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"On va dans le mur" : l'industrie des dispositifs médicaux numériques peine à trouver la voie du remboursement

Ces deux dernières années, aucun des quatre dossiers soumis à la Haute Autorité de santé (HAS) n'a reçu d'avis favorable permettant la prise en charge anticipée par l'Assurance maladie d'un dispositif numérique à visée thérapeutique (DTX), se sont inquiétés les acteurs du secteur, réunis à Paris le 1er juillet pour l'événement DHX France, organisé par TechToMed en partenariat avec Egora. 

17/07/2025 Par Aveline Marques
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Lancé en avril 2023, le dispositif Pecan*, qui permet la prise en charge dérogatoire par l'Assurance maladie d'un dispositif médical numérique (DNM) durant un an avant son remboursement dans le droit commun, a suscité beaucoup d'espoir chez les industriels français. Mais deux ans plus tard, le bilan est loin d'être positif. Sur les dix dossiers déposés, seuls trois – concernant des dispositifs de télésurveillance - ont reçu un avis favorable de la Commission nationale d’évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé (CNEDiMTS) de la Haute Autorité de santé (HAS). Les quatre dossiers concernant des dispositifs numériques à visée thérapeutique (DTX) ont tous été recalés. 

"Ce qui nous intrigue c'est que sur les quatre dossiers refusés, deux sont dans le droit commun, le Diga, en Allemagne donc ça veut dire qu'il y a une autorité d'évaluation en Europe qui les a considérés comme pertinents pour la prise en charge des patients", a relevé Frédéric Girard, président de France Biotech, lors de l'événement Digital Health Experience (DHX) France, qui a réuni les acteurs de l'écosystème à Paris, le 1er juillet dernier.

Ce qui a péché jusqu'ici ? L'absence de reconnaissance d'une "présomption d'innovation", le "critère déterminant et incontournable" pour la Pecan, a analysé Elsa Duteil, co-fondatrice de Pass, une société de conseils spécialisée en pré-accès au marché et économie de la santé. Cette promesse d'innovation est appréciée au regard d'études, dont le dispositif médical doit faire l'objet au moment du dépôt du dossier, "présumées apporter des données suffisantes pour que la CNEDiMTS puisse, dans un second temps, rendre un avis relatif à la demande de prise en charge" dans le droit commun - c'est-à-dire dans un délai de 6 mois (pour les DTX) ou 9 mois (pour les dispositifs de télésurveillance). Or, sur les sept dossiers refusés, un seul était en mesure de fournir une étude capable de démontrer une efficacité dans le temps imparti, a relevé la consultante. "L'absence de données spécifiques conduit systématiquement à un refus", a-t-elle signalé. "Pour autant, avoir des données spécifiques ne conduit pas à une acceptation", a-t-elle prévenu, illustrant le "flou" dans lequel les industriels sont plongés étant donné le "peu de recul" sur le dispositif et l'absence d'une "doctrine" bien établie.

"Forte inquiétude" des entreprises

"Du point de vue des entreprises, les règles du jeu ne sont pas claires, il y a une incertitude qui est trop importante, et il y a une forte inquiétude" suite aux avis négatifs rendus, a déploré Anouk Trancart, représentante du Syndicat national de l'industrie des technologies médicales (Snitem). Les entreprises, "qui étaient pleines de bonne volonté il y a deux ans", sont "en perte de confiance", a-t-elle alerté. "C'est préoccupant car il y a une perte de chance pour les patients et les aidants et parce que ça génère de l'attentisme chez les investisseurs", avec un risque de "perte de compétitivité" des entreprises françaises, a également mis en garde Frédéric Girard.

France Biotech plaide pour que la durée de la Pecan soit étendue à 24 mois et que la condition d'une étude en cours soit assouplie afin de permettre aux industriels de démarrer l'étude une fois l'avis favorable obtenu. "Ce qui facilitera son financement, note Stéphane Tholander, vice-président de France Biotech. On comprend bien que dépenser 1 ou 2 millions d'euros en amont pour avoir un avis défavorable n'est pas du tout incitatif."

