Cour des comptes.

Installation des médecins, centres de santé hospitaliers, arrêts maladie… Les 5 points clés du rapport de la Cour des comptes sur les soins de premier recours

Les plans se succèdent, les mesures s'accumulent, les aides se multiplient mais rien ne semble enrayer la progression des déserts médicaux… Dans un rapport rendu public lundi 13 mai, la Cour des comptes livre sa prescription. Désormais, l'accès aux soins de premier recours "doit être mis sous tension de résultats" et le soutien financier doit être accordé en priorité aux territoires les plus fragilisés. Quant à l'installation des médecins, elle devrait être conditionnée à l'exercice partiel dans un désert.

14/05/2024 Par Aveline Marques
Cour des comptes.

Depuis le début des années 2000, les "plans", "pactes" et autres "stratégies" se succèdent sans que les difficultés d'accès aux soins de premiers recours* ne soient résorbées. Au contraire, pointe la Cour des comptes dans un rapport publié lundi 13 mai. Le vieillissement de la population et l'augmentation du poids des pathologies chroniques embolisent chaque jour un peu plus les agendas de généralistes libéraux de moins en moins nombreux (- 11.1% entre 2012 et 2022), représentant désormais 70% de leur charge de travail, et obérant leur capacité à prendre de nouveaux patients, à aller vers les plus fragiles et à gérer les soins non programmés. 

De plus, "les demandes en soins non programmés butent sur la modification des pratiques des professionnels soignants dont les périodes d’activité, dans la journée, la semaine ou l’année, sont en décalage croissant avec les exigences des patients", relève la Cour des comptes.

Résultat de ces "tensions" entre une demande de soins croissante et une offre de soins limitée : les délais moyens pour obtenir des rendez-vous s'allongent, la part des patients sans médecin traitant s'accroît (encore plus vite pour les patients en ALD ou bénéficiaires de la C2S), de même que la part de médecins ne prenant plus de nouveaux patients. Débordés, certains praticiens n'hésitent désormais plus à imposer des consultations limitées à un seul motif.

Et malgré les multiples aides à l'installation, les inégalités dans la répartition géographique des professionnels ne cessent de s'accroître. Pour redresser la barre, le rapport formule plusieurs propositions. Voici ce qu'il faut en retenir.

 

Ne plus se contenter de compter le nombre de maisons de santé et de CPTS

Affirmée dès la loi HPST de 2009, "l'organisation des soins de premier recours n'a pas encore été structurée comme une politique publique", déplore la Cour des comptes. "L’absence de suivi statistique et le défaut d’indicateurs d’impact ne permettent pas d’en mesurer les conséquences."

Une stratégie a bien été "esquissée au niveau national" avec la loi Touraine de 2016, la loi Buzyn de 2019 et surtout avec la "stratégie nationale de santé 2017-2022". Mais les bilans effectués se résument bien souvent à "décompter le nombre de dispositifs déployés", détaillant "peu" les difficultés rencontrées et ne rapprochant pas "les résultats obtenus des ambitions affichées, ni même les moyens financiers affectés, qui ne font pas l'objet d'une consolidation", pointe le rapport. "Le contraste est donc important entre l'ambition des mesures annoncées et le 'sentiment d'abandon' que peuvent connaître les habitants de certains territoires", déplorent les auteurs.

Et la Cour de citer l'exemple des maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP), sur lesquelles les politiques publiques ont mis l'accent ces dernières années, avec un objectif affiché de 4 000 MSP d'ici à 2027. En 2022, l'Assurance maladie a versé un total de 125 millions d'euros d'aides à ces structures (un montant plus que doublé par rapport à 2019), avec 72 500 euros en moyenne par MSP. Alors que "cette dépense devrait encore progresser dans les années futures", la Cour des comptes pose la question qui fâche : si ces structures sont indéniablement attractives pour les professionnels, "dans quelle mesure ces MSP ou centres de santé permettent-ils de mieux couvrir le territoire, en termes d’accès à un médecin traitant ou de délais de rendez-vous ? Au regard des rémunérations supplémentaires reçues, sont-elles efficientes ?"

