Dr Vincent Pradeau

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"Les compléments d'honoraires doivent être garantis par un service rendu" : comment le nouveau président d'Avenir Spé voit le futur de la médecine spécialisée

Dans un entretien accordé à Egora, le Dr Vincent Pradeau, nouveau président d'Avenir Spé, élu jeudi 13 novembre à la suite de la démission du Dr Patrick Gasser, expose sa vision d'une médecine spécialisée "moins paternaliste" et "plus horizontale". Le cardiologue détaille les réformes qu'il juge indispensables et fixe ses lignes rouges dans un contexte de tension autour du secteur 2.  

17/11/2025 Par Louise Claereboudt
Interview Spécialistes Syndicalisme
Dr Vincent Pradeau

Dr Vincent Pradeau

Egora : Prendre la tête d'Avenir Spé était pour vous une suite logique ? 

Dr Vincent Pradeau : C'est une démarche qui a en effet une logique. Je me suis d'abord engagé syndicalement dans ma verticalité. Je suis président du Syndicat national des cardiologues (SNC) depuis trois ans, après en avoir été le secrétaire général au moment du Covid. J'ai aussi été le président du Conseil national professionnel (CNP) de cardiologie pendant un an. Dans des temps plus anciens, j'avais déjà une appétence à m'occuper de mes collègues internes ou chefs de clinique. 

En étant président du Syndicat national des cardiologues, on est de droit membre du conseil d'administration d'Avenir Spé. On y retrouve la majorité des présidents des syndicats : des anesthésistes, des psychiatres, des pédiatres, des pneumologues, des dermatologues, des ophtalmos, des hématologues depuis peu… C'est une structure où il y a une démocratie interne. Quand un sujet concerne une spécialité, ce ne sont pas des tierces personnes qui arbitrent et portent la parole. Si ça touche la cardiologie, on appelle les cardiologues ; si c'est un sujet pédiatrique, on appelle les pédiatres, etc. Il y a aussi une volonté d'avoir quelque chose d'équilibré ; chaque spécialité a le même nombre de voix.

Sans apparaître au bureau, je me suis investi au sein d'Avenir Spé sur les sujets de numérique en santé, qui me tiennent à cœur. J'assure également la représentation d'Avenir Spé à l'Union nationale des professions de santé (UNPS). Je pense que les médecins spécialistes ne peuvent pas fonctionner sans les autres professionnels de santé. Travailler en interprofessionnalité, c'est l'avenir de la médecine spécialisée, mais aussi du système de santé. La collaboration rapprochée est l'une des clés de la solution de l'offre de soins. On doit fonctionner de manière beaucoup plus horizontale et beaucoup moins paternaliste. 

La question des dépassements d'honoraires s'est invitée, au travers du budget de la Sécurité sociale pour 2026, dans le débat public. Certains – élus mais aussi les associations de patients – appellent à mettre fin à cette pratique en progression. Craignez-vous pour l'avenir de ce secteur ? 

Craintif, ce n'est pas mon caractère. Ce que je crois, c'est qu'il faut remettre à plat les choses. Il faut d'abord rappeler que beaucoup de spécialités ont, encore aujourd'hui, une majorité de médecins en secteur 1 : la cardiologie, dont je viens, c'est 70% de médecins en secteur 1, les radiologues, sur lesquels on tape beaucoup, sont une très large majorité en secteur 1. Pourquoi ? Parce que jusqu'à présent il n'y avait pas de soucis de viabilité de ces spécialités puisque les actes étaient, dirons-nous, convenablement honorés.

Les compléments d'honoraires – ou dépassements d'honoraires – surviennent dans des spécialités où vous avez un décalage entre les coûts de la pratique et la nécessité d'investissement. Pour viabiliser le système il y a besoin actuellement de compléments d'honoraires. Mais ils seront d'autant moins importants que les tarifs de la Sécurité sociale correspondront à la pratique réelle. Menacer le secteur 2, c'est menacer l'ensemble de la construction conventionnelle.

On ne soutiendra pas – et je ne soutiendrai jamais à titre personnel – des dépassements déraisonnables, voire "XXL". Ils existent sur des actes chirurgicaux et sur l'activité libérale des médecins hospitaliers, dont on parle rarement mais qui sont les plus gros "dépasseurs" dans le lot. 

Alors que le Gouvernement avait initialement proposé une surtaxe des dépassements, Stéphanie Rist a finalement promis de ne "pas passer en force" sur ce sujet. Et annoncé l'ouverture prochaine de discussions sous l'égide de la Cnam et avec l'ensemble des acteurs. L'un des objectifs avancés sera de "s'accorder sur les conditions d'accès au secteur 2". Est-ce indispensable ? 

