
"Nous n'avons pas de leçons à recevoir de vous" : la réponse des jeunes médecins à la tribune de deux PU-PH
Dans une tribune publiée par Le Monde le 7 mai, les Prs Didier et Jean-François Payen, anesthésistes, se positionnaient en faveur de la régulation de l'installation des médecins, et expliquaient trouver "logique" de demander aux jeunes praticiens "une redevance d'exercice au début de leur carrière au titre de l'aide financière reçue pendant leur formation". Un non-sens pour le syndicat des jeunes médecins installés et remplaçants Reagjir*, qui leur répond dans une tribune.

Messieurs les PU-PH, les jeunes médecins n’ont pas de leçons à recevoir de vous !
Alors que la proposition de loi Garot prévoit la mise en place d’un système de régulation à l’installation, l’ensemble de la profession s’est mobilisée pour dénoncer cette mesure démagogique et dogmatique.
Toute la profession ? Non !
Deux PU-PH ont cru bon de publier une tribune à charge contre les jeunes médecins, trouvant leur colère "déplacée" du fait qu’ils seraient redevables à la société.
Pour justifier leur position, les deux professeurs émérites enchaînent les poncifs, faisant preuve d’un jeunisme à toute épreuve.
Les médecins seraient redevables à la société pour leurs études payées par l’Etat.
Cet argument, récurrent dans les débats, s’avère des plus déplacés venant d’anciens chefs de services qui savent très bien que le fonctionnement hospitalier dépend entièrement de la main d’œuvre que représentent les internes. Ces derniers font ainsi économiser entre 210 000 et 366 000€ à l’Etat par leur engagement sans faille au détriment de leur santé.
Il est vrai que l’Etat finance les facultés de médecine, comme toutes les autres filières universitaires, ainsi que les classes préparatoires. Cependant l’exploitation des étudiants et internes lors de leurs stages compense largement cet investissement. Durant l’externat, un étudiant en médecine est rémunéré en moyenne 2,76€/h, contre un tarif fixé 4,35€/h pour les stagiaires des autres filières hors santé. Les internes travaillent en moyenne 59h/semaine, alors que la limite réglementaire, calquée sur le droit du travail, est censée être de 48h/semaine. Pour ce travail acharné à minimum bac +6, ils sont rémunérés aux alentours de 8 à 9€/h, soit bien en deçà du SMIC horaire à 11,88€/h. Logiquement, les internes présentent des signes d’alerte inquiétants concernant leur santé mentale : 27% d’épisodes dépressifs caractérisés, 66% de burn-out, avec près d’un suicide tous les 18 jours, dans le plus grand silence.
Messieurs les PU-PH, à quel moment ces étudiants exploités seraient redevables de quoi que ce soit à la société ?
Les déserts médicaux seraient liés à l’abandon des territoires par les médecins.
Il est plutôt surprenant et malaisant de recevoir des leçons sur le maillage territorial des installations de la part de professeurs ayant construit leur carrière bien au chaud derrière les murs des CHU, localisés au cœur des grandes villes françaises. Serait-il utile de rappeler que l’ensemble des CHU ultra urbains de France embauchent encore des médecins ? Alors que l’exercice libéral a diminué de 15% entre 2012 et 2021, le salariat exclusif a quant à lui augmenté de 15%, quasi exclusivement du fait de l’augmentation de l’exercice hospitalier. A n’en pas douter, les CHU sont les premières zones médicalement sur dotées de France ! Si l’on suit ce raisonnement, pourquoi ne pas également réguler l’offre hospitalière en interdisant toute embauche de médecin dans les hôpitaux localisés dans les zones non classées comme sous dotées (4 580 communes, soit 1 commune sur 7) ? Étrangement cette proposition n’est pas étudiée par les auteurs, qui préfèrent blâmer la médecine de ville, pourtant présente sur l’ensemble du territoire.
En 10 ans, le nombre de médecins spécialistes a cru de 6,4% tandis qu’il a diminué de 5,6% pour les médecins généralistes. Pourtant, ces derniers restent les professionnels de santé les mieux répartis en France, avec un différentiel de densité de 1,7 entre les 10% des départements les mieux dotés et les 10% les moins bien dotés, contre 3 pour les infirmiers et 2,8 pour les kinésithérapeutes malgré leur système de régulation. 98% de la population habite à moins de 10 minutes d’un médecin généraliste. Il n’existe aucun territoire de santé dépourvu de médecin généraliste. Quant à la comparaison avec les autres professions de santé, le choix de leur régulation à l’installation est né d’un accroissement massif de leur démographie libérale. Entre 2010 et 2023, le nombre d’infirmiers libéraux a augmenté de 49%, pour les kinésithérapeutes de 51%, pour les sages-femmes de 144%. Sur la même période, ce chiffre a diminué de 5,2% pour les médecins généralistes. Les comparaisons n’ont de sens qu’une fois étudiées en profondeur, et non en cédant aux biais d’interprétation !
Plutôt que d’accuser les jeunes pour des difficultés dont ils ne sont absolument pas responsables, peut-être serait-il plus pertinent d’étudier la responsabilité du monde hospitalo universitaire dans les inégalités territoriales, de par sa volonté de centraliser l’ensemble de la formation dans les CHU urbains, plutôt que de s’ouvrir à une universitarisation des territoires ? Notons que l’extrême majorité des stages de 2e cycle des études médicales doit encore être réalisée au sein des CHU, que les carrières universitaires restent forcément liées à un exercice en CHU, que seule la filière universitaire de médecine générale s’est ouverte à la ville contrairement aux autres spécialités, et que les PU-PH auteurs de cette tribune ont également eu leurs études payées par l’Etat, sans avoir été redevables de quoi que ce soit.
Les jeunes médecins proposent donc aux PU-PH outrés par la position des étudiants, internes et médecins de ville, d’aller participer à l’effort de lutte contre les déserts médicaux en allant exercer dans les zones sous dotées afin de rendre à la société ce qu’elle leur a donné, notamment en finançant l’ensemble de leur carrière dans le service public dans des zones surdotées en ultra spécialistes émérites.
*Regroupement Autonome des Généralistes Jeunes Installés et Remplaçants.
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