"On se demande si ça vaut le coup de faire ce métier" : témoignages de la promo "crash test" de la réforme de la Paces

16/12/2020 Par Marion Jort
PASS/LAS
“Pronostic mental engagé”, martèle l’Association nationale des étudiants en médecine de France depuis plusieurs semaines. Si la santé mentale est au cœur de l’actualité depuis la crise du coronavirus, les étudiants en première année d’étude de santé, candidatant à la filière médecine notamment, sont particulièrement concernés. Promotion “test” de la réforme de la Paces, ils cumulent cours en distanciel, réforme mal préparée et mise en œuvre, défaut d’information, pandémie et confinement. Ces jeunes témoignent de leur abattement et de leur découragement pour Egora. 

  Lorsque nous avons posé la question aux actuels Pass et aux redoublants Paces de savoir comment ils vivaient leur année, nous ne nous attendions pas à une avalanche de réponses unanimes. La Paces, portail d’entrée aux études de santé jusqu’à l’an dernier, était réputée pour être difficile, injuste, essorante. Mais ses remplaçantes (puisqu’il existe maintenant deux voies d’accès aux filières de santé, les Pass et les Las), le sont tout autant. Désormais en effet, les étudiants ont le choix entre le modèle similaire à l’ancienne Paces, la Pass (Parcours d'Accès Spécifique Santé), une option en plus (droit, économie, langues…) et le numerus clausus en moins… Ou une Las (Licence avec accès santé) : une licence majeure du choix de l’étudiant avec une option santé, via laquelle il pourra prétendre à une “passerelle” pour rejoindre les études de santé de son choix. Rajoutez à cela une “autorisation spéciale” pour les Paces doublants de l’an dernier de redoubler sous ce régime. Cette année, il existe donc trois moyens de candidater aux filières médecine, maïeutique, odontologie, pharmacie et kiné. 

Sur le fond, cette réforme du premier cycle présentait des objectifs ambitieux : diversification des profils des futurs soignants, plus d’égalité des chances et de prise en compte de la santé mentale des jeunes en mettant fin au couperet du numerus clausus et du concours, notamment. Mais, quatre mois après la rentrée, force est de constater que les objectifs sont loin d’être atteints. L’Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf) ne le cache pas : rien ne va. Les étudiants sont mal informés, dans le flou, les programmes ne sont pas ficelés, les composantes des UFR ne travaillent pas entre elles. Le dernier numerus clausus qui était attendu en novembre, n’a toujours pas été communiqué. Idem pour les “capacités d'accueil" en deuxième année, déterminant le nombre d’étudiants autorisés à passer. Et puis, la situation sanitaire inquiète, les cours ont lieu en distanciel, les TP et TD sont annulés. Les jeunes Pass et Las ne connaissent quasiment personne de leur promotion. Une situation qui provoque, chez eux, désarroi, abattement, découragement et même idées noires.  “Un carnage”. Voilà comment Salomé, en Pass à Besançon, décrit sa situation, soulignant le fait qu’il n’existe “aucune égalité depuis le début de l’année”. Comme elle, Justine*, en Pass, est “démoralisée” et confie ne plus compter le nombre de fois où elle a “craqué” depuis la rentrée scolaire. “Les cours de la Paces sont déjà très complexes, c’est difficile à gérer. Et en plus de ça, on a une licence à part qu’on doit aussi réviser, apprendre par cœur. C’est comme si on faisait un double cursus contre notre gré”, déplore-t-elle. 

Au programme déjà bien chargé de la Pass en effet (reprenant le plus souvent celui de la Paces, car les facultés n’ont pas eu le temps de les adapter malgré la réforme), les candidats aux études de santé doivent travailler leur matière mineure. En cas de non-admission en médecine, maïeutique, odontologie, pharmacie ou kiné, c’est cette dernière qui leur permettra d’éviter le redoublement et de poursuivre directement en deuxième année de la matière choisie. “Le fait d’avoir plus d’heures que les années précédentes, d’avoir plus de chapitres à apprendre, d’être en confinement, de ne pouvoir être en contact avec les enseignants… ça m’a presque détruit moralement. Je n’en peux plus. En vous écrivant ce message, je pleure, à cause de l’impuissance de ne pouvoir rien faire et de devoir subir cette situation qui me fait du mal”, poursuit Justine. Impuissante… et insuffisamment informée. Depuis septembre, c’est la “pêche aux infos” pour tout, raconte Léo, en Pass à Marseille. Les programmes ? “On ne sait pas”, lui répond-on. La date des examens ? “Idem”. L’admission en deuxième année ? “Encore moins”, détaille-t-il. “En fait, on navigue complètement à vue. Si on avait que ça à faire… Mais là, on se bat déjà avec nos révisions, le distanciel sans voir nos profs, les problèmes techniques, comprendre comment fonctionne notre réforme, quand est-ce qu’on aura telle ou telle info… Franchement, il faut s’accrocher”, confie-t-il. Du côté des Las, souvent mal encadrés par leur licence de tutelle, considérant que les problématiques liées à l’option santé ne sont pas de leur ressort, la situation est tout aussi compliquée. Chloé* en Las espagnol raconte avoir choisi cette voie par défaut, juste pour pouvoir faire médecine car sa faculté ne proposait pas la Pass. “On pourra nous dire que cela nous sert à ne pas perdre une année si on loupe médecine, mais le seul constat qu’on peut faire dans la promo c’est qu’il n’y a seulement quelques élèves qui désirent continuer cette licence en cas d'échec. Les facultés qui nous accueillent ont du mal à comprendre que nous ne sommes pas des élèves comme les autres. Les charges de travail sont importantes et nous ne pouvons pas négliger la majeure si nous ne sommes pas classés aux épreuves de médecine. Résultat : le temps qu’il nous reste pour travailler nos cours de médecine est très restreint. Ça nous oblige à faire des journées interminables. Cette réforme qui devait nous permettre des conditions d’études meilleures est tout simplement un échec”, témoigne l’étudiante, qui se décrit “fatiguée”, “à bout” et passant ses journées complètement “renfermée”.