Je suis, à titre personnel, en secteur 1 par choix. J'avais pourtant les titres pour être en secteur 2. On doit conserver cette notion de choix. Mais aujourd'hui, les critères d'entrée dans le secteur 2 n'ont plus de sens. L'immense majorité des médecins vont être docteurs juniors. Ils n'ont plus à faire qu'un an quelque part pour être éligible au secteur 2*, donc on va avoir 80-90% des spécialistes qui vont être en secteur 2. Il va falloir reposer les règles du secteur 2.

Qu'est-ce qui justifie qu'un médecin, parce qu'il a un jour été au bon endroit et au bon moment pour avoir son clinicat, ait, 30 ans après, le droit de dépasser, alors qu'un confrère en secteur 1, qui rend un service meilleur, n'a pas le droit de dépasser ? Il va falloir que les compléments d'honoraires, ou au moins une partie, soient garantis non pas par un titre acquis il y a 30 ans, mais par le service rendu ou la qualité du service rendu. Si l'entreprise actuelle [des pouvoirs publics, NDLR] permet de mettre ces sujets-là sur la table, ça aura eu du bon. 

La notion du "tact et de la mesure" doit-elle aussi être évoquée ? 

Il faudra d'abord nécessairement reposer le cadre de l'Optam (Option de pratique tarifaire maîtrisée), qui est devenue un tel chiffon rouge qu'il faudra la débaptiser. La question du tact et de la mesure, très jésuitique ou très janséniste, devra aussi être posée. 

 

On met un stop, un carton jaune

Le syndicat des cardiologues a appelé à ne plus prendre de rendez-vous à partir du 1er décembre pour dénoncer les "décotes" imposées par la Cnam. Celles-ci s'inscrivent dans le cadre des baisses de tarifs actées dans le champ de l'imagerie par l'Union nationale des caisses d'assurance maladie (Uncam) début novembre. Comment avez-vous vécu cette décision tarifaire ?

En tant que citoyen et que contributeur fiscal, on ne peut pas être insensible aux difficultés budgétaires [du pays]. Prendre sa part ne me pose pas de difficultés. Mais moi, je veux bien prendre ma part une fois que le soin est produit. Taxer en amont ou a priori ne va conduire qu'à une chose : les médecins vont réduire la voilure. Or, actuellement, on n'a pas besoin de réduire la voilure. On a besoin qu'il y ait du vent qui souffle dans les voiles et qu'on produise plus de soins. On nous dit chaque jour que les délais sont trop longs et qu'il faut inciter les médecins à travailler… Si vous décotez les médecins, que vous ne les considérez pas, ils vont faire le Bernard l'Hermite qui rentre dans sa coquille.

En cardiologie, 15 à 20% des médecins ont ouvert des cabinets secondaires. Les relatives bonnes cotations des actes permettaient [jusque-là] de faire ces investissements ou cet effort pour la collectivité. Les cardiologues vont faire, permettez-moi l'expression, un bras d'honneur et vont aller à la pêche. Le signal qu'on donne dans le climat ambiant est délétère. L'objectif de notre mouvement est de montrer que la cardiologie ne répond plus pendant un certain temps. Car on considère que notre engagement est sanctionné. Nous avons travaillé sur l'insuffisance cardiaque, beaucoup de cardiologues font la consultation et l'échographie en même temps pour ne pas faire revenir les patients. Il y a une économie de chaque consultation avec une écho. On met donc un stop, un carton jaune. 

Quels sont vos ambitions à la présidence d'Avenir Spé ? 

Elles sont au nombre de quatre. La première, c'est de consolider ce que les quatre médecins à l'origine d'Avenir Spé (Patrick Gasser, Éric Perchicot, Bruno Silberman, Christian Michel Arnaud) ont fait, c'est-à-dire continuer à agréger des spécialités, à développer le syndicat. Je pense qu'on s'est inscrit dans le paysage. On est parmi les plus gros employeurs. Dans la branche, on est extrêmement représentatifs.

Mon deuxième objectif est de construire avec l'ensemble des acteurs un projet politique, certainement pas pour les dix ans qui viennent mais au moins les cinq prochaines années. Pour voir où va la médecine spécialisée. Et clairement, faire fuiter ça en vue des échéances électorales à venir. L'idée, c'est de mettre Avenir Spé dans un mode "think tank" pour produire des choses en vue de la [campagne] présidentielle, où les sujets de santé vont s'imposer. 

