Rapport

Financiarisation de la santé : un nouveau rapport appelle à garantir l'indépendance des médecins

Dans un rapport rendu public mercredi 9 juillet, l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) et l’Inspection générale des finances (IGF) s’attèlent notamment à explorer diverses pistes pour limiter les conséquences indésirables du phénomène de financiarisation du système de santé. 

11/07/2025 Par Pauline Machard
Rapport

Cinq. C’est le nombre de leviers que proposent conjointement l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) et l’Inspection générale des finances (IGF) dans la quatrième partie de leur rapport sur les "causes et effets de la financiarisation du système de santé"*, rendu public mercredi 9 juillet. Les deux inspections y livrent leurs propositions pour "éviter les risques liés à la financiarisation et tirer avantage de l’existence d’acteurs de grande taille".

En appui de leurs préconisations, les deux grands corps de l’Etat arguent "qu’en matière de santé, l’investissement privé n’a d’intérêt que s’il contribue à l’amélioration durable de la qualité et de l’accessibilité des soins, dans le respect de l’indépendance de l’exercice des professionnels". À ce titre, ils considèrent que "des défis nouveaux sont à relever pour le régulateur public". "L’enjeu pour les pouvoirs publics est de mobiliser les leviers normatifs et financiers les plus aptes à mettre durablement les financements privés au service de la politique de santé, aux meilleurs coûts et dans le strict respect de l’indépendance professionnelle des médecins".

 

Établir une doctrine d’usage 

L’Igas et l’IGF proposent notamment, au titre du levier n°1, de protéger l’indépendance des professionnels de santé par une clarification du cadre de gouvernance des sociétés d’exercice libéral (SEL) et par un renforcement des exigences de transparence et une modernisation du cadre déontologique. Cette proposition est issue du constat que les risques sur l’indépendance professionnelle des praticiens résultent "essentiellement des modalités d’organisation de la gouvernance" de leur structure d’exercice, et non de la présence directe ou indirecte d’investisseurs financiers. L’activation de ce premier levier repose sur quatre propositions.  

La première invite à réviser les articles  L 4113-5 à 4113-13 du code de la santé publique et, le cas échéant, l’article 44 de l’ordonnance du 6 février 2023, pour étendre le périmètre du contrôle de l’Ordre à toutes les pièces constitutives de l’organisation de la SEL. Cela permettrait, estime le service administratif, de "renforcer la transparence des modalités d’exercice et les moyens du contrôle par les ordres de [la] conformité au code de déontologie". 

 

Ensuite, l'Igas et l'IGF appellent à établir une doctrine d’usage pour définir les conditions de fonctionnement des SEL, "et plus spécifiquement les dispositions permettant d’encadrer le droit des minoritaires et le droit des majoritaires". La troisième proposition vise, elle, à compléter et préciser les conditions d’application du principe d’indépendance dans les codes de déontologie, car jusqu’à présent, cela est insuffisant au regard des nouvelles modalités d’exercice (sociétés d’exercice, partenariats hospitaliers publics et privés, salariat, télémédecine...). Cela permettrait "d’éclairer les choix individuels des praticiens et d’appuyer les décisions des ordres", indique le rapport. 

Enfin, le document invite à créer un "un statut ad hoc pour les centres de santé", peut-on lire. L’idée serait de remplacer le statut associatif pour "permettre une gouvernance plus transparente et une organisation juridique et financière plus auditable". Ce statut, souligne le rapport, pourrait "s’inspirer de la démarche qui a conduit à la création des sociétés interprofessionnelles de soins ambulatoires (SISA) pour accompagner le déploiement des maisons de santé et leur rémunération directe par l’Assurance maladie".

Généraliser les enquêtes de satisfaction 

Au titre du troisième levier, l’Igas propose de déployer un dispositif de suivi et de contrôle qualité effectif en médecine de ville, partant du principe que ce n’est pas parce que la mission n’a "pas identifié de baisse de qualité ou d’accessibilité des soins imputables à l’intervention d’acteurs financiers", que "de telles dérives [sont] exclues, ni a fortiori que les risques mis en avant par certains professionnels de santé ne [peuvent] se réaliser à l’avenir". Pour éviter de telles dérives, les grands corps de l’Etat font, à nouveau, quatre propositions.  

