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Salariat en centre de santé : une généraliste raconte sa "désillusion"

Après cinq années épuisantes en libéral, Caroline* pensait avoir trouvé un équilibre en rejoignant un centre de santé en tant que médecin salariée. Un poste à temps partiel "plus compatible avec sa famille", espère-t-elle. Bien accueillie, enthousiasmée par le projet, la généraliste déchante rapidement. Le décalage entre les projets annoncés et le faible nombre de patients pris en charge lui pèse, provoquant chez elle un mal-être croissant et une profonde remise en question.

20/06/2025 Par Aveline Marques
Témoignage
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"Six mois après l'obtention mon diplôme de médecin généraliste, je m'installais en libéral, heureuse de débuter un suivi au long court avec ma propre patientèle. Mais, au bout de 5 ans, j'étais épuisée. J'ai arrêté pour m'occuper de mes enfants.

J'ai ensuite cherché un poste de salariée à temps partiel, plus compatible avec ma vie de famille nombreuse. J'ai d'abord pris un poste de coordinateur en établissement mais il n'y avait pas assez de soins donc j'ai rapidement arrêté et j'ai repris un temps les remplacements libéraux de longue durée.

Je me suis ensuite dirigée vers l'exercice salarié en centre de santé, qui me permettait d'avoir un temps partiel mais aussi de me consacrer à mon cœur de métier et rien d'autre.

Quand j'ai vu cette annonce de poste, j'avais beaucoup d'espoir, j'étais enthousiasmée par le projet. Le centre de santé était ouvert depuis peu, le projet de santé était à peaufiner, l'équipe était motivée : il y avait des infirmières formées à l'éducation thérapeutique, une psychologue, une assistante sociale… En plus de la secrétaire, il devait aussi y avoir une assistante médicale pour que les médecins soient vraiment concentrés sur la prise en charge médicale.

Trois jours par semaine

Le centre était situé dans un quartier prioritaire de la ville, avec une population plutôt défavorisée. C'était vraiment un projet porté par la ville, avec des locaux réhabilités par la commune, avec des subventions de la ville… Le projet avait tout son sens.

J'ai commencé en février 2024, à 60%. Soit trois jours d'exercice, à raison de 7 heures par jour. Ce qui est très peu par rapport à un médecin libéral.

J'ai été très bien accueillie. Je rejoignais une médecin qui était là depuis la création du centre, elle était contente de voir arriver une collègue. L'équipe était très sympa. La mise en route a été progressive, mais c'était logique car le centre était jeune…

Assez rapidement, on a eu des problèmes de direction. Il y a eu des mises à pied pour des histoires de détournement de fonds. J'ai suivi ça de très loin.

Pour moi, la désillusion a surtout été de découvrir qu'il y avait un avait un vrai gap entre ce qu'on affichait en matière de qualité de la prise en charge et le nombre de patients qui en bénéficiaient réellement, le nombre d'actes réellement effectués. Oui, on proposait de l'éducation thérapeutique mais en réalité, les patients n'étaient que trois ou quatre dans les groupes… quand ils venaient.


La médecin qui était là depuis le début a rapidement annoncé qu'elle allait déménager et qu'elle partait. Ne sachant comment seraient occupés les trois bureaux médicaux, on s'est dit qu'on ne pourrait pas assurer le suivi des patients, donc on ne faisait plus de déclaration médecin traitant. On passait à côté des rémunérations forfaitaires de l'Assurance maladie mais tout le monde s'en fichait.

Outre les aides de la ville et de l'ARS, on bénéficiait d'aides de l'Assurance maladie et de financements de la CPAM pour des projets spécifiques, comme le mois sans tabac. Avec des montants vraiment pas négligeables : je me souviens par exemple d'une aide de 20 000 euros pour inciter les patients à faire de l'exercice physique.

"Personne ne contrôlait si les engagements pris étaient respectés"

Une des infirmières du centre était d'ailleurs dédiée à répondre à ces appels à projets, elle ne voyait plus de patient ; tout comme une autre était chargée d'orchestrer les programmes d'éducation thérapeutique. En réalité, ces appels à projets étaient passés pour la forme car il était clair que de toute façon, le centre avait besoin de ces financements pour fonctionner…

Derrière, personne ne contrôlait si les engagements pris étaient respectés. On lançait quelques actions, mais les résultats étaient loin d'être à la hauteur des attendus et des financements alloués.

On a par exemple participé à l'expérimentation Secpa, dans le cadre de l'article 51, qui finançait des projets dont les usagers étaient partie intégrante, pour une santé   "participative". L'idée était très chouette, et dans certains territoires il y a eu de belles initiatives comme à Angers avec la Maison Olympe. Mais nous, rien. Je me souviens qu'au fil des réunions, on disait qu'on n'avait pas le temps, "on se revoit dans 6 mois"… Mais en attendant, l'enveloppe avait déjà été consommée et ce, sans aucune contrepartie.

