif d'agression signalé (32%). Parmi les autres motifs, on retrouve la falsification de documents (ordonnances, certificats), le refus de prescription d'ordonnance ou de certificat, ou encore le temps d'attente.
Bien que faible, le nombre de plaintes déposées après un incident est en légère augmentation. Ainsi, 681 plaintes ont été déposées en 2024, soit 35% des actes signalés. Une hausse de quatre point par rapport à 2023. 190 plaintes supplémentaires ont ainsi été déposées. "Je me satisfaits de cette augmentation, il y a eu une prise de conscience", se félicite le Dr Avrane, qui martèle chaque année l'importance de porter plainte. "Ça n'est pas forcément pour être sévère mais pour marquer le coup et que cette courbe qui ne cesse d'augmenter commence à diminuer. Il faut agir pour casser cette spirale de la violences", ajoute-t-il. Pourtant, 58% des praticiens admettent ne pas donner de suite aux actes de violences rencontrés.
"Les principaux agresseurs sont des patients et c'est souvent pour cela que les médecins ne portent pas plainte. Le rôle du médecin est de soigner et d'être en empathie avec son patient, c'est difficile pour lui de déposer plainte. Mais nous les encourageons à le faire. Nous prônons la tolérance zéro", commente-t-il, estimant que "les mains courantes ne servent à rien". 147 mains courantes ont pourtant été déposée, soit 7% des incidents signalés. Un chiffre stable par rapport à l'an passé.
Dans 6% des cas, l'incident a occasionné un arrêt de travail pour le praticien. 15 médecins ont même signalé des interruptions de travail supérieures à 8 jours.
Le Conseil national rappelle chaque année l'importance de signaler les violences. Nombre de praticiens ne déclarent toujours pas les incidents rencontrés. "Ces chiffres ne correspondent certainement pas à la réalité, il s'agit de la face visible de l'iceberg. La réalité est sans aucun doute plus importante", conclut le Dr Avrane.
Violence envers les médecins, la loi Pradal durcit les sanctions :
Promulguée le 9 juillet, la loi Pradal vise à durcir la réponse pénale face à des actes perpétrés à l’encontre des professionnels de santé pour des faits de violences, de vol ou d’outrage. Un travail de trois ans en collaboration avec le conseil de l'Ordre. "L'ensemble des demandes formulées ont été reprises dans le texte", se réjouit le Dr Avrane
Ainsi, l'aggravation des sanctions encourues en cas de violences contre les personnels de nombreux établissements de santé (soignants, mais aussi le personnel non-médical) pourrait atteindre dans certains cas jusqu'à 5 ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende. Le Parlement a également approuvé la création d'un délit d'outrage aux professionnels de santé, y compris en libéral. Un dispositif facilitant le dépôt de plainte a également été voté, pour permettre à l'employeur d'un soignant victime de violence de déposer une plainte à sa place.
"Désormais un directeur d'hôpital pourra porter plainte à la place d'un professionnel de santé", se félicite le Dr Avrane. Pour la médecine libérale, il faudra encore attendre le décret mais l'Ordre et les URPS devraient également pouvoir déposer plainte à la place des praticiens libéraux.
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