"Entre deux contractions, je cherchais une remplaçante" : l'épopée d'une généraliste pour le congé maternité des femmes médecins
Pendant près de 40 ans, la Dre Nicole Bez, généraliste à Lyon, a mené un combat acharné pour faire reconnaître les droits des femmes médecins libérales. Comme elle aime le répéter, c'est grâce à elle que ces dernières peuvent jouir d'un congé maternité décent. Si elle savoure aujourd'hui une retraite bien méritée, elle n'a pas complètement mis fin à son engagement syndical. Portrait d'une militante infatigable.
À la retraite depuis dix ans, la Dre Nicole Bez n'a rien jeté de son passé de militante. Pendant le premier confinement, au printemps 2020, elle a consciencieusement rangé dans des boîtes les vestiges des combats qu'elle a menés lorsqu'elle était médecin généraliste : "un dossier congé maternité, un dossier union professionnelle, un dossier Carmf et un dossier conseil de l'Ordre", énumère-t-elle au téléphone. "J'ai tout gardé pour mes petits-enfants", sourit-elle, en se remémorant toutes ses luttes. S'il ne fallait en retenir qu'une, ce serait sans nul doute celle pour les droits des femmes généralistes. Une véritable "épopée", reconnaît Nicole Bez.
C'est à Lyon que l'omnipraticienne décide de s'installer en 1979, après deux ans de remplacement, en association avec Marie-France Le Goaziou. Professeure, cette dernière est aussi adhérente au syndicat de la médecine générale (SMG). Portée par l'enthousiasme de sa consœur, Nicole Bez s'y inscrit à son tour. Elle a l'engagement dans le sang. Son père, décédé lorsqu'elle n'avait que 3 ans, "était quelqu'un qui avait une notion de la justice, de la probité, très importante." "Il avait créé une entreprise en coopérative avec ses salariés. On a un lien social, un lien d'engagement dans notre famille."
Durant ses études, Nicole Bez avait naturellement rejoint l'Union nationale des étudiants de France (Unef), où elle avait été "l'une des meneuses d'une grève en 5e ou 6e année de médecine". "A l'époque, on choisissait nos stages d'après l'ordre de réussite de l'année précédente. Ceux qui étaient à la fin [du classement] n'avaient que des stages bidons, ils ne voyaient jamais de malades, ce n'était pas normal." Les carabins avaient fait grève et obtenu que tout le monde puisse bénéficier d'un stage couplé.
Une fois son diplôme en poche, elle ressent le besoin de donner corps à son engagement. Problème : Nicole Bez ne "se sent pas bien" au SMG.
Tu prendras des vacances !
La flamme aurait pu s'essouffler si une nouvelle injustice ne s'était pas présentée à elle. En 1980, Nicole Bez est enceinte de son premier enfant, et constate qu'il n'y a pas de congé maternité pour les femmes médecins libérales. "Je demande autour de moi : 'Comment je vais accoucher ?' On me répond : 'Bah tu prendras des vacances'", se souvient la généraliste. "J'ai accouché un mois avant [la date du terme], un jeudi de janvier à 2h du matin. La veille, entre deux contractions, je téléphonais depuis la maternité pour trouver une remplaçante. C'était ça être femme médecin à cette époque…"
"Choquée", la jeune généraliste décide, à peine après avoir donné la vie à son fils Boris, de rejoindre le comité de liaison des femmes médecins pour la défense de leurs droits, créé par la Dre Jacqueline Valensi. "Là j'ai trouvé des consœurs qui avaient envie de se battre pour que les femmes médecins ne soient pas les plus mal loties des femmes qui travaillent."
Sittings, sensibilisation auprès des élus… Le comité de liaison des femmes médecins enchaîne les actions pour faire entendre leur voix, jusqu'ici peu audible dans un écosystème encore très masculin. A l'automne 1982, elles apprennent qu'un décret vient de sortir et accorde aux conjointes de médecins qui aidaient leur mari au cabinet deux mois de congé maternité. "Dans ce texte, il n'y avait pas les femmes médecins !", se rappelle Nicole Bez, scandalisée. Ses consœurs et elle se mobilisent pour être indemnisées à la même hauteur. Et finissent par gagner ce "maigre" droit.
Nicole Bez a conservé une lettre signée d'Yvette Roudy, ministre déléguée chargée des Droits de la femme : "Vous pourrez désormais prétendre à une allocation de repos maternel [d'un Smic] ainsi qu'à une indemnité de remplacement d'un Smic ; cette dernière vous sera versée en compensation des services que vous avez dû faire effectuer par un tiers salarié", lit-elle. "C'était mal connaître l'exercice libéral…" C'est ainsi que lorsqu'elle accouche de sa fille Julie, en février 1983, la généraliste envoie la feuille de salaire de la femme de ménage de son cabinet "pour avoir [son] indemnité". "J'ai donc reçu mes deux mois."
Cette incohérence est corrigée en mai 1983. Le comité obtient que les femmes médecins puissent toucher l'équivalent de ces deux Smic à partir du moment où elles se font remplacer par une consœur libérale. Ces droits stagneront jusqu'en 1994. Entre-temps, le paysage syndical se transforme. MG France naît en 1986, deux ans après le séminaire de Rodez qui a vu émerger le Mouvement d'action des généralistes (MAG). Nicole Bez fait partie des membres fondateurs.
