
SMS confidentiels entre ministres, rôle secret du Pr Raoult... Le livre choc qui dévoile les dessous de la crise Covid
Gérard Davet et Fabrice Lhomme, deux journalistes d'investigation au Monde, ont publié ce mercredi 22 janvier un livre-enquête, intitulé Les Juges et l'assassin, sur la gestion de la crise du Covid en France. Eléments inédits à l'appui, ils dévoilent les dysfonctionnements au plus haut sommet de l'Etat.

Alors que l'enquête de la Cour de justice de la République (CJR) sur la gestion de la crise sanitaire du Covid – qui visait l'ancien Premier ministre Edouard Philippe ainsi qu'Agnès Buzyn et Olivier Véran –, a été clôturée le 30 décembre sans aucune mise en examen, deux journalistes d'investigation au Monde reviennent sur cette procédure qui aurait dû rester secrète. Dans Les Juges et l'assassin (ed. Flammarion), paru ce mercredi 22 janvier, Gérard Davet et Fabrice Lhomme dévoilent des éléments inédits qui ont été portés à l'attention des trois magistrats de la CJR, seule instance habilitée à juger des membres du Gouvernement en exercice ou non, dans le cadre de cette instruction au cours de laquelle "rien n'a jamais fuité en cinq ans".
"On a découvert dans le dossier judiciaire des éléments parfois secret-défense, parfois tout simplement inédits, des échanges de mails ou de SMS au plus haut niveau de l'Etat, les secrets des conseils de défense ou de conseils des ministres…", a expliqué Fabrice Lhomme, ce mercredi, dans le Grand Entretien de France Inter, faisant part du "sentiment de vertige" que son confrère et lui ont ressenti lorsqu'ils en ont pris connaissance. "Tous ces éléments éclairaient d'un jour totalement nouveau la gestion de la crise du Covid, surtout les six premiers mois, de janvier à juillet 2020. Cela donne une lecture tout à fait différente de cette affaire."
"Les juges vont rendre leur verdict a priori au printemps 2025", a poursuivi Gérard Davet. "Mais il y aura probablement un non-lieu général. Pour autant, est-ce que ça veut dire que cette enquête n'était pas utile ? Nous considérons qu'au contraire, elle est extrêmement éclairante."
Pendant cinq ans, les trois magistrats ont rassemblé un million de documents secrets et convoqué des centaines de personnes. A la lumière de ces éléments auxquels ils ont eu accès, les auteurs des Juges et de l'assassin mettent en évidence les dysfonctionnements de l'Etat dans les tout premiers mois de cette crise sanitaire. D'abord sur la question des masques. "Nous avons extirpé des documents qui prouvent qu'en septembre 2019, d'ores et déjà, il y a des agences de l'Etat qui disent qu'il ne faut pas reconstituer les stocks de masque, on ne le fait pas' pour des raisons purement budgétaires", a indiqué Gérard Davet sur France Inter.
Des recommandations "restées lettre morte"
Et ce, alors même qu'une cinquantaine de rapports, plans d'action et circulaires prédisaient l'arrivée d'une pandémie. "On s'aperçoit à la lecture des documents qu'on révèle que non seulement [cette crise] n'était pas imprévisible, c'était prévisible ; mais c'était même plus que prévisible, c'était prévu. […] Or, toutes ces recommandations sont restées lettre morte. […] Ce sont des dizaines et des dizaines de rapports des plus hautes autorités administratives de l'Etat qui sont restés sans suite", souligne Fabrice Lhomme.
