senat

Financiarisation de la santé : un rapport du Sénat appelle à mieux protéger l'indépendance des professionnels

Après les cliniques, les secteurs de la biologie et de l’imagerie, et les centres de santé dentaires et ophtalmologiques, "l’intérêt des investisseurs se porte depuis peu" sur les soins primaires généralistes, alerte un rapport du Sénat sur la financiarisation de la santé, publié mercredi 25 septembre. Les sénateurs formulent 18 propositions pour mieux maitriser le phénomène, limiter ses conséquences "indésirables" et mieux protéger l'indépendance des professionnels.

26/09/2024 Par Aveline Marques
senat

Le phénomène n'est pas nouveau mais il s'amplifie. Alors que quatre groupes détiennent 40% du secteur hospitalier privé en France et que six groupes se partagent 62% des sites de biologie médicale, que le "secteur de l'imagerie enregistre une dynamique très active de financiarisation", "l'intérêt des financeurs se porte depuis peu sur les centres de soins primaires", met en garde un rapport du Sénat. Un phénomène de financiarisation est même observé dans le secteur officinal, "pourtant protégé par un cadre juridique réservant la propriété des officines aux pharmaciens diplômés".

La santé, un investissement "rentable et sûr"

L'offre de soins est en effet un "investissement rentable", soulignent en effet les sénateurs. "L'accroissement continu de la demande" et le "haut niveau de sociabilisation de la dépense" ont font un investissement "sûr".

La régulation des dépenses de santé "a pu constituer un cadre propice au développement de la financiarisation", relèvent-ils par ailleurs. "Dans la biologie médicale, des protocoles d’accord successifs ont permis, par une régulation couplée des prix et des volumes, de contenir la croissance annuelle des dépenses à 0,9 % entre 2014 et 2021. Cette régulation, permise par les gains de productivité réalisés par les groupes de laboratoires, favorise en retour une poursuite de la concentration du secteur en fragilisant les structures indépendantes."

Les exigences de qualité des soins, et notamment la "coûteuse" procédure d'accréditation des laboratoires, ont pu constituer une autre incitation au regroupement.

"Sélection d'activités"

La financiarisation, comme l'a souligné la Cnam, "entraîne une modification de la structure de l'offre de soins", avec également "un risque d'aggravation des biais de sélection d'activités" et "un risque non négligeable de détournement de l'objet non lucratif des centres de soins primaires polyvalents".

Et elle "fait craindre un amoindrissement du pouvoir de négociation des régulateurs – assurance maladie et ARS – face à des groupes puissants". " Ainsi, les négociations du dernier protocole d’accord fixant le cadre d’évolution des tarifs pour 2024-2026 pour la biologie médicale ont été perturbées par un positionnement ambigu des syndicats, soumis à la pression des groupes pour que la profession s’oppose aux baisses de tarifs envisagées par l’assurance maladie", avance le rapport.

Si la réglementation sur les sociétés d'exercice libéral (SEL) de médecins et de sages-femmes exige qu'au moins 50% des parts soient détenues par les professionnels et limite à 25% la part maximale détenue par des tiers non professionnels, le principe déontologique d'indépendance professionnelle peut être aisément bafoué. "Les mécanismes de contournements, puisés dans le droit des sociétés" sont "nombreux et largement mis à profit par les acteurs financiers : règles de majorité qualifiées pour contrôler la prise de décision, recours au système d’actions de préférence**". Ils peuvent rendre dans les faits "incontournable la voix des investisseurs financiers dans la prise de décisions stratégiques".

"Veiller à ce que les tarifs conventionnels négociés permettent la viabilité financière des structures indépendantes"

Le rapport formule 18 propositions pour mieux maitriser le phénomène, limiter ses effets "indésirables" et préserver l'indépendance des professionnels de santé. Il recommande ainsi de renforcer la régulation par les ARS en s'appuyant sur les autorisations d'activités de soins et d'équipements matériels lourds" et de conditionner l'ouverture des centres de soins primaires à un agrément (comme c'est désormais le cas pour les centres de santé dentaires et ophtalmologiques). Elle propose encore de "veiller à ce que les tarifs conventionnels négociés permettent la viabilité financière des structures indépendantes" et de "renforcer la rémunération sur des critères de qualité et de pertinence". Les sénateurs plaident pour "compléter les dispositions législatives et réglementaires encadrant la détention des droits sociaux et des droits de vote au sein des SEL".

