impact de la mort chez les soignants

"Les morts se sont empilées depuis le début de nos études" : un médecin veut briser le tabou

Informer et sensibiliser sur l'impact de la mort sur les soignants. C’est la mission que s’est donné le professeur Thibaud Damy, cardiologue au CHU Henri-Mondor de Créteil (AP-HP). Avec une approche insolite : partir à pied à la rencontre des professionnels sur le territoire.

03/04/2025 Par Anaïs Bocher
impact de la mort chez les soignants

“Il faut espérer que mes pieds et mon corps tiennent le voyage”, plaisante le Pr Thibaud Damy. Car dans quelques jours, le cardiologue sera sur la route pour entamer son mini tour de France. Attendu dans de nombreuses villes comme Tours, Chartres, Bordeaux ou Toulouse, le périple devrait durer près d’un mois et demi. Sa visée principale : “Réfléchir ensemble pour améliorer la prise en charge autour de la mort et son impact chez les soignants”.

Partie intégrante de la vie d’un soignant, la mort côtoie régulièrement celle du Pr Thibaud Damy. S’étant spécialisé sur l’amylose, une maladie rare du muscle cardiaque, celui-ci travaille d’arrache-pied pour alerter la communauté médicale et traiter le plus de patients possibles. Mais le corps et le moral finissent par lâcher… 

"Je me suis oublié et je n'ai rien vu venir"

Durant une présentation médicale, il fond en larmes devant ses confrères. “Pour eux, ce n’était que des cours, indique-t-il. Mais pour moi, c’était le visage de mes patients qui n’étaient plus de ce monde.” À bout de force, le médecin est victime du traumatisme vicariant dit “traumatisme de procuration”. “Il s’est développé au fil des années en prenant soin de mes patients, explique-t-il à ses abonnés dans un post LinkedIn. Je me suis oublié et je n’ai rien vu venir, pris dans une suractivité visant à sauver mes patients [...] Mes morts, nos morts traumatisantes étaient là depuis le début de nos études, et avec les années, elles se sont empilées”.

Conflits au sein des équipes

Un message qui touche des milliers d’internautes et recueille des centaines de témoignages de soignants sur leur expérience respective vis-à-vis de la mort. Chaque année en France, plus de 600 000 Français décèdent, dont 60 % à l’hôpital et 80 % dans des services de courte durée. Seuls 20 % des patients atteints de pathologies chroniques sont accompagnés par des équipes spécialisées en soins palliatifs. Bien souvent, les soignants dans les services généraux ne sont pas formés ni accompagnés pour prendre en charge des décès de patients parfois brutaux ou inattendus. "Étant donné la violence de la mort, les soignants peuvent se culpabiliser, se tenir responsable de ce décès, observe Thibaud Damy. Des mécanismes de défense qui peuvent créer des conflits au sein des équipes et générer de l’angoisse. Une angoisse que peut ressentir le patient."

Crédit : Thibaud Damy

Après une thérapie, le cardiologue reprend son activité mais est désormais convaincu que la prise en charge du décès doit changer pour être mieux appréhendée et gérée par les soignants. De nombreux aménagements sont alors établis dans son service de cardiologie. “Nous avons développé des techniques pour accompagner les soignants, décrit-il. Comme des ateliers de massage, de relaxation, d’art-thérapie ou des carnets d’envols. Ceux-ci ont été créés pour écrire un petit mot en hommage aux patients décédés. Une manière de se rappeler de la personne et non pas seulement de son départ.” Face à ces nouveaux procédés, l’ambiance du service devient progressivement plus sereine.

Briser le tabou

En 2021, avec plusieurs confrères, le cardiologue mène une enquête nationale sur près de 1000 soignants du cœur. Celle-ci révèle que plus de 37% d’entre deux présentent des niveaux élevés d’anxiété et de dépression et 33% souffrent d’un syndrome de stress post-traumatique. Face à ces résultats, Thibaud Damy décide de briser le tabou au niveau national. "Il est temps de considérer les soignants non seulement comme des acteurs du soin, mais aussi comme des individus vulnérables face à la mort, déclare ce dernier. L’hôpital doit devenir un lieu où la souffrance émotionnelle des soignants est reconnue et prise en charge."

Munie d’une paire de chaussures et d’une tenue de sport, Thibaud Damy termine de boucler son sac à dos, déterminé à changer les choses. “L’idée, c’est de créer un espace d’échange avec les soignants à travers les différents territoires", explique ce dernier. Un dialogue dont les objectifs sont multiples : développer des solutions concrètes pour améliorer leur bien-être, améliorer la prise en charge des patients et des familles et intégrer la gestion des situations de décès dans les formations médicales et post-universitaires.

Pour mener à bien ces projets, plusieurs mesures concrètes portées par différents acteurs du projet global se mettent en place. Entre autres, la création d’un collectif de soignants nommée "les SURvivants", celle d’une plateforme de ressource pour les professionnels de santé et les familles et le lancement d’un diplôme inter-universitaire dès 2025. 'Ce projet d’étude consiste à former des ambassadeurs dans les hôpitaux qui contribueront à informer, sensibiliser et former leurs collègues sur le sujet de la mort et son impact sur les soignants", précise le Pr Cédric Frétigné, sociologue à l’Université Paris-Est Créteil, membre de l’équipe pilote du projet. Trois enquêtes nationales vont également être lancées pour évaluer l’impact de la mort sur les soignants et recueillir des témoignages. "L’objectif principal est de laisser parler les soignants et de comprendre comment ils ont vécu ces situations", indique la Dre Fiona Ecarnot, ingénieure de recherche également engagée dans l’aventure.