"Plus que l'accumulation de mesures", la juridiction financière appelle donc à bâtir une stratégie nationale assortie d'objectifs chiffrés avec des indicateurs mesurables, déclinée et suivie au niveau de chaque département, et même de chaque territoire. Parce que les difficultés sont "légitimement ressenties comme inacceptables par de très nombreux citoyens", l'accès aux soins de premier recours doit désormais être "mis sous tension de résultats", résume la Cour.

 

Des aides plus sélectives

A mesure que les déserts médicaux progressent, le "champ des bénéficiaires potentiels" des différentes aides (ARS, Assurance maladie, collectivités territoriales) s'élargit et les "critères de sélectivité" s'allègent, pointe la Cour des comptes. Les ZIP et les ZAC, qui conditionnent nombre d'entre elles, couvrent désormais 72% de la population, alors qu'entre 6 et 20%, seulement, rencontrent un problème caractérisé d'accès aux soins d'après la Drees, pointe-t-elle.

Par ailleurs, jugent les Sages, les aides à l'installation ont des "effets décevants". Pour les médecins généralistes plus particulièrement, et malgré des aides significatives d’environ 32 millions d'euros en 2020 au titre des différents contrats, la part des médecins exerçant en ZIP a diminué : à zonage inchangé, la part des médecins dans ces zones représentait 13% du total des médecins généralistes en 2015 et un peu moins de 12,5% en 2021. Le vieillissement plus marqué des professionnels dans les zones déficitaires explique en partie cette évolution. Si les généralistes "primo-installés" dans ces zones représentaient 11% des installations en 2015 et 13% en 2021, ce "léger progrès" "ne permet même pas de stabiliser la part des médecins généralistes dans les ZIP".

"Dans une logique de schéma départemental", il convient de "mobiliser les différentes aides potentielles au service des territoires les plus en difficulté", afin de réduire les déséquilibres, insiste le rapport. Alors que la Cnam n'a de cesse d'alléger les conditions de l'aide à l'embauche d'assistants médicaux, afin de parvenir à l'objectif de 10 000 assistants assigné pour fin 2024 et de libérer du temps médical, la Cour des comptes appelle au contraire à ce qu'une part de ces aides ("par exemple 50%") soit allouée "sur des critères de priorités territoriales".

Elle recommande également de "conditionner l’aide apportée aux différentes structures d’exercice coordonné" à la signature de protocoles de coopération entre les professionnels de santé, les partages d'actes restant insuffisamment développés en France. De même, "les subventions d’équipement accordées aux professionnels de santé par les collectivités locales devraient être, elles aussi, versées en priorité dans les territoires les plus en difficulté".

 

Conditionner l'installation des médecins en zones sur-denses à l'exercice partiel dans un désert

Si la Cour des comptes a par le passé plaidé à de nombreuses reprises pour le conventionnement sélectif des médecins, elle semble avoir mis de l'eau dans son vin. Alors que la démographie médicale s'effondre, il est "difficile" d'augmenter le nombre d'installations en zones sous-denses "tout en assurant le renouvellement des médecins partant à la retraite en zones mieux dotées", reconnaît-elle. D'autant que les effets de ces mesures sont souvent limités par le fait que installations se reportent "en limite de zones sur-dense".

Le rapport propose donc d'aller vers une forme de régulation de l'installation plus acceptable pour les professionnels. "Une option pourrait consister à lier l’installation en zones sur-denses à des engagements de présence régulière dans des cabinets secondaires en zones sous-denses", suggère la Cour. "Une présence minimale équivalant à une journée par semaine dégagerait un temps médical utile de 40 jours par an, soit huit à 10 semaines d’activité à temps plein", souligne-t-elle. Une "obligation" qui serait modulée selon les territoires et qui en pratique, nécessiterait un plan d'équipement public pour la constitution de ces cabinets secondaires, ainsi que la prise en charge des frais de déplacements par l'Assurance maladie.

Ces "consultations avancées" permettraient en outre de développer une part d’activité en téléconsultation, relève le rapport : "La condition de contact préalable avec les patients et les équipes de soins locales étant vérifiée, un relèvement du plafond de 20% autorisé pour l’activité de téléconsultation pourrait être envisagé".