Selon la première, pour ne plus suivre seulement les praticiens mais aussi les entités collectives, il faudrait donner, dans le système d’information de l’Assurance maladie, une immatriculation à l’ensemble des SEL et y rattacher les médecins y exerçant. Il est également préconisé d'y rattacher la facturation à la fois au professionnel et à la SEL ; et pour les centres de santé, d’identifier le professionnel qui réalise l’acte ; pour les cliniques, rattacher le numéro FINESS des établissements à l’entité juridique siège. 

De plus, l'Igs et l'IGF plaident pour l'instauration d'un registre déclaratif. Toute société ayant des participations "à un niveau significatif, selon des critères à déterminer" dans une ou plusieurs SEL serait obligée de les déclarer. Par ailleurs, le rapport propose de généraliser des enquêtes de satisfaction auprès des patients de ville "sur la base de référentiels validés par la HAS". 

 

L'effectivité de ce levier reposerait, enfin, sur le déploiement d’un "programme annuel d’évaluation sur un échantillon aléatoire de professionnels", en s’appuyant sur la démarche des groupes de pairs. Mais aussi via la validation par la HAS du "contenu du dossier patient ainsi que les indicateurs de suivi", et le fait de "leur donner une base légale".

Au total, les deux inspections, au terme de leur mission confiée en juillet 2024, ont formulé 15 propositions. En septembre dernier, un rapport du Sénat sur la financiarisation de la santé en déclinait déjà 18 pour mieux maîtriser le phénomène, limiter ses conséquences "indésirables" et mieux protéger l’indépendance des professionnels. Il mettait en avant qu’après les cliniques, les secteurs de la biologie et de l’imagerie, les centres de santé dentaires et ophtalmologiques, l’intérêt des investisseurs se portait depuis peu sur les soins primaires généralistes.  

*à l’exclusion du secteur médico-social et du secteur de l’industrie pharmaceutique.  

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Débatteur Passionné
Médecins (CNOM)
il y a 5 mois
"Financiarisation", gros mot et chiffon rouge agité devant ceux qui pensent qu'on vit dans un monde ultralibéral. D'abord, les généralistes n'ont pas besoin d'un plateau technique (et donc d'une mise au départ), à différence des biologistes ou des radiologues. Les plateformes de téléconsultations ont, à mon avis, leur rôle, mais, finalement, un potentiel limité. A vue de nez, 10%, si je me guide d'après la part des drives dans les supermarchés ; la plupart des acheteurs préfèrent palper eux-mêmes les tomates qu'ils achètent (dans les deux sens). Ensuite, on sort un bénéfice au prix des longues heures de travail. Il me parait peu probable de pouvoir augmenter la productivité. En tout cas, tant que la rémunération des actes reste la même. Si on pouvait payer des assistantes, pourquoi pas - et encore, seulement pour certains médecins. Je vois mal comment on pourrait donner une partie du fruit de ce travail à un tiers part.
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Débatteur Passionné
Médecins (CNOM)
il y a 5 mois
Lorsque je me suis installé en libéral après 9 ans de fonctions hospitalières, dans les années 80, il fallait faire un emprunt bancaire pour acheter un cabinet, un véhicule, un minimum de matériel, un secrétariat, commencer à payer son URSSAF, ses impôts et sa CARMF, pour certains payer un accès à une patientèle ou des pas de porte aux cliniques. Oui cette financiarisation , elle existe depuis longtemps , il fallait cependant bosser tous les jours sans vacances pour pouvoir au bout de 3 ou 10 ans commencer à engranger des bénéfices.. Aujourd'hui les médecins qui s'installent n'ont plus aucun souci de patientèle en peuvent rentabiliser plus rapidement leur installation... Ce qui n'a pas changé c'est qu'il faut toujours beaucoup bosser et avec des tarifs d'actes qui n'ont pas forcément suivi le réel coùt de la vie.
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Débatteur Passionné
Biologie médicale
il y a 5 mois
Ce sont les mêmes qui ont voulu et obtenu la financiarisation des laboratoires de Biologie. Principal résultat: les bénéfices allaient à des professionnels qui payaient leurs impôts en France, dorénavant ils vont à des financiers qui savent optimiser pour ne pas payer d’impôts en France.
 
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