Aider les ordres

Enfin, "s’inspirant de jurisprudences récentes du Conseil d’État visant la profession vétérinaire, les rapporteurs jugent souhaitable de préciser dans le droit que le principe d’indépendance fait obstacle, notamment, à toute clause statutaire ou extra-statutaire ayant pour effet de priver les professionnels exerçants d’un contrôle effectif sur une société d’exercice". Ils appellent à établir "une doctrine claire concernant les modalités de fonctionnement". Ils recommandent d'"adapter le périmètre des documents devant être transmis aux ordres" et de "constituer des cellules régionales d'appui aux ordres professionnels" pour les aider à examiner les statuts des SEL.

*Ramsay Santé, Elsan, Vivalto et Amalviva.

**Elles conférent à leurs titulaires des prérogatives différentes de celles attachées aux actions simples.

Comptez vous fermer vos cabinets entre le 5 et le 15 janvier?

Claire FAUCHERY

Claire FAUCHERY

Oui

Oui et il nous faut un mouvement fort, restons unis pour l'avenir de la profession, le devenir des plus jeunes qui ne s'installero... Lire plus

2 débatteurs en ligne2 en ligne
Photo de profil de ROMAIN L
17,5 k points
Débatteur Passionné
Médecins (CNOM)
il y a 1 an
Je peux témoigner, en tant que généraliste intervenant ponctuellement sur des plateformes de téléconsultation depuis environ 7 ans. J'ai constaté la réduction progressive de notre liberté d'action, dans un objectif purement mercantile. Pour faire court, il faut satisfaire le client, ce qui signifie en pratique que celui qui réoriente trop en présentiel, ou qui ne prescrit pas assez, termine dehors. Il y a un détournement de la notion juridique d'équipe de soins afin de forcer les médecins à adopter des pratiques communes, qui ne sont pourtant basées sur aucune recommandation de sociétés savantes.
Photo de profil de Fabien BRAY
7,5 k points
Débatteur Passionné
Médecins (CNOM)
il y a 1 an
Eh ben! Ce rapport est une petite bombe dans le visage de la secu. On lit aisément entre les lignes : "arrêtez de faire de la m...". Ce que tous les professionnels libéraux disent depuis longtemps apparaît maintenant noir sur blanc dans un rapport. J'espère que nos syndicats vont faire du bruit là dessus (sauf la csmf bien entendu).
Photo de profil de OLIVIER PERRIN
2,9 k points
Débatteur Passionné
Médecine générale
il y a 1 an
Malheureusement la dernière convention ne va pas dans ce sens : on continue à foncer droit dans le mur…
 
Vignette
Vignette

La sélection de la rédaction

Pédiatrie
Moins de médecins, moins de moyens, mais toujours plus de besoins : le cri d'alerte des professionnels de la...
06/11/2025
14
Concours pluripro
CPTS
Les CPTS renommées "communauté France santé" : Stéphanie Rist explique l'enjeu
07/11/2025
12
Podcast Histoire
"Elle était disposée à marcher sur le corps de ceux qui auraient voulu lui barrer la route" : le combat de la...
20/10/2025
0
Portrait Portrait
"La médecine, ça a été mon étoile du berger" : violentée par son père, la Pre Céline Gréco se bat pour les...
03/10/2025
6
Reportage Hôpital
"A l'hôpital, on n'a plus de lieux fédérateurs" : à Paris, une soirée pour renouer avec l'esprit de la salle...
14/10/2025
8
La Revue du Praticien
Diabétologie
HbA1c : attention aux pièges !
06/12/2024
2