205 millions d'euros versés pour des résultats "inefficaces" : la Cour des comptes tacle les aides à l'installation des médecins libéraux
La Cour des comptes s'est penchée sur les différentes aides à l'installation empochées par les médecins libéraux. Bilan : des dispositifs trop nombreux et à l'efficacité "non démontrée", qui ne répondent "que partiellement aux critères de choix des médecins pour décider de leur lieu d’exercice". Les aides doivent être "recentrées" sur les besoins de santé à l'échelon local, recommandent les Sages de la rue Cambon.
"Coûteuses", pour la plupart "inefficaces" et qui ne répondent "que partiellement aux critères de choix des médecins pour décider de leur lieu d’exercice". La Cour des comptes a réalisé une enquête relative aux "aides à l’installation des médecins libéraux", à la demande de la commission des Affaires sociales du Sénat, faisant suite à une suggestion de la plate-forme de participation citoyenne, à l’automne 2024. Elle a ainsi analysé les aides publiques dont peuvent bénéficier les médecins libéraux en raison de leur installation ou de l’exercice de leurs fonctions, dans des zones identifiées comme prioritaires par les pouvoirs publics sur la période 2016-2023.
Et le bilan est médiocre. "Au moins quinze aides différentes (en termes de conception, de gestionnaires, des zones où elles s’appliquent) se juxtaposent, qu’il s’agisse d’aides accordées aux jeunes médecins (ou aux étudiants en médecine) pour qu’ils s’engagent à s’installer et à rester dans des territoires manquant de médecins ('zones sanitaires') ou d’exonérations fiscales portant tant sur les bénéfices non commerciaux (BNC) des médecins libéraux que sur la fiscalité locale, et attribuées en raison de leur installation dans des zones à finalité économique ('zones économiques')", relève la Cour, dans son enquête publiée mercredi 12 novembre. Elle note que les zones d’éligibilité à ces aides, telles que les zones franches urbaines, "ne coïncident pas nécessairement avec les zones sanitaires définies".
En plus des aides nationales, les initiatives locales se multiplient à toutes les échelles de collectivités, pour attirer et fidéliser des médecins généralistes libéraux. Mais elles ne sont pas recensées et ne s’inscrivent pas dans une stratégie globale, remarque la Cour des comptes. "Il n’existe à ce jour aucune base de données permettant de connaître, ne serait-ce que de façon approximative, le nombre de ces dispositifs, ni quels montants d’aides ou d’investissements ils représentent", soulignent les Sages. "Cette absence de connaissance des dispositifs d’aide[s] locaux et des montants engagés peut conduire à des effets contreproductifs tels que des concurrences coûteuses entre collectivités, au point de susciter des 'chartes de non-concurrence', comme pour les métropoles d’Orléans ou de Chartres", relève l'enquête.
Cette "superposition" des aides, qu'elles soient nationales ou territoriales, "accentue la confusion et engendre des concurrences inopportunes entre les dispositifs comme entre les territoires", insistent les Sages de la rue Cambon, qui pointent par conséquent une "relative inefficience" des dispositifs. "Le nombre des divers régimes d’aide[s] et leur absence de cohérence les rendent peu compréhensibles et opaques, ce qui entraîne leur méconnaissance de la part des jeunes médecins en phase d’installation", ajoute la Cour, qui précise que de nombreuses études (Drees, Insee, Cnom…) s’accordent à dire que les aides financières à l’installation sont peu efficaces.
Selon la Drees, deux déterminants conditionnent le choix du lieu d’installation des médecins généralistes : un déterminant professionnel (la qualité et la quantité de travail que peut espérer un médecin sur un territoire) et un déterminant personnel (proximité familiale, facilités pour le conjoint...). Dans ce contexte, "si les aides financières et logistiques ne constituent pas un motif d’installation très important pour les médecins généralistes, il est mentionné près de trois fois plus par les moins de 40 ans que [par] les autres. Il n’est, par ailleurs, pas plus mis en avant par les médecins exerçant en zones sous-denses que [par] les autres", indique la Drees, dans une étude de 2021.

