
Temps de travail : les médecins hospitaliers veulent passer aux 39 heures
Une enquête conduite auprès de 1305 médecins anesthésistes-réanimateurs et médecins intensivistes-réanimateurs révèle que 75% de ces praticiens hospitaliers dépassent les 48 heures de travail par semaine. Un "maximum" légal devenu la norme auquel les syndicats veulent s'attaquer.

La société a évolué, les attentes des médecins hospitaliers aussi. Mais à l'hôpital public, il y a des choses qui ne changent pas : alors que le temps de travail est "une préoccupation majeure" des praticiens hospitaliers et un point clé de l'attractivité, les résultats de l'enquête TETRAMAR* conduite par le SNPHAR-E**, présentés lors d'une journée thématique ce vendredi 16 mai à Paris, montrent un non-respect persistant de la réglementation européenne qui fixe à 48 heures la durée hebdomadaire maximale.
Ainsi, 75% des praticiens hospitaliers répondants dépassent ce plafond légal, 25% travaillent entre 55 et 60 heures par semaine et 15% plus de 60 heures par semaine. Pour un peu plus de la moitié des médecins (53%), leur temps de travail leur semble "trop important" et même "insupportable". "Plus le volume horaire augmente, moins le temps de travail est bien ressenti", analyse le Dr Mathieu Brière, vice-président du syndicat. Et ce mauvais ressenti "est majoritaire dès 39 heures", pointe le syndicaliste. "De manière inattendue, nous n’avons trouvé aucun effet de l’âge des répondants, ni de la situation familiale (notamment parentalité) sur ce résultat", souligne le syndicat.

L'enquête montre également d'importantes disparités, sur le temps de travail comme sur son mode de décompte. Plébiscité par les praticiens, le décompte "dérogatoire" en temps continu (“une heure travaillée est une heure décomptée”***) est devenu majoritaire (59%) par rapport au décompte en demi-journée (41%), qui demeure la norme légale mais fait l'objet de nombreuses critiques. Non fixée par la législation, "la durée d'une demi-journée, c'est l'arlésienne, remarque Mathieu Brière. Elle n'est pas définie pour 82% des répondants et lorsqu'elle est définie, elle est principalement de 5 heures." Les praticiens hospitaliers à temps plein étant soumis à une obligation de service de 10 demi-journées par semaine, des demi-journées de 5 heures les placent forcément en situation de dépassement du plafond légal, soulève le syndicaliste.
"On est les seuls à bosser plus pour gagner moins"
Pour les praticiens à temps plein, les obligations de service totales (temps clinique et non clinique) sont définies à 48 heures hebdomadaires dans 50% des cas. "Cela signifie que les '48 heures maximales' inscrites dans le statut de PH et dans la directive européenne du temps de travail deviennent, dans la moitié des cas, '48 heures obligatoires'... bien loin des 35 heures observées dans la fonction publique ou même dans l’activité de nombreux médecins libéraux", dénonce le SNPHAR-E.
L'obligation faite aux établissements de fournir un décompte horaire quadrimestriel, rappelée par le Conseil d'Etat en juin 2022, n'est pas respectée dans 42% des cas, et dans 69% des cas pour les PH en décompte par demi-journée, montre encore l'étude. Cause invoquée par les directions : une incapacité des logiciels de transposer les demi-journées en décompte horaire. Pour le sociologue Pierre André Juven, "on voudrait produire de l'ignorance qu'on ne s'y prendrait pas autrement". Alors que depuis les années 80 et 90 les indicateurs se sont multipliés dans le monde hospitalier, le flou demeure sur ce sujet. "On mesure le taux d'occupation des lits, le volume de consommation de solution hydroalcoolique, illustre-t-il. Mais là ce qu'on comprend c'est qu'on ne sait pas calculer le temps de travail des soignants."
Quant au temps de travail additionnel, censé être volontaire, c'est une "contrainte" pour 61% des répondants. "C'est soit une contrainte extérieure, soit une autocontrainte", développe Matthieu Brière, évoquant un sentiment de "culpabilisation" des médecins hospitaliers par rapport à leurs confrères ou la volonté de faire tourner le service. Là encore, la réglementation est loin d'être respectée. Aucun contrat spécifique au temps de travail additionnel n'est proposé dans 45% des cas et dans 25% des cas, les praticiens ne se voient pas offrir le choix entre rémunération, récupération et compte épargne temps. "On est les seuls à bosser plus pour gagner moins", dénonce Mathieu Brière, qui souligne que dès les premiers échelons, les praticiens sont "perdants" lorsqu'ils se font rémunérer le temps de travail additionnel de jour.
Autre défaut de respect de la réglementation identifié : plus de 25% des PH n'ont pas de temps non clinique et 21% en bénéficient mais nécessairement en sus de leurs obligations de service.
L'enquête montre par ailleurs que 95% des MAR et MIR participent à la permanence des soins : 46% font uniquement des gardes, 6% uniquement des astreintes, 43% les deux.