Je me demande quel est le bilan de toutes ces expérimentations article 51 que les centres de santé appellent à pérenniser car ils en dépendent financièrement. Il peut y avoir des projets pertinents mais parfois j'ai l'impression que c'est juste une bulle d'air. Et les structures qui ne font rien, ou presque, ne sont pas plus inquiétées que celles qui mettent réellement à profit l'enveloppe qui leur a été allouée.

Ce que j'ai pu constater, c'est finalement assez logique étant donné le financement à l'acte. Le tarif de consultation ne couvre pas le coût de la secrétaire ou de la femme de ménage. Ces centres de santé ont donc besoin d'employer du personnel pour répondre à des appels à projet, faire le lien avec les organismes publics. Sur le papier, cet argent est alloué à la santé mais ce ne sont pas des gens qui soignent, qui se retrouvent face aux patients. Et ceux qui soignent sont encore plus sous pression, car leur travail doit financer ces postes support.

Je me suis rendu compte qu'on travaillait complètement à perte. Ce n'est pas pour rien que les libéraux font des consultations toutes les 20 minutes… Nous, c'était toutes les 45 minutes et encore, tous les créneaux n'étaient pas pris. Sans compter les congés payés… ça ne peut pas fonctionner !

"Les libéraux de la ville continuaient de crouler sous les patients"

Au final, on devait avoir 300 patients médecin traitant, sachant qu'au départ l'autre médecin était à temps plein et moi à 60%. A côté de ça, les libéraux de la ville – que j'ai rencontrés- croulaient sous les patients !

Quand j'ai dit à l'élu local avec qui on était en relation que les libéraux ne voyaient aucun changement, qu'ils étaient toujours autant sous pression parce que finalement on prenait en charge peu de patients, je me suis rendu compte qu'il s'en fichait complètement… Tant qu'on disait qu'on faisait de l'ETP, qu'on proposait telle ou telle consultation, c'était le principal ! L'effet d'annonce primait sur le ressenti de la population (patients / professionnels de santé) concernée.

J'ai fini par ressentir un mal-être. Je ne dormais plus la nuit, j'étais très anxieuse. Arrivée sur la fin de ma période d'essai, j'ai voulu arrêter. Le directeur par intérim m'a fait valoir qu'au contraire, j'allais pouvoir davantage m'investir et faire bouger les choses… Mais en ayant accès aux documents, cette dichotomie entre les engagements pris, l'argent reçu et notre activité m'a frappée encore davantage.

Un mois après, fin juillet, j'ai posé ma démission. J'avais trois mois de préavis, j'ai tenu deux mois puis le dernier j'étais en arrêt : incapable d'y retourner.

J'ai vraiment essayé de m'investir, j'ai passé énormément de temps à comprendre la situation, pour mettre en place des choses de façon plus pérenne et surtout de façon plus honnête et conforme aux financements reçus et aux attentes des patients.

Ma démission n'a été une surprise pour personne. Lors d'une réunion, j'avais pu dire tout ce que je pensais, qu'il y avait beaucoup d'argent investi mais que c'était beaucoup d'effets d'annonce, que ça ne correspondait pas à la réalité du terrain et que ça ne répondait pas aux besoins des patients.

Je pensais vraiment que le salariat en centre de santé était adapté à l'exercice en temps partiel mais le problème des temps partiels c'est qu'ils nécessitent un temps de coordination qui n'est pas rémunéré.

J'ai mis plusieurs mois à me remettre de cette expérience. J'ai suivi une formation et j'ai passé une capacité pour me spécialiser… Je pensais continuer la médecine générale en parallèle, mais là, avec les dernières lois votées par le Gouvernement, le doc bashing actuel, je suis complètement désabusée.

"J'ai pris ma décision : je quitte la médecine générale"

Je ne vois plus de mode d'exercice qui me corresponde : le libéral à temps très partiel c'est trop compliqué, on ne peut pas payer les charges car la première marche des cotisations est très élevée ; le salariat a été une désillusion ; et le remplacement ne permet pas de suivre les patients au long cours – c'est ce que j'aime. J'ai longuement hésité à m'installer en secteur 3 mais je ne suis pas encore prête à franchir le pas.

Il y a un mois, j'ai pris ma décision : je quitte la médecine générale, avec soulagement. Je vais jusqu'au bout de ma capacité pour devenir un médecin de deuxième recours et pouvoir exercer à temps partiel.

Je suis convaincue que le plus beau métier reste celui de médecin généraliste, c'est le premier maillon de la chaine de soin. Mais le bateau coule et on ne peut plus le sauver."

*Le prénom a été modifié

Faut-il ouvrir plus largement l'accès direct à certaines spécialités médicales ?

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On n’arrive déjà pas à avoir un rendez-vous en urgence en tant que médecin traitant pour un de nos patients parce qu’il y a trop d... Lire plus

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