"Je ne vais pas faire le fier, au début, j'ai vraiment, moi aussi, espéré que ça soit une grippette", explique à l'AFP Pierre Tryleski, médecin généraliste à Strasbourg, alors que le Grand Est a été l'une des premières régions de France touchées par le coronavirus. Le 23 janvier, Agnès Buzyn, alors ministre de la Santé, assurait que la France était "extrêmement bien préparée". Au même moment, la ville chinoise de Wuhan se coupait du monde. L'ampleur de l'épidémie à venir s'est imposée à Eric Revue, chef du service des urgences de l'hôpital Lariboisière (AP-HP) à Paris, à la lecture d'"un message extrêmement inquiétant d'un urgentiste italien". Face à deux malades pour un seul respirateur, le médecin se demandait qui choisir, "le monsieur de 40 ans ou celui de 60 ans?" Dans les deux pays, "même type de population, de pathologies, d'organisation". L'évidence éclatait aux yeux de l'urgentiste: "Quelque chose était en train de se passer" et "ça allait nous tomber dessus". "On prend la mesure du risque quand les choses arrivent", note le Dr Tryleski. Le président du syndicat de médecins généralistes MG France pour le Bas-Rhin se souvient avoir réalisé le sérieux de la situation en voyant "la tête décomposée du chef de service des maladies infectieuses du CHU de Strasbourg", pourtant pas "du genre à être pessimiste facilement". Puis arrivent les réunions de crise. En Île-de-France, "un dimanche (le 1er mars, ndlr), je m'en souviens très bien", note Eric Revue, alors persuadé qu'arrivait "quelque chose que, de mémoire de médecin, nous n'avions jamais connu". Suivent le "plan blanc maximal" le 12 mars, le confinement 5 jours plus tard et... la "vague".
Submergé par un "tsunami" "Je me suis rendu compte que ça partait en vrille quand nous nous sommes mis à...
remplir l'unité non-Covid avec des patients Covid", raconte Myriam Bellon, anesthésiste-réanimateur dans un hôpital privé à but non lucratif à Paris. "On ne cessait d'ouvrir des lits". Bénédicte Verdet, gériatre dans une maison de retraite publique en Seine-Saint-Denis, relate avoir été submergée par un "tsunami" dont elle n'avait pas anticipé la violence. "Vous voyez arriver une énorme vague et vous n'avez pas le temps de réfléchir qu'elle est déjà sur vous", raconte la médecin. Habituée à accompagner des patients en fin de vie qui "s'éteignent doucement", elle a soudain été confrontée à des situations "brutales". "Certains sont partis en quelques heures. A 10H, ils vous parlent avec un grand sourire, et à 14H ils sont morts", se souvient-elle. Autre profession, autre image: Hervé Ruinart, médecin généraliste à Reims, parle du "choc" qu'il a ressenti face à "un cabinet vidé de ses patients". Des malades resteront les marqueurs de cette crise inédite. "Je me souviens très bien du premier patient arrivé en détresse respiratoire, un patient qui faisait comme une crise d'asthme. C'était un vendredi", raconte le Dr Revue. Les autres s'enchaînent: "en l'espace de deux jours, on avait intubé 18 patients aux urgences, contre un par jour, voire un par semaine, en temps normal". Myriam Bellon évoque "les pleurs d'une petite dame, les prénoms de ses deux enfants tatoués sur le corps". "On a dû l'endormir et l'intuber. On n'arrivait pas à joindre son mari... ça a été très, très dur. Je me suis dit que vraiment, on était face à un truc qui me dépassait". "Mais nous nous sommes vite adaptés. On s'est réinventés en communiquant entre nous", ajoute la médecin. Car si des images dramatiques rythment leurs souvenirs, les soignants ont également été marqués par "la solidarité" qui les a liés, à l'hôpital comme en ville, et les échanges quotidiens qui leur ont permis d'adapter "les procédures qui changeaient quasiment tous les jours". "C'est la première fois que je voyais l'hôpital fonctionner aussi bien, en termes relationnels, entre les médecins, les chirurgiens, les administratifs, les cellules de crise", raconte Eric Revue.
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