"200 euros net pour 5 heures" : au-delà des clichés, la réalité d’un généraliste intérimaire aux urgences

17/12/2021 Par Dr Pierre Francès
Courriers des lecteurs
Médecin généraliste installé à Banyuls-sur-Mer, le Dr Pierre Frances prête régulièrement main forte aux urgences du CH du Perpignan. Lecteur d’Egora, il a tenu à réagir au témoignage du Dr Mathilde Winter, publié le 3 décembre dernier, et à répondre à tous ceux qui rendent les médecins libéraux responsables de la surchauffe hospitalière.

  "Le 3 décembre notre consœur le Dr Winter nous exposait ses difficultés dans la prise en charge des patients aux urgences. Son témoignage, très émouvant par ailleurs, nous a montré les difficultés rencontrées par les médecins travaillant au sein des services d’urgence. Malheureusement la situation décrite par cette collègue n’est pas isolée et doit conduire à avoir une réflexion rapide et constructive pour éviter des erreurs médicales ou des prises en charges inadaptées.   Nos décideurs ne prennent pas réellement en compte la réalité d’une situation qui devient ingérable Notre Président lors d’un déplacement, dans un but électoraliste, a reconnu que la pénurie des médecins était la problématique la plus importante de notre pays. Nous ne pouvons que reconnaître cette situation, mais ce qui est quelque peu perturbant est sa position concernant les médecins intérimaires. Il affirme que ces derniers sont à la recherche de profits, et jamais il n’a eu l’idée de savoir qui ils sont, et comment ils travaillent. Il faut savoir qu’en tant que généraliste j’interviens de manière régulière au sein du centre hospitalier de proximité (Perpignan) en prenant en charge les patients des urgences. Depuis le mois de juin 2021 mon salaire en tant qu’intérimaire a été modifié : je touche 20% de moins et sur 5 heures je reçois 200€ net. Cette rétribution est ridicule à mon sens compte tenu du travail fourni. Comme notre consœur je n’ai pas le temps de me reposer, et pire on me fait comprendre qu’il serait opportun d’en faire un tout petit plus (c'est-à-dire prolonger ma présence d’une heure) pour achever la prise en charge de patients complexes. A côté de cette situation, je remarque qu’au fil du temps le millefeuille des administratifs devient de plus en plus important. On a des chefs de communication, d’informatique, de relations avec le public…. et tout aussi dramatique des personnes qui, pour montrer qu’elles sont utiles, demandent aux urgentistes des documents informatiques supplémentaires pour faire des statistiques. Depuis des années les médecins qui travaillent en milieu hospitalier demandent une réduction de ces petites mains souvent inutiles et très couteuses. Malheureusement, rien n’est réellement effectué, et grâce à un compérage il est possible de placer les amis à des postes qui n’apportent aucune valeur ajoutée. Tout aussi déroutant est le langage des politiques qui ne cessent de dire qu’ils font le nécessaire pour donner plus de pouvoir aux médecins et a contrario réduisent le nombre de lits d’hospitalisation. Ils oublient que la population vieillit, et qu’il se pose la question de la dépendance à laquelle aucune réponse n’a été donnée par nos décideurs.   Les médecins hospitaliers et libéraux sont épuisés Le mal être très bien décrit par le Dr Winter est celui que je rencontre également parmi les urgentistes (nombreux sont ceux qui travaillent à ½ temps ou à 75%) au sein des urgences du CH où je travaille ponctuellement. Ces confrères ont des difficultés pour boucler les journées qui sont interminables et harassantes, et qui imposent en plus de leur temps médical un temps supplémentaire pour placer les patients. Tout aussi éprouvant est de voir les jeunes internes qui au décours de leur formation doivent se frotter aux urgences. Ils ont des difficultés à accepter ce stage qui est très précoce dans leur cursus et dans de nombreux cas peu supervisé Comment peut-on accepter qu’un étudiant de 7ème année (c’est son premier stage où il prend des responsabilités) puisse prendre en charge des patients avec une importante autonomie, cela alors que le médecin traitant qui a de l’expérience ne sait pas par quel bout le prendre ?  Bien entendu on peut répondre qu’il est important de superviser ces futurs confrères, mais de quelle manière est-il possible de le faire lorsque la file active de patients est démesurée ? Je me rappelle avoir eu à gérer 30 patients à 9 heures, patients qui n’avaient pas pu être consultés depuis 21 heures la veille. A côté de ce travers on souhaite également culpabiliser les médecins traitants qui « ne joue pas nécessairement le jeu » et envoient les patients rapidement vers les urgences pour s’en débarrasser. On oublie que le généraliste a pour rôle d’améliorer la santé de ses patients. Or, depuis quelques décennies nous remarquons qu’il a un rôle social de plus en plus important. Les familles refusent de gérer les parents dépendants et demandent à la société, par le biais des médecins libéraux, de s’en occuper. Dans ce cas de figure il est impossible d’assurer un tel type de gestion à domicile, et nombreux sont les confrères (j’en suis) qui orientent de ce fait ces patients vers les urgences. Compte tenu du nombre moins important de médecins libéraux la gestion des certains patients devient difficile, et les médecins doivent jongler avec des horaires souvent à rallonge pour essayer (cela n’est parfois pas possible) de prendre en charge la totalité des patients en difficulté. Dans ce contexte, un député LREM a eu une idée qu’il pensait géniale. Pour désengorger les urgences, il donne un forfait de 60€ au centre hospitalier, cela pour réorienter les patients ayant des pathologies peu importantes vers un généraliste (on oublie qu’il est aussi débordé) pour la modique somme de 25€. Ce député n’a pas à l’idée que ces patients ont souvent un médecin traitant qui ne peut les recevoir du fait d’une charge de travail trop importante. En 2021, il est difficile de voir un médecin qui se tourne les pouces et attend les patients ! Comme quoi on se moque des médecins et on ne prend pas en compte des réalités d’un quotidien de plus en plus difficile à gérer."

 
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