En ce moment, il y a beaucoup de choses à défendre et à combattre, c'est la base de l'engagement syndical. Mon troisième devoir sera d'essayer de le faire de manière constructive et non populiste, car ça ne mène jamais loin. Enfin, il sera nécessaire de créer des synergies "opérationnelles" entre les différentes spécialités, par groupe de spécialités, etc. Notamment sur la manière dont doivent communiquer les syndicats. Je pense, par exemple, aux sujets de numérique et d'intelligence artificielle que l'on doit traiter de manière commune parce qu'ils vont modifier la répartition de la valeur dans les années à venir.  

*L'année de docteur junior permet de "comptabiliser" une année sur les deux ans d'assistanat nécessaires pour solliciter un accès au secteur 2. 

Surcotisation des dépassements : des gages de Rist au congrès d'Avenir Spé

Malgré un agenda très contraint, la ministre de la Santé a tenu à être présente en clôture des Rencontres de la médecine spécialisée, samedi 15 novembre à La Baule, pour calmer les inquiétudes et la colère de la profession. Avant cela, elle s'est entretenue durant une heure avec les présidents des différentes verticalités. Selon le Dr Pradeau, Stéphanie Rist a notamment apporté "des assurances sur la non-redéposition par le Gouvernement" de l'article 26 du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2026, qui prévoyait de surtaxer les dépassements d'honoraires. L'article avait été rejeté quelques jours plus tôt par les députés.

En revanche, l'échange n'a pas laissé entrevoir d'"évolution" sur l'article 24 du PLFSS, qui s'attaque aux "rentes" dans la santé. Cet article habilite le directeur de l'Assurance maladie, en cas d'échec des négociations, à procéder à des baisses de tarifs "lorsqu'est documentée une rentabilité manifestement excessive au sein d'un secteur financé par des rémunérations négociées dans le champ conventionnel". Un sujet brûlant, qui a provoqué des étincelles la veille lors d'un échange entre les médecins spécialistes et le directeur général de la Cnam, Thomas Fatôme. 

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Claire FAUCHERY

Claire FAUCHERY

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1 débatteur en ligne1 en ligne
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Débatteur Passionné
Anesthésie-réanimation
il y a 25 jours
Il y a un certain pragmatisme dans la communication du Dr Pradeau, même si les "ajustements de vocabulaire" (compléments d'honoraires) me font sourire, mais ce n'est pas choquant dans sa bouche. On n'est pas dans le changement de sigle ou d'acronyme pour faire croire qu'on réforme, on est dans la revendication argumentée. Ok avec la vision "horizontale" de la complémentarité des généralistes et des diverses spécialités, d'autant que la médecine générale est devenue une "spécialité comme les autres". Ok, la taxation "a priori" n'a pas de sens mais le revenu lui en a un et les "dépassements" qui vont bien au delà des "compléments" doivent faire l'objet de la plus grande vigilance pour ne pas représenter un surcoût "indu" tant pour le patient (même au travers des mutuelles) que pour l'assurance maladie. Alors, du discours aux actes en passant par un dialogue exigeant mais raisonné. Il faut espérer que les pouvoirs publics y mettront autant d'écoute et de raison. L'objectif à 5 ans est ambitieux mais là aussi la réforme de la politique de santé (exercice de la médecine, enseignement, financement... doit se mettre au rythme des changements sociétaux et sociaux et pas avancer à la lueur des "lubies" des "lobbies frustrés" de leur nécessaire perte de pouvoir.
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232 points
Incontournable
Psychiatrie
il y a 25 jours
"Qu'est-ce qui justifie qu'un médecin, parce qu'il a un jour été au bon endroit et au bon moment pour avoir son clinicat, ait, 30 ans après, le droit de dépasser, alors qu'un confrère en secteur 1, qui rend un service meilleur, n'a pas le droit de dépasser ?" C'est quoi cette remarque à la noix ? Le clinicat n'est pas un hasard "au bon endroit et au bon moment" mais le résultat de bcp d'efforts et de travail pour y accéder, au moins dans les années passées. Et puis rappelons que l'on peut aussi accéder au secteur 2 par l'Assistanat ou le statut de PH et ça se mérite. Et en quoi un médecin de secteur 1 rend-il un service meilleur ? Si le président d'Avenir Spé s'exprime comme ça, ça va vite être compliqué ...
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1,2 k points
Débatteur Passionné
Médecine générale
il y a 19 jours
C'est quand même ahurissant de voir des médecins parler de ''cout'' pour l'assurance maladie des dépassements d'honoraires qui ne dont PAS pris en charge.!!!
 
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