Certaines aides financières démontrent toutefois leur utilité, relativise la Cour des comptes ce mercredi. Tel est le cas de celles attribuées par l’Assurance maladie, qui en a amélioré la configuration dans la convention de 2024 et qui sera applicable à partir du 1er janvier 2026. C’est aussi le cas des bourses d’études financées par l’État, notamment du contrat d'engagement de service public (CESP), mais ce sous réserve d’un plafonnement de leur durée (10 ans d’études suivis de 10 ans d’exercice en zone sous-dense) et d’un contrôle plus rigoureux du respect des engagements pris par le jeune médecin qui en a bénéficié, précise la Cour des comptes.
L’exonération fiscale des revenus perçus au titre de la participation à la permanence des soins ambulatoires (PDSA) est également pertinente dans les zones sous-dotées en médecins, est-il indiqué dans l'étude. Près de 9 000 médecins en bénéficient, pour un coût d’exonération de 31,2 millions d'euros, ce qui correspond à une réduction d’impôt moyenne par praticien de 3 500 euros.
Contrat de début d'exercice, exonération sociale...
En revanche, les aides fiscales dirigées vers les zones sous dotées ne produisent aucun effet tangible dans la lutte contre les déserts médicaux. D'autres mesures proposées par l’Etat sont très peu mobilisées, comme le contrat de début d’exercice et l’exonération sociale pour les installations en zone sanitaire prioritaire (ZIP ou ZAC). La Cour recommande en conséquence de supprimer toutes les aides fiscales, à l’exception de celle applicable aux revenus de la PDSA, et les aides peu utilisées.
"Le dispositif national de pilotage des aides aux médecins libéraux est trop éloigné des situations concrètes rencontrées sur le territoire, de l’évolution des besoins et de l’offre de soins, ainsi que des réponses pragmatiques que peuvent concevoir les parties prenantes locales", estime la Cour des comptes. Elle plaide donc pour un "recentrage sur les besoins de la population et sur la coordination pluriprofessionnelle, à un échelon local pertinent". Le rapport appelle ainsi à une concertation entre les financeurs pour établir, "d'ici la fin 2026, un schéma départemental", en leur fournissant une base de données commune. Il suggère aussi d'enrichir les critères des zonages pour mieux coller aux besoins de santé prioritaires des territoires.
Les aides devraient aussi être "ciblées sur les facteurs favorisant l'installation de[s] médecins", ces derniers recherchant de plus en plus "l'exercice collectif" en maisons de santé pluridisciplinaires (MSP) ou en centres de santé, ajoute la Cour, qui ne juge "plus pertinent d'aborder de manière distincte l'exercice médical libéral et l'exercice salarié".
"L’approche demeure trop monoprofessionnelle et cloisonnée entre l’exercice libéral et l’exercice salarié de la médecine, de même qu’entre la médecine de ville et l’hôpital. La rareté des ressources et l’urgence à apporter des solutions aux patients appellent à la coopération territoriale, donc au décloisonnement", conclut la Cour.
Les aides en quelques chiffres :
En 2023, 15 000 médecins et 2 000 étudiants ont bénéficié soit des aides de la Cnam, soit des exonérations fiscales, soit des deux, pour un total d’aides de 205 millions d'euros. Sur ce total, 12 500 généralistes ont reçu 114,5 millions d’euros d'aides. Ce nombre de médecins aidés est à rapporter aux 102 000 médecins généralistes actifs installés, libéraux et salariés au 1er janvier 2025.
Parmi l’ensemble des médecins percevant des aides, 83% sont des généralistes qui ont reçu 77% de l’ensemble des aides. 3 000 d’entre eux ont perçu 60% des aides de l’Assurance maladie et des aides fiscales.
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