L’air solennel, le Dr Yves-Henri Stumm s’exprime avec clarté : "La clinique Tous Vents à Lillebonne recherche activement des infirmières. Il y va de la vie de cette clinique et de la santé de tout le monde. J'appelle donc les infirmières à se porter candidates." Cet SOS, l’anesthésiste-réanimateur l’a lancé sur les réseaux sociaux le 31 mai dernier. Faute de personnels, la clinique spécialisée en chirurgie* dans laquelle il exerçait depuis près de 44 ans s’apprêtait en effet à fermer la nuit. Une décision à laquelle le praticien ne pouvait se résoudre sans tenter le tout pour le tout. "Nous avions perdu 5 ou 6 infirmières en l’espace de six mois", se rappelle le médecin. En cause selon lui : l’épidémie de Covid-19, bien sûr, mais aussi "un laisser-aller" au niveau de la politique de recrutement. A 73 ans, le Dr Stumm se décide à aller de faire du "ramdam". Toute la presse locale se fait le relai de son SOS.
Je sollicite votre aide aujourd’hui : la Clinique Tous Vents recherche activement des #infirmier #infirmiere. @Sante_Gouv @BrigBourguignon @f3normandie @BFMTV @CNEWS @Le_Figaro @lccauchois @TF1 @EmmanuelMacron @France3tv @HOSPIMEDIA @ars_normandie @ARS_IDF @NormandieActu pic.twitter.com/CR3nbhBCjT
— Stumm Henri (@DRSTUMM) May 31, 2022
Malgré la médiatisation de son appel, la clinique ne parvient pas à recruter suffisamment de blouses blanches pour maintenir son activité à l’identique. Elle se transforme alors en une clinique de chirurgie ambulatoire "pure" ; "80% de l’activité de la clinique était déjà de l’ambulatoire". Depuis fin juin, les patients sont reçus de 7h30 à 18h30 du lundi au vendredi. Plus aucune hospitalisation possible. Le Dr Stumm voit en cette baisse de régime un "abandon" de la population locale. Inacceptable pour celui qui réside à 500 mètres de son lieu d’exercice et qui est très attaché à ce lien avec les patients. "Dans ce bassin de population de 75 000 à 100 000 habitants entre le Havre et Rouen, les gens sont abandonnés", dénonce le septuagénaire. Et "les premiers touchés sont les personnes isolées et âgées". Près de 5 000 patients étaient jusqu’ici reçus chaque mois dans la clinique. "A 74 ans, mon avenir est derrière moi. Je vais passer progressivement de l’état de docteur travaillant à plein temps à l’état de malade. Et qui va me soigner ?, s’inquiète le Dr Stumm, le ton grave. Il est inconcevable d’aller me faire soigner à 50 kilomètres de chez moi. L’avenir est dans les petites structures. Vous n’aurez jamais des gens aussi gentils que si vous les côtoyez régulièrement", assure le praticien. C’est pour les habitants de la campagne, dont les importantes villes des alentours "s’intéressent peu", qu’il s’est battu, nous explique-t-il.
