"On essayait de trouver une explication rationnelle, médicale" : la détresse des collègues de l'anesthésiste Frédéric Péchier
D'anciens collègues de Frédéric Péchier ont témoigné, jeudi 25 septembre, devant la cour d'assises du Doubs, où l'anesthésiste est accusé de 30 empoisonnements de patients dont 12 mortels. Ces événements ont profondément affecté les soignants interrogés, en particulier les anesthésistes en charge des patients décédés.
Les décès inexpliqués survenus dans une clinique de Besançon ont traumatisé les collègues du docteur Péchier, a entendu jeudi la cour d'assises du Doubs, où l'ex-anesthésiste est accusé de 30 empoisonnements, dont 12 mortels, entre 2008 et 2017. En troisième semaine de ce procès hors normes, la justice examine les deux premiers décès imputés à Frédéric Péchier, en octobre 2008 à la clinique Saint-Vincent.
L'accusation soupçonne l'ex-anesthésiste star d'avoir frelaté des poches de produits anesthésiants pour nuire à des collègues avec lesquels il était en conflit et faire valoir au passage ses talents de réanimateur.
Le premier décès, celui de Damien Iehlen, un homme de 53 ans victime d'un arrêt cardiaque en marge d'une opération, a affligé son anesthésiste, Catherine Nambot, décédée depuis, ont indiqué des témoins. "Le docteur Nambot était bouleversée, je l'ai vue dans un état d'incompréhension", a rapporté devant la cour Delphine Ravily, à l'époque cheffe du service pharmacie à la clinique. La médecin se reprochait d'avoir endormi un patient "stressé", imaginant alors qu'il avait pu succomber à un syndrome de tako-tsubo, un trouble cardiaque lié à une émotion intense.
Auditionnée elle-même dans le cadre de l'instruction en novembre 2017, cette médecin née en 1955 avait confié avoir "vécu un enfer pendant neuf ans" à la suite du décès de son patient, selon un compte-rendu lu à l'audience par la présidente Delphine Thibierge. Lors d'une audition ultérieure, Mme Nambot avait expliqué que le décès de M. Iehlen, "c'était la première fois qu'il m'arrivait un tel événement au bout de ma seringue". "Nous avions déjà eu [à la clinique] des événements indésirables graves (EIG) mais à chaque fois ils étaient expliqués, pour des raisons chirurgicales, pas anesthésiques."
Je voulais poursuivre la réanimation, je n'arrivais pas à accepter la mort de mon patient
Mme Nambot avait ajouté que, lors de l'opération de M. Iehlen, son collègue Frédéric Péchier "était à la porte du bloc" et regardait l'électrocardiogramme du malade. "Ton patient est en asystolie" - une insuffisance des contractions du coeur, l'aurait averti l'accusé. "Et effectivement, mon patient était en asystolie", avait-elle ajouté. Frédéric Péchier s'était "précipité pour m'aider à le réanimer" -en vain, avait-elle témoigné. "Je voulais poursuivre la réanimation, je n'arrivais pas à accepter la mort de mon patient, il a fallu me prendre par la main pour sortir du bloc", avait-elle confié au magistrat instructeur.
La médecin, convaincue d'avoir anesthésié son patient dans les règles, ne pouvait pas comprendre comment des doses mortelles d'anesthésiant avaient pu se retrouver dans l'organisme de M. Iehlen. Car "la malveillance ne venait pas à l'esprit", observe devant la cour Mme Ravily. "On essayait de trouver une explication rationnelle, médicale."
Le deuxième incident, quatre jours plus tard, impliquant Suzanne Ziegler, 74 ans, a également changé la carrière de Colette Arbez, son anesthésiste née en 1948, dont l'état de santé est "incompatible" avec un témoignage devant la cour, selon la présidente. "Ce n'était plus la même dame qu'on avait connue quelques années auparavant", a déclaré aux juges un ancien infirmier de la clinique Saint-Vincent, Davy Gérôme, lui même "assez retourné" par le décès de Mme Ziegler. "On voyait qu'elle était souvent en panique, elle n'avait plus confiance en elle."
Lors d'auditions à partir de 2017, Mme Arbez avait elle-même confié avoir "beaucoup d'interrogations" sur le décès de sa patiente. "J'étais atterrée, c'était mon premier cas de décès." "Je me suis fermée, j'ai gardé cela en moi, c'était très lourd", a lu la présidente du tribunal.
M. Gérôme a assuré avoir un jour entendu Frédéric Péchier dire à propos de sa collègue: "Elle devrait partir en retraite plus tôt, on va l'aider." "J'ai entendu cette phrase, je l'ai d'abord prise à la rigolade, puis ça m'a heurté, ça m'a choqué", a-t-il lancé à la cour.
Une petite phrase minimisée par la défense de Frédéric Péchier. "Dans tous les milieux professionnels, on fait tous des blagues un peu raides", a observé son avocat, Me Randall Schwerdorffer.
Frédéric Péchier, qui a toujours clamé son innocence, comparaît libre, mais encourt la réclusion criminelle à perpétuité. Le verdict est attendu le 19 décembre.
La sélection de la rédaction
Comptez vous fermer vos cabinets entre le 5 et le 15 janvier?
Claire FAUCHERY
Oui
Oui et il nous faut un mouvement fort, restons unis pour l'avenir de la profession, le devenir des plus jeunes qui ne s'installero... Lire plus