Dans le cas des astreintes, le temps de déplacement n'est pas mesuré dans 55% des cas et 17% des praticiens ne bénéficient pas d'un repos de sécurité lorsque l'astreinte a donné lieu à un déplacement.
L'enquête du SNPHAR-E, anonymisée, révèle enfin que 19% des répondants bénéficient de "petits arrangements locaux" pas toujours réglementaires : majorations de garde, plages de temps de travail additionnel octroyées systématiquement chaque mois, temps de travail additionnel doublé ("une plage générée, une offerte")... Proposés par les établissements dans un contexte de crise d'attractivité (40% des postes de MAR et MIR sont vacants), ces accords génèrent "une concurrence" et exposent les praticiens à des redressements, déplore le syndicat.
"Il ne s’agit pas d’un effet générationnel, mais du ralliement de l’ensemble des praticiens aux aspirations des jeunes et de l’ensemble de la société"
"Il faut changer de paradigme dans la reconnaissance du travail des praticiens hospitaliers, appelle le syndicat. Cette entité n’a pas été entraînée dans l’évolution sociétale du rapport au travail, et ce retard se paie très cher aujourd’hui : il ne s’agit pas d’un effet générationnel, mais du ralliement de l’ensemble des praticiens aux aspirations des jeunes et de l’ensemble de la société, en matière de parentalité, d’équilibre de vie personnelle et professionnelle, de la nécessité d’aller bien pour soigner bien." C'est pourquoi le SNPHAR-E milite en faveur d'un passage au temps continu, qui doit devenir la norme, et à des obligations de service fixes à hauteur de 39 heures par semaine, temps non clinique compris. La possibilité de réaliser du temps de travail additionnel s’ouvrirait alors dès la 40ème heure pour les praticiens qui le souhaitent.
Invitée à ouvrir cette journée thématique, la directrice de la DGOS, Marie Daudé, a expliqué qu'elle n'avait pour l'heure "pas de mandat" pour rouvrir ce dossier. Mais une nouvelle instruction ministérielle pourrait être diffusée pour rappeler la réglementation.
Fort de ces résultats, le SNPHARE a annoncé l'ouverture d'une enquête élargie (TETRAMAR-E) à l'ensemble des spécialités ainsi qu'aux pharmaciens et aux odontologistes hospitaliers.
*Enquête anonymisée en ligne réalisée du 21 novembre 2024 au 9 mars 2025 auprès des MAR et MIR des établissements publics de santé. 1305 réponses ont été obtenues. Concernant les praticiens hospitaliers, les taux de participation sont de 22% en anesthésie-réanimation et 17% en médecine intensive-réanimation. 86.2% des répondants sont des titulaires, le syndicat ne disposant que des listes de titulaires.
**Syndicat national des praticiens hospitaliers anesthésistes-réanimateurs élargi
***Trois modalités de calcul : pointage, déclaration et forfait (10 heures pour une journée au bloc, par exemple)
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