"C’est un progrès fantastique" : l’Académie de médecine se penche sur le jumeau numérique
Le jumeau numérique, ou "virtual human twin", a fait l’objet d’une séance de l’Académie de médecine le 19 juin. L’objectif était de comprendre le concept et de revenir sur l’intérêt majeur de "ce sujet d’importance", comme l’a qualifié le Pr Jean-Noël Fiessinger, président de l’instance.
Si le terme de jumeau numérique commence à se faire connaître au sein de la sphère médicale, c’est en réalité en 2002 qu’"il a été créé par un professeur de l’Université du Michigan. Le jumeau numérique a ensuite été repris et popularisé par la Nasa en 2010", a présenté le Pr Bernard Nordlinger, chef du service de chirurgie générale digestive et oncologie d'Ambroise-Paré (AP-HP). Alors que le numérique en santé est en plein essor, ce terme reste néanmoins flou pour une majorité de professionnels. Consciente de l’enjeu de ce "sujet d’importance", l’Académie de médecine a organisé, le 19 juin dernier, une journée exceptionnelle de réflexion, d’échanges et de perspectives autour de cette technologie.
"Le jumeau numérique est un progrès fantastique en médecine, il va aboutir à une médecine de précision et personnalisée. Nous ne soignons plus une maladie, mais un patient porteur d’une maladie", a souligné le Pr Vincent Delmas, professeur émérite, médecin spécialiste de l’anatomie et membre de l’Académie de médecine. Un constat partagé par son président, le Pr Jean-Noël Fiessinger, qui assure que "le jumeau numérique va bouleverser l’exercice de la santé". "On va avoir une révolution importante dans les pratiques médicales", a renchéri le Dr Étienne Minvielle, médecin de santé publique à Gustave Roussy, directeur du centre de recherche en gestion de l’École Polytechnique et directeur de recherche au CNRS.
Une réplique virtuelle
Le jumeau numérique est une "réplique virtuelle ou un clone d’un objet physique, d’un système ou d’une personne, explique Bernard Nordlinger. Il utilise des données en temps réel et des simulations pour représenter et prédire le comportement de leur homologue réel." Les premiers jumeaux numériques destinés à la médecine étaient des répliques anatomiques de corps humain à partir de modèle en 3D.
Pour créer un jumeau numérique, il faut recueillir des données génériques de patients et utiliser des algorithmes. Ces derniers s’appuient sur plusieurs modèles : "statistiques, géométriques, biologiques, biochimiques, biophysiques…", énumère Nicholas Ayache, directeur de recherches de classe exceptionnelle à l’Inria, centre Sophia Antipolis et membre de l’Académie des sciences.
Dans certaines situations, il est nécessaire d’adapter ces données à un patient spécifique. "Il faut identifier les paramètres des modèles génériques pour qu’ils correspondent aux données d’un patient spécifique. Cette opération, souvent difficile, s’appelle la personnalisation. On passe ainsi d’un patient numérique générique à un patient numérique personnalisé, que l’on peut appeler jumeau numérique du patient."
"On peut l’utiliser pour prédire le bénéfice, avant l’intervention"
Il est beaucoup utilisé en cardiologie. En combinant les données physiologiques d’un patient et ses imageries, il est possible d’aboutir à un jumeau numérique de son cœur. Pour un cas d’insuffisance cardiaque, "on peut l’utiliser pour prédire le bénéfice d’une resynchronisation biventriculaire par exemple, avant de faire l’intervention, indique-t-il. Le cardiologue interventionnel peut utiliser à la fois les données fournies par le cathéter mis en place sur le patient et leur superposition sur le jumeau numérique du patient, où il a davantage d’informations pour se repérer." L’intérêt de cette pratique permet de combiner les deux sources d’informations.
Le jumeau numérique modélise ses données en temps réel. Cela permet notamment de faire des allers-retours entre les données réelles du patient et celles de son jumeau numérique. "Par exemple, pour les enfants asthmatiques, on peut avoir une modélisation de leurs bronches, et avec des capteurs, des inhalateurs et des spiromètres en continu, on peut prédire le risque de survenue d’une crise d’asthme", ajoute Nicholas Ayache.
"Il est possible de prédire l’intérêt d’une prothèse de genou, les risques de complications selon l’anatomie et les risques de dégradation de l’arthrose"
En plus des organes, il est possible de modéliser des articulations comme le genou avec le cartilage, le ligament, le ménisque et l’os et obtenir des caractéristiques physiologiques et anatomiques sur toutes ces composantes. "Par ce biais, on peut prédire à la fois l’intérêt d’une prothèse de genou, les risques de complications selon l’anatomie et aussi les risques de dégradation de l’arthrose", explique Étienne Minvielle.
Le jumeau numérique est aussi très intéressant pour la recherche. "On peut faire des essais cliniques in silico, qui permettent de tester des médicaments sur des avatars virtuels. Les études montrent que la comparaison entre un randomisé contrôlé sur un patient réel et sur un patient virtuel donne les mêmes résultats. Donc il y a une confirmation de l’efficacité de ces essais in silico", assure Étienne Minvielle. Cet aspect est particulièrement utile pour les pathologies où il est difficile de trouver des patients.
Si tous ces exemples attestent que le jumeau numérique montre un réel intérêt en médecine, certains défis restent encore à relever. C’est le cas du "coût des algorithmes d’apprentissage utilisés pour concevoir certains jumeaux numériques, reconnaît Nicholas Ayache. Il faut aussi développer de grandes bases de données d’une grande qualité." Elles doivent aussi être stockées, moyennant un coût financier et énergétique non négligeable. "Il y a aussi la question de la cybermenace et de la sécurité qui nécessitent des techniques de codage ou de cryptage de données", ajoute Étienne Minvielle.
Il évoque également une certaine "prudence entre le développement de la recherche et le passage [du jumeau numérique] dans les soins courants et dans les usages réels". Son remboursement n’est pour l’heure pas encore établi. "Il y a un modèle économique à construire", confie-t-il. Pourtant, selon Stanley Durrleman, chercheur l’Inria à l’Institut du cerveau, cette technologie pourrait permettre de faire des économies car en les utilisant, il y aurait ainsi "moins de traitements et d’actions inutiles".
"Moins d’erreurs médicales"
Il faut enfin se poser la question de la fiabilité de ces outils. "On a des degrés de précision grâce à la prédiction qui sont nettement améliorés, des capacités prédictives qui sont plus performantes de l’ordre de 20 points en règle générale par rapport aux tests habituels, et on a moins d’erreurs médicales. Par exemple en chirurgie cardiaque, une étude montre qu’il y a 30% de complications post-opératoires qui sont évitées", assure Étienne Minvielle.
Interrogé également sur le point éthique, Claude Kirchner, président du Comité national d’éthique du numérique, a indiqué qu’"à partir du moment où on est capable d’utiliser [les jumeaux numériques] et de comprendre [ses conclusions], et compte tenu des résultats intéressants qu’on a aujourd’hui, il ne serait pas éthique de ne pas les utiliser. Il faut cependant garder la supervision humaine."
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