Mais aussi parce qu’après la fermeture partielle de sa clinique, le Dr Stumm redoutait une trajectoire similaire pour le petit hôpital public voisin. "Nous avons été la première clinique à s’associer avec l’hôpital public en 1997", rappelle-t-il au passage. "Il devenait urgent que l’établissement de santé soit sauvé" car "le jour où c’est nous qui disparaissions, ça voulait dire qu’à plus ou moins long terme, la médecine allait disparaître et l’obstétrique aussi…" "Ça fait 44 ans que je suis dans cette clinique, ça me faisait mal aux tripes de me rendre compte qu’on allait perdre ça", confie l’anesthésiste. "Cette clinique, elle est vieille comme le monde." "Ça n’a pas été facile au début" Déjà investi dans la gestion de la clinique, le Dr Stumm entend alors parler d’une volonté de revente de la part du groupe privé qui détient la structure. Ni une ni deux, l’anesthésiste y voit une opportunité en or de pouvoir sauver l’activité. "Voyant comment cela partait à vau-l’eau, nous avons décidé de. racheter la clinique avec un groupe de médecins", raconte-t-il, précisant que "75% des médecins ont donné des parts". Dix médecins sont donc propriétaires à 100% depuis le 3 octobre. "Ça n’a pas été facile au début", reconnaît le pilier de l’établissement. "Quand vous demandez du pognon, c’est toujours difficile. Mais tout le monde a mis du sien." L’investissement est en effet de taille. Si la clinique "ne valait pas cher", le Dr Stumm reconnaît toutefois qu’il s’agit "d’une certaine somme". "Il y a quand même de gros risques", notamment au niveau des charges, très élevées dans ce type d’établissement spécialisé en chirurgie. Plus que de maintenir l’activité, l’enjeu est donc de la développer, avance Sixtine Stumm, 29 ans, nouvelle directrice de la clinique et fille de Yves-Henri Stumm. "L’objectif est de rouvrir l’hospitalisation complète, de recevoir des patients. Une fois les infirmières recrutées, on pourra se tourner vers de nouveaux médecins spécialistes." "On est des vieux, maintenant place aux jeunes !", ajoute le Dr Stumm, qui a pu compter sur le soutien de tous ces enfants pour mener ce projet. Une première victoire Mais chaque chose en son temps. Une fois l’administratif géré dans le cadre de la transition, la nouvelle direction s’est penchée en novembre sur ce manque de blouses blanches, aussi bien au bloc opératoire, que pour des postes de jour et de nuit. Forte de sa petite renommée médiatique, la nouvelle équipe a posté une vidéo sur les réseaux sociaux pour attirer du personnel. "Nous avons encore besoin de vous", y déclare le Dr Stumm, faisant valoir la mise en place "d’un planning conciliant la vie professionnelle et la vie privée" et "un salaire attractif". Les salaires des infirmières en poste ont été revalorisés en novembre. "Et quand on reçoit des candidates en entretien, on leur demande leur prétention salariale, on en discute et on négocie ensemble", explique Sixtine Stumm.
Une stratégie "basée sur l’écoute" qui semble porter ses fruits puisque trois nouvelles infirmières viennent d’être embauchées. Une première victoire à la saveur particulière. L’une des nouvelles recrues est arrivée le 16 décembre dernier. Grâce à elle, durant quatre jours (du 19 au 22 décembre), la clinique a pu rouvrir l’hospitalisation complète durant quatre jours avant de fermer ses portes entre Noël et le Nouvel An. "On reprendra ce rythme-là en janvier, du lundi au jeudi, jusqu’à ce que l’on trouve du personnel soignant pour rouvrir 7 jours sur 7, 24 heures sur 24", assure la nouvelle directrice, conquérante. Les deux autres infirmières recrutées arriveront début janvier. Quatre à six infirmières manquent cependant encore à l’appel. "L’infirmière, c’est la cheville ouvrière de la médecine. Sans elle, les médecins ne sont rien", déclare le Dr Stumm.
Cher réseau,
— Stumm Henri (@DRSTUMM) November 24, 2022
Depuis le 3 Octobre dernier, les médecins de la Clinique Tous Vents ont acheté cette clinique pour la sauver. @paris_normandie @franceinter @franceinfo @Europe1 @f3normandie @TF1 @NormandieActu @fbleuhnormandie @lccauchois @Tendanceouest76 @OrdreInfirmiers pic.twitter.com/SJJP4TiGd9
Le Dr Stumm prend son nouveau rôle d’actionnaire très à cœur. "Le médecin sait ce dont ont besoin les soignants… Ce n’est pas très compliqué." L’avantage d’une petite structure, publique ou privée, "c’est que tout le monde se connaît, on s’entraide. Les problèmes se résolvent instantanément, il n’y a pas besoin d’avoir une structure administrative", soutient le normand, qui déplore que la médecine soit devenue bureaucratique. A 74 ans, l’anesthésiste qui a fait toute sa carrière entre les murs de l’établissement n’entend pas rendre la blouse. "Si ma santé le permet, pourquoi j’arrêterais ?" lance celui qui totalise 12 000 jours de garde à son actif. "Il faut penser aux autres", résume-t-il dans un élan de philosophie. Pour postuler : direction@cliniquetousvents.com *chirurgie viscérale et digestive, urologique, gastro-entérologique, oto-rhino-laryngologique, stomatologique, ophtalmologique.
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