En 1995, grâce à une union syndicale, les femmes médecins libérales se voient accorder un droit propre. Elles ne sont plus assimilées aux conjointes collaboratrices. "Il a quand même fallu douze ans pour sortir de ce statut", souligne Nicole Bez. Un décret entérine cette avancée. Il donne droit à 60 jours d'arrêt consécutifs en cas de naissance simple (même à partir de la 3e grossesse), 90 jours en cas de naissance multiple et en cas d'état pathologique résultant de la grossesse ou de l'accouchement. "Et on double nos allocations", ajoute la militante.
L'alignement sur les salariées
Alors que la situation semble figée, des thèses de médecine générale sur le sujet commencent à être publiées. L'une d'elles montre que le taux de prématurité est plus important chez les femmes médecins qu'en population générale. "Voilà… On se dit qu'on ne peut pas rester avec notre allocation minable", soupire Nicole Bez. "Je reprends la mission femmes médecins et contacte les autres syndicats, mais personne ne veut y aller." MG France part seul dans la bataille, se souvient la retraitée. Il sera ensuite rejoint par les syndicats de jeunes fraîchement créés.
Fin 2005, ils sont reçus par Catherine Vautrin, alors ministre déléguée à la Cohésion sociale et à la Parité. Nicole Bez fait partie de la délégation. "Elle nous dit : 'Qu'est-ce que vous voulez ?' Je lui réponds : 'C'est simple, on veut l'alignement sur les salariées : 4 mois [de congé maternité] pour la première et deuxième grossesse et 6 mois à partir de la troisième grossesse'." A l'époque, le Gouvernement constate que la démographie des généralistes baisse. Xavier Bertrand accède donc à la demande des omnipraticiennes dans son "plan démographie des professions de santé" de janvier 2006. Toutes les soignantes libérales (infirmières, kinés…) finissent par en bénéficier.
Restait le problème des maternités pathologiques. "Le souci, c'est que la Carmf indemnise au 91e jours. Si on devait s'arrêter à 4 mois de grossesse, du 4e mois jusqu'au 7e mois, on n'avait rien…" Nicole Bez se souvient notamment de l'histoire d'une femme médecin libérale dans le Jura. "Elle a dû s'aliter pour garder sa grossesse au 3e mois. Son mari, praticien hospitalier, a pris un congé sans solde pour tenir le cabinet de sa femme. Et elle, de son lit, assurait le secrétariat téléphonique pour diminuer les charges du cabinet…"
Mais c'est la lettre d'une médecin dont la mère avait été traitée par Distilbène qui permet au combat de prendre une autre tournure. Nous sommes en 2008. "Elle nous disait : 'Je suis enceinte et libérale. Une loi est passée mentionnant la prise en charge par l'Assurance maladie dès le premier jour d'arrêt quand on a été exposé au Distilbène. Pourquoi je n'y ai pas le droit ?" MG France met son avocat sur le dossier, et la requérante finit par toucher ses indemnités. "C'était la première fois que des IJ étaient payées par l'Assurance maladie à une libérale… C'était un grand début !", se félicite Nicole Bez. A partir de 2014, toutes les femmes médecins libérales peuvent être indemnisées dès le 4e jour en cas de maternité pathologique jusqu'au 90e, à partir duquel la Carmf prend le relai.
Une petite bonne femme qui voulait tout révolutionner…
Les jeunes généralistes bénéficient désormais d'un vrai congé maternité. "Mais toujours avec des montants très bas, qui ne permettent pas de payer les frais du cabinet", nuance Nicole Bez, qui a reçu la légion d'honneur en 2010. "On repart au combat. On réclame un avantage supplémentaire maternité à hauteur d'un Smic par mois en plus de ce qu'on avait déjà." La profession, qui s'est largement féminisée, se mobilise. Et met en garde : si les femmes médecins libérales ne bénéficient pas d'un congé maternité décemment indemnisé, elles ne s'installeront pas. En 2016, Marisol Touraine, à la Santé, crée cet avantage supplémentaire maternité (ASM), "ce qui fait qu'une femme libérale qui a un cabinet à faire tourner pendant sa grossesse, touche environ 5 000 euros par mois pendant 3 mois".
Nicole Bez vient de prendre sa retraite quand l'ASM est mis en place. Un beau cadeau pour la militante de toujours. Dix ans après, celle-ci se dit "très fière" de ce qu'elle a entrepris. D'autant plus que sa fille, Julie, qui a suivi sa trace en devenant généraliste, a pu bénéficier des avantages durement acquis. "Elle a accouché en février 2015, elle était alors remplaçante. Elle a profité des IJ de maternité pathologique. Elle vient d'avoir son 4e enfant", sourit cette grand-mère comblée. Et d'ajouter : "Récemment je suis allée voir une dermatologue, elle était enceinte, elle me dit : 'Je ne serai pas là du tant au tant', je lui ai répondu : "Vous savez que c'est grâce à moi que vous ne serez pas là !'"
"Tous les gens qui ont vécu avec moi le savent : j'ai donné beaucoup de temps, beaucoup d'énergie. On m'a attaqué devant le conseil de l'Ordre, on voulait me faire la peau dans le TGV. C'était une lutte dans tous les sens. Je ne suis pas bien grande, je mesure 1m53, cette petite bonne femme qui voulait tout révolutionner, ça ne passait pas…", confie Nicole Bez, qui n'a rien perdu de sa détermination. Elle est encore très active au sein de MG France – "[sa] famille". "Je fais le forcing à chaque négociation pour que l'avantage supplémentaire maternité soit versé pendant tout l'arrêt maternité et pas seulement trois mois. Il faut que les jeunes se battent !", enjoint-elle.
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