Conséquence : alors que la France aurait dû être parmi les pays les mieux équipés pour faire face à cette crise, elle a "fait aussi mal qu'un certain nombre d'autres pays", a taclé Fabrice Lhomme. "Jusqu'en 2009-2010, on avait en stock plus de 2 milliards de masques. Quand la crise survient, on est à quelques dizaines de millions, dont certains sont périmés et d'autres sont encore valables et on les détruit. C'est surréaliste, c'est loufoque. Ça signifie que quand on entre dans la bataille, on est complètement désarmés alors qu'on devait être suréquipés…"
Les journalistes pointent une "lente déliquescence à partir des années 2010" des stocks de masques. Le changement de doctrine sur les masques, "qui a été entériné en deux temps en 2011 et en 2013" et "qui fait qu'on s'est débarrassés des masques", "personne n'est capable de dire qui l'a décidé", a souligné Fabrice Lhomme sur France Inter. Les auteurs n'épargnent pas dans leur ouvrage l'administration française et les structures, dont Santé publique France, "qui se phagocytent mutuellement".
"Lorsqu'Emmanuel Macron arrive au pouvoir, on a encore près de 800 millions de masques en stock. C'est insuffisant par rapport aux préconisations, mais c'est quand même pas mal. Ce qui va se passer, c'est que de 2017 à 2020, les stocks vont fondre, il n'y aura quasiment pas de commande en regard" et ce malgré les préconisations, a avancé le journaliste. Les préoccupations politiques sont ailleurs, notamment concentrées sur la réforme des retraites. De même, quand Agnès Buzyn, ministre de la Santé au début de la crise, alerte, "personne ne l'écoute vraiment, y compris Edouard Philippe". Ses appels à annuler les élections municipales prévues en mars 2020 ne seront pas non plus entendus.
L'enquête journalistique révèle, en outre, qu'"il y a eu une volonté [du Gouvernement] de dissimuler la pénurie", a assuré à l'antenne Gérard Davet.
"Derrière vos décisions, des gens vont mourir"
Les journalistes d'investigation dévoilent également dans leur livre une série de SMS – parfois salés – échangés au plus haut sommet de l'Etat, comme celui envoyé par Agnès Buzyn après son départ du ministère de la Santé au Premier ministre Edouard Philippe : "Derrière vos décisions, des gens vont mourir." "Cette phrase est absolument terrifiante, émanant d'une ministre de la Santé qui a quitté son poste en pleine pandémie pour quérir une chimère, c’est-à-dire la mairie de Paris", a commenté Gérard Davet sur France Inter.
Fabrice Lhomme rappelle quant à lui le "rôle clé" de Jérôme Salomon, directeur général de la Santé : "C'est celui qui sait la vérité", notamment sur les masques. "Il pressent les ennuis à venir en disant [par SMS] : 'Agnès s'il le faut je te servirai de fusible'." Les journalistes dévoilent par ailleurs qu'Agnès Buzyn a bénéficié de documents confidentiels qui lui ont été transmis par un député en vue de se préparer pour passer devant la commission d'enquête parlementaire sur la gestion de la crise sanitaire, en juin 2020.
Ils évoquent également une autre figure de la crise, le Pr Didier Raoult, fervent défenseur de l'hydroxychloroquine, que le Président de la République lui-même est allé rencontrer début avril 2020 à Marseille. Si le directeur de l'IHU Méditerranée Infection a été lâché publiquement par l'Etat lorsque a été montré l'absence de bénéfice clinique de cette molécule dans la prise en charge du Covid, "ce qu'on révèle à travers notamment des SMS, des mails et des interrogatoires auxquels on a eu accès, c'est qu'en fait Raoult a continué à conseiller en sous-main le nouveau ministre de la Santé [Olivier Véran, NDLR]", ont indiqué les auteurs sur France Inter. "Autant Agnès Buzyn se méfiait totalement de Raoult et ne voulait pas en entendre parler, […] autant son successeur a continué d'entretenir des relations assez étroites avec lui."
Estimant que "le pouvoir a fauté" dans la gestion de cette crise, les journalistes appellent à "tirer les leçons" de ces "défaillances".
Pour rappel, on estime à 170 000, le nombre de décès imputables au Covid en France.
[avec Radio France, Le Monde et franceinfo]
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