De son côté, Thibaud Damy a commencé son périple dimanche 30 mars avec une première étape à Dampierre-en-Yvelines. Au programme pour les prochains mois, 25 kilomètres de marche quotidienne avec un hébergement différent chaque soir chez un soignant. Une épopée qui sera retracée à travers un carnet de route virtuel, actualisé toutes les semaines. Du contenu sur les différents réseaux sociaux et le site internet du projet sera aussi régulièrement publié.

Malgré ce rythme très sportif qui s’annonce, le médecin reste serein. “Aujourd’hui, c’est l’équinoxe de printemps, sourit-il. À partir de maintenant, il va y avoir une diminution de l’obscurité et une augmentation progressive de la lumière. C’est probablement un signe par rapport à tout ce qui va se passer dans les prochaines semaines.”

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Claire FAUCHERY

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1 débatteur en ligne1 en ligne
Photo de profil de Annie Krommenacker
35 points
Médecins (CNOM)
il y a 8 mois
Cher Professeur, J’ai exercé 40 ans en libéral dans une petite ville du sud de la France. De plus les sept premières années de mon activité, j’étais médecin sapeur pompier. Je l’ai toujours dit et vous le dis é eu beaucoup de chance dans la gestion des nombreux décès que j’ai eu à affronter. Dès qu’il y avait une histoire de vie avec mon patient, j’ai tellement de souvenirs que je n’arriva pas à être focalisé sur leur mort! Quant à ceux que je connaissais moins, la douleur de leurs proches m’a plus émue que le défunt: une histoire débutait. Donc je n’ai pas eu ce burn-out vis à vis de ces morts, pourtant je suis très compasionnelle.
Photo de profil de Michel Rivoal
10,7 k points
Débatteur Passionné
Anesthésie-réanimation
il y a 8 mois
Belle initiative d’un « SURvivant » comme il se nomme lui même. Mais je regrette que ce soit par défaut d’une prise en charge plus générale et que ce soit une réaction à son propre « burn out ». Oui les (des) services de court séjour sont confrontés à la mort sans préparation avec comme conséquences pour certains le traumatisme « évident », pour d’autres le refoulement et l’apparente indifférence. Mais aussi, cette indifférence se manifeste au niveau des tutelles et des gouvernants par une méconnaissance des problèmes. Comment ne pas parler de cette « pénibilité »? Alors de nombreuses structures ont géré cette pénibilité. Bien sûr les soins palliatifs et je ne développerai pas; on en parle tellement (mais sans doute pas assez ou pas assez bien. Bien sûr aussi les services de réanimation où si le risque est grand (entre 15 et 20% de mortalité) la parole s’est développée, l’acharnement a régressé au profit de l’abstention de poursuivre des traitements déraisonnables à la suite des études LATAREA (début des années 2000) mais il a fallu attendre une 15 aine d’années pour qu’on recommande puis impose la présence de psychologues dans les équipes de réanimation. Je connais moins bien les services d’oncologie mais cette prise en charge existe aussi. En revanche dans les services d’urgence mobile, c’est rare et il faut des « catastrophes » pour créer des cellules psychologiques à partir des postes médicaux avancés alors que le traumatisme est quasi quotidien dans les SMUR. La prise en charge est quasi inexistante dans les service de soins « standards » alors que le choc est d’autant plus agressif que la situation est peu fréquente, voire inattendue, voire accueillie avec un certain fatalisme quand l’agonie d’un vieillard par exemple se prolonge et que soignants et familles ont renoncé à tout espoir d’humanité. Il reste que si 60% des décès sont « hospitaliers » cela veut dire que 40% ne le sont pas. Il faudrait faire la part de ceux qui surviennent en EHPAD, maisons de retraite et ceux qui surviennent à domicile et je ne suis pas sûr que toujours les conditions d’accompagnement des familles et/ou des soignants, médecins compris, soient optimales. Saluons cependant cette initiative militante!
Photo de profil de Nathalie  Hanseler Corréard
445 points
Incontournable
Médecine générale
il y a 8 mois
1er souvenir, interne participant à la réa bien conduite d'une cardiaque, j'ai du annoncer le décès à la fille qui m'a dit "vous l'avez tuée" ce qui m'a interrogée et permis d'échanger par la suite lors de la plupart des décès. Ceux qui m'ont choquée, j'ai en effet mis en place une CAT(comme dit le Dr Rivoal, ça apaise), comme d'aller systématiquement revoir les asthmatiques laissés à domicile, gracieusement et aussi de leur faire prendre conscience - avec bienveillance- que l'on peut mourir d'une crise prise en charge trop tard. Merci de votre démarche, car je pensais avoir tout surmonté depuis 40 ans, mais rien que de prendre connaissance de votre démarche, beaucoup d'émotions me submergent. Et la période Covid et post Covid a sûrement crée beaucoup de souffrances chez les soignants.
 
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