De plus, l’égalité des chances n’existe pas vraiment entre tous les candidats en Pass ou en Las, car en fonction de la matière choisie pour les options mineures ou majeures, le volume horaire de cours et les conditions d’évaluations ne sont pas les mêmes. “Certains n’ont que deux heures de cours par semaine, tandis que d’autres en ont dix, par exemple. Les modalités d’évaluation diffèrent aussi les unes des autres”, explique Salomé. Une situation qui fait dire à Sara que les étudiants ont l’impression d’être à “l’usine”, contraints de “se démerder”. “Nous n’avons pas de temps pour quoi que ce soit. Il y a un épuisement psychologique, physique. Ceux qui sont bons en médecine sont ceux qui ne s’occupent pas de la mineure, mais sans mineure… pas de deuxième année. Le niveau a baissé”, constate-t-elle. “C’était déjà dur à gérer et puis il y a eu le reconfinement. Ça a tout chamboulé. Beaucoup ont abandonné. On a l’impression d’être submergés, de couler, de sombrer dans quelque chose sans fin. Certains ont été mis sous traitement pour réduire l’anxiété et les crises, qui, malgré le relativisme, se déclenchent sans raison parce que le corps n’en peut plus”.  Découragement d’une future génération de soignants Tous sont d’ailleurs unanimes : les abandons s'enchaînent depuis le mois de septembre. Pas uniquement parce que la filière est sélective, mais bien à cause de cette situation multifactorielle. “Des passions s’éteignent, les dépressions s’entassent et on réduit au silence les jeunes. C’est aussi simple que cela”, affirme Sara. La jeune femme l’avoue, elle fait partie de ceux qui “ont été sous cachet”. “On m’a sous-entendu que je n’avais pas ma place en santé si j’étais dans cet état… Mais j’ai réussi à ne rien lâcher, parce que malgré tout, ce que je fais me passionne”, précise-t-elle fièrement Déjà dans l’incertitude, Léa, en Pass à Montpellier, reconnaît se poser des questions. “Avec tout ce qu’il se passe en ce moment dans les hôpitaux, les témoignages d’internes, les salaires dans les études supérieures, le harcèlement…  “On se demande si ça vaut vraiment le coup de faire ce métier, si ce n’est pour foncer vers une vie de déprime, de burn-out”, lâche la jeune femme, expliquant sans détour, qu’elle a “peur pour [son] avenir”. Depuis quelques mois, Emma, en Las biologie à Angers, voit elle aussi le stress lui “bouffer la vie”. “Je fais des blacks out, je dors beaucoup moins, je développe des tics…”, raconte-t-elle. “Le pire, c’est que ma fac m’a appelée pour déjà me dire qu’il fallait que je trouve un plan B, car mon projet professionnel n’est pas adapté à mes résultats. Je veux devenir kiné, mais cette année seules cinq places ont été accordées aux Las. En septembre, j’avais pourtant été admise en Pass et en Las”, témoigne-t-elle. “Je me demande comment ils veulent former des médecins avec une formation comme ça. Ils forment des machines qui perdent espoir, joie. Comment voulez-vous faire des soins de qualité avec des étudiants épuisés ? Comment voulez-vous donner envie d’être médecins ou de ne pas dégoûter des gens dont c’est le rêve, comme moi, de devenir médecin avec les conditions d’études qui nous attendent”, enchaîne Léa, amère. 

Leur santé mentale est à tel point impactée par la situation que beaucoup ont perdu.. . le fil de leur année, quatre mois à peine après la rentrée. “J’ai arrêté de rendre certains devoirs. Je passe mes journées sur mon ordinateur à faire des cours en ligne sur Zoom”, raconte de son côté Mick, en Las Allemand. “On a l’impression d’être une promotion ‘crash test’ sacrifiée’”, tranche Nadia*, en Pass à Lille. “Avec le confinement, c’est d’autant plus compliqué. On se sent seuls, isolés et angoissés. On sacrifie notre santé mentale sans aucune garantie de réussite derrière”, ajoute-t-elle.  Découragés, à bout, les étudiants en viennent presque à regretter le modèle de la Paces et la réforme. “Diversifier les profils ? Tout ce qui va être fait, c’est le contraire. Tous ceux qui arriveront en médecine seront des bourrus de travail parce que cette réforme empire les choses. Lorsque nous avons fait remonter les choses à la fac, on nous a répondu d’aller voir les psys. Et là-bas, ils ont ignoré notre appel à l’aide en nous faisant comprendre que les études de santé c’était dur et qu’il fallait s’y faire”, raconte Sara. “Je pense que nous pouvons résumer notre situation en une seule phrase : que va-t-on faire de nous ?”, conclut Ian*.   *Les prénoms ont été modifiés.  

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