"Je veux juste faire mon métier" : médecins étrangers, ils dénoncent la réforme "merdique" qui menace leur intégration

Des contrats d’un mois, six semaines, trois mois, des horaires à rallonge, des gardes tous les 15 jours ou 3 semaines, le tout pour moins de 1 300 euros bruts mensuels de salaire de base… Depuis leur arrivée en France en 2019, Sofia et Inès*, 30 et 40 ans, enchaînent les contrats précaires dans les hôpitaux, alors qu’elles sont toutes deux praticiennes à diplôme hors Union Européenne (Padhue). Médecins généralistes dans leurs pays d’origine, l’Algérie et le Maroc, elles ont en effet toutes les deux fait le choix de venir exercer en France pour suivre leurs maris respectifs.
Les deux jeunes femmes savaient qu’elles allaient devoir passer par l’épreuve de vérification des connaissances (EVC), un concours nécessaire pour faire valider leur diplôme sur le territoire. A leur arrivée néanmoins, comme c’est généralement le cas, toutes deux trouvent rapidement du travail. “J’ai commencé comme ‘stagiaire associée’ et j’ai eu un poste très rapidement. A l’époque, j’avais un visa étudiant et pour légaliser ma situation, il fallait que je retourne en Algérie faire une demande de visa. L’hôpital avait tellement besoin de médecins à cette époque qu’ils m’ont recrutée avec mon visa étudiant et m’ont aidée dans mes démarches”, se souvient Sofia. Le constat est le même pour Inès, qui a laissé derrière elle son cabinet libéral : "J'ai commencé par un contrat de six semaines de ‘faisant fonction d’interne’ (FFI, ndlr). On m’a dit à ce moment que je n’étais pas à l'abri d’une bonne surprise. Cela voulait juste dire que si on faisait nos preuves, on pouvait rester à l'hôpital. C’est vrai, puisqu’à l’heure actuelle, je suis toujours FFI”, sourit la généraliste.
La même année, le ministère a décidé de mettre fin au statut de FFI, ne souhaitant plus y avoir recours. "Impossible à tenir en réalité, on ne pouvait pas vider les services”, poursuit Inès. Devant la vive opposition du milieu hospitalier, le ministère a accordé la possibilité de maintenir les FFI pendant deux années supplémentaires, jusqu’à 2022 et l’entrée en vigueur de la réforme de la procédure d’autorisation d’exercice des praticiens diplômés hors de l’Union européenne. Car cette réforme vient intégralement bousculer les EVC. Si les lauréats du concours devaient, jusque-là, démarcher les hôpitaux pour effectuer leur stage de consolidation et le réalisaient bien souvent là où ils étaient déjà en poste sous un statut précaire, ce n’est plus le cas. Leur durée ramenée de trois à deux ans, ces stages fonctionnent désormais par liste, que les candidats peuvent choisir selon leur classement. Objectif : permettre une meilleure répartition de ces médecins étrangers sur le territoire français, pour notamment venir en aide aux établissements en pénurie de personnel soignant.
Terrains de stages fantôme
Une idée louable sur le papier… “Mais c’est là que les choses ont tourné au vinaigre”, ironise Inès. Sofia et elle ont passé le concours en décembre dernier. Admises dès leur première tentative comme 1 700 autres Padhue sur les 4 000 candidats au total, elles étaient toutes deux fières et soulagées de savoir qu’à l’issue des deux ans de leur phase de consolidation, elles pourraient soumettre leur dossier à l’Ordre, obtenir un numéro RPPS, exercer et s’éloigner de la précarité. Encore faut-il trouver un stage pour deux ans… “Ils nous ont imposé une liste, excusez-moi du terme, merdique”, souffle la généraliste marocaine. “En la voyant, je me suis dit qu’ils s’étaient trompés”, renchérit Sofia. Comme pour les internes Français, les Padhue doivent effectuer une consolidation dans les spécialités qui servent à valider le DES** de médecine générale : gynécologie, pédiatrie, urgence, médecine polyvalente, etc. “Mais avec ce qu’ils nous ont proposé, on sait qu’ils ne valideront pas notre dossier dans deux ans !”, s’agace Sofia.
Les 366 terrains de stages proposés aux généralistes, Inès les a étudiés un par un et elle est tombée des nues. Sur la forme, d’abord. “Il y a des hôpitaux où il est simplement indiqué le nom, pas d’adresse, pas de service, pas de détail. Pour un autre, on nous met le numéro Finess, sans le nom de l’hôpital. Après des recherches sur Internet, on se rend compte que le numéro est faux.” Les désillusions s’enchaînent, des mentions étranges, des hôpitaux homonymes dont les adresses sont erronées… Les exemples sont nombreux. Logiquement, les lauréats des EVC se concentrent donc sur les terrains ouverts restants et “existants”.
Sauf que… certains chefs de service n’étaient même pas au courant qu’ils étaient dans la liste et refusent de les accueillir. Beaucoup de Padhue sont aussi tombés sur des stages qui n’existent tout simplement pas dans la réalité. Certaines unités ont par ailleurs fermé depuis l’édition de la liste finale. Pire : les autres stages proposés relèvent...
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