L'association pousse également à la constitution d'un groupe d'experts dédié à l'évaluation des dispositifs numériques au sein de la HAS. "La CNEDiMTS est composée d'experts qui sont d'excellents experts des dispositifs médicaux physiques, mais pour les DNM, il faut une sensibilité numérique et une bonne expérience des sciences cognitives", estime Frédéric Girard. France Biotech réclame, en outre, l'introduction d'un "débat contradictoire" dans la phase d'instruction du dossier. Aujourd'hui, "on a un 'non' ou on a un 'oui' mais il n'y a pas de discussions ; c'est toujours très frustrant car on a envie d'expliquer les choses", regrette Elsa Duteil. "Cette phase contradictoire a aussi un intérêt pour acculturer les uns et les autres, avoir une meilleure compréhension du système", argumente-t-elle. Enfin, France Biotech souhaiterait que l'avis du patient soit systématique. 

Quelle étude mener pour démontrer le potentiel d'innovation ? "Pas de recette magique"

"Les membres de la commission sont des cliniciens, des patients, qui raisonnent avec leur propre expérience, et on fait aussi parfois appel à des expertises externes", a défendu Corinne Colignon, cheffe de service à la HAS. "Tout est transparent : les avis sont publics, l'argumentation, les débats sont publics", a-t-elle insisté. La CNEDiMTS s'apprête, par ailleurs, à publier ses "principes d'évaluation" pour mieux aider les industriels à comprendre comment elle "raisonne à partir des critères qui lui sont imposés" et "pourquoi dans certains cas ça ne passe pas". "Le seul critère, c'est la présomption d'innovation, la commission apprécie ce potentiel sur les premières données disponibles, qui doivent être exploitables, elles doivent permettre de mettre en lumière un effet clinique mais aussi un effet organisationnel, c'est l'une des grandes particularités des dispositifs numériques", a ajouté Corinne Colignon. 

"La question récurrente des industriels c'est : 'quelle étude je dois mener ?' N'attendez pas de recette magique, ça n'existe pas", a-t-elle toutefois prévenu. Si l'étude présentée ne fournit pas de données spécifiques, il faut quand même que les données soient "extrapolables", pour pouvoir "faire le pari mesuré sur l'appréciation du potentiel innovant", souligne la représentante de la HAS. Par ailleurs, les "retours patients" sont particulièrement "importants" pour les DTX, a-t-elle relevé, "la mesure des Proms** est essentielle". "Les données d'usage sont intéressantes, souvent en complément des données qui montrent l'intérêt, surtout si l'objectif du dispositif est de renforcer l'observance", a-t-elle noté.

"On voit qu'il y a quand même beaucoup de décalage entre les attentes de la CNEDiMTS et la construction de preuves par les entreprises", note Anouk Trancart. "On peut se dire que les entreprises ne sont pas au niveau ou que la HAS n'est pas acculturée aux DTX et au digital… La réalité est peut être au milieu, mais qu'il faut qu'on arrive à dialoguer et coconstruire ces critères. Il va falloir trouver une solution parce que clairement, on va dans le mur : les entreprises ne veulent plus déposer de dossier dans ces conditions", rapporte la représentante du Snitem.  

*Prise en charge anticipée numérique.

**Patient-reported outcomes measures. 

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Claire FAUCHERY

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7 débatteurs en ligne7 en ligne
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874 points
Débatteur Passionné
Médecins (CNOM)
il y a 5 mois
La question qui se pose (tient de manière plus insistante depuis la découverte de la gabegie à XX milliards plus le déficit hospitalier 1,2 M€) est la suivante. Jusqu'ici rien ne survit sans remboursement dans le marché soviétique sans prix sans concurrence sans offre ni demande. Mais jusqu'à quand? Hier.
Photo de profil de Bernard LEVE
5,3 k points
Débatteur Passionné
Médecine générale
il y a 5 mois
Et si les ordres professionnels se penchaient sur les pubs, télé en particulier, qui nous vantent les mérites de produits +- à la con, avec des affirmations comme "dispositif médical" ou "conseillé par les dermatologues ou les dentistes" ?
 
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