 

Des centres de santé gérés par les hôpitaux… et des médecins payés en partie à l'activité

Dans les territoires les plus en difficultés, où l'installation de libéraux dans la durée est "peu probable", la Cour soulève une autre solution : favoriser l'implantation par les hôpitaux de centres de santé. Etant donné "la faiblesse relative des moyens des hôpitaux de proximité", et le caractère limité des "ressources qui leur sont attribuées au titre de leur mission de soutien aux soins de premier recours étant limitées" (80 000 euros par an, en moyenne), la juridiction financière recommande de confier aux groupements hospitaliers de territoire (GHT) la mission de déployer et de gérer ces centres. Des financements pourraient être fléchés vers cette activité, reconnue au titre de "mission d'intérêt général".

Le "risque", signale toutefois la Cour, est que ces centres rattachés à un établissement hospitalier "ne soient pas suffisamment incités à une gestion efficiente" et que la "productivité" soit "inférieure à la moyenne des praticiens libéraux". Au centre de santé géré par l'hôpital d'Issoudun (Indre), relève la Cour, "le total des consultations fait apparaître un ratio de 12,7 consultations par jour et un ratio de 1,6 consultation par heure d’ouverture alors que la moyenne des cabinets libéraux est supérieure à 3". "L’argument d’une difficulté sociale plus forte de la patientèle, avancé par l’établissement, n’a pas paru véritablement documenté", considèrent les auteurs. Pour cette raison, la Cour recommande d'introduire la possibilité d'une rémunération mixte des médecins dans ces centres, avec une part "indexée sur leur activité".

 

Supprimer les certificats médicaux pour les arrêts de travail courts

Alors que la priorité des pouvoirs publics est désormais de dégager du temps médical, la Cour des comptes remet la question des arrêts de travail courts sur le tapis. Une enquête menée en janvier 2023 par la CPTS de l'Erdre, en Loire-Atlantique, auprès de 19 généralistes, a estimé que 2.6 consultations par semaine et par médecin étaient consacrées à la délivrance de certificats d'absence de courte durée pour les employeurs. Soulignant que le Royaume-Uni ou encore le Québec n'imposent plus de passer par un médecin pour les arrêts de très courte durée, la Cour recommande que le certificat médical soit remplacé "par une simple déclaration du patient". Cela "suppose que d’autres mécanismes de régulation soient adoptés dans les entreprises ou leurs branches, voire au niveau national, avec par exemple l’établissement d’une durée de carence d’ordre public qui généraliserait une période minimale d’un ou deux jours réputés non indemnisables".

 

*"Les soins de premier recours recouvrent, outre les soins des médecins généralistes et de quelques spécialistes en accès direct, les conseils des pharmaciens, les soins infirmiers et de kinésithérapie, les soins dentaires ou ceux assurés par les orthophonistes ou les psychologues", définit la Cour des comptes.

Les médecins doivent-ils arrêter de prescrire les arrêts de travail de moins de 3 jours?

Bastien Pagliano

Bastien Pagliano

Non

Fausse bonne idée pour libérer sans délai du temps medical à un profession submergée... Cela va dans le sens très actuel d'une dép... Lire plus

9 commentaires
3 débatteurs en ligne3 en ligne
Photo de profil de Fabien Bray
5,8 k points
Débatteur Passionné
Médecins (CNOM)
il y a 6 mois
C'et quand même incroyable d'être aveugle à ce point. Les "sages" découvrent enfin que les politiques de santé publique sont mal gérées au niveau central, et mal gérées au niveau des ARS... Quand l'A
Photo de profil de Laurence C
879 points
Débatteur Passionné
Autre spécialité médicale
il y a 6 mois
La cour des comptes réalise maintenant que les ARS donnent des tonnes de fric n'importe comment aux MSP, CPTS, médiateurs en santé et autres danseuses ... sans aucun objectif réel et sans aucune évalu
Photo de profil de Michel Osmin Cougeu
111 points
Médecine générale
il y a 6 mois
A propos de l hôpital d'Issoudun gérant un centre de santé (rapport de la Cour des Comptes): 12,7 consultations par jour soit 1,6 par heure. Quel recul sur le fonctionnement? Toutefois. S' agissait i
 
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