"On continue à croire au médecin traitant" : les réserves du patron de la Cnam sur l’accès "facile" aux spécialistes
Ce samedi 5 octobre, à l’occasion de ses Rencontres annuelles, le syndicat AvenirSpé a présenté son manifeste pour un meilleur accès aux soins devant, entre autres, le directeur général de la Caisse nationale d’Assurance maladie. Parmi les mesures que le syndicat porte : un accès simplifié aux spécialistes en vue de réduire les délais de rendez-vous.
"Réfléchir à un nouveau contrat social de la médecine du 21e siècle." Telle est l’ambition que porte le syndicat AvenirSpé, qui a présenté son "manifeste pour un meilleur accès aux soins" en clôture des Rencontres de la médecine spécialisée, samedi 5 octobre à Lille. Ce document de 28 pages est "une charte d’engagements pour les acteurs de la santé, et un ensemble de propositions pour les décideurs politiques", a expliqué le président du syndicat, le Dr Patrick Gasser, devant le directeur général de la Cnam et la directrice générale de l'offre de soins. Il grave dans le marbre les deux grandes priorités d’AvenirSpé – la santé mentale et le handicap – et inscrit les sept engagements, validés par les verticalités adhérentes.
Ce manifeste "n’est pas une somme de revendications syndicales et corporatistes, a assuré Patrick Gasser. La négociation conventionnelle a déjà été faite, nous n’allons pas y revenir, même si un deuxième round doit bientôt arriver." Il s’agit plutôt d’un plan d’actions pour faire face "aux défis qui sont immenses et qui attendent demain tous les professionnels de santé". "Peut-être pouvons nous contribuer à sauver notre système ‘à la française’, mais il va falloir le faire évoluer", a soutenu le gastroentérologue de Nantes. Les engagements du syndicat, que le président a présenté, doivent répondre à cet impératif.
D’abord, AvenirSpé appelle à faciliter l’accès aux spécialistes (autres que les médecins généralistes). "Pour une bonne part, [les] difficultés d’accès aux spécialistes s’expliquent par la nomenclature actuelle dite ‘parcours de soin’. Celle-ci impose de passer d’abord et toujours au préalable par le médecin traitant. Sans cette étape, le patient est pénalisé financièrement car moins remboursé et le médecin spécialiste moins bien rémunéré car considéré comme ‘hors parcours’. Cette hiérarchisation entre médecins constitue un vrai frein à l’accès aux soins en raison de la pénurie de généralistes sur le territoire", écrit le syndicat dans son manifeste.
Et de poursuivre : "En pratique, elle provoque un effet d’entonnoir – ou, pour parler comme les médecins, une ‘embolisation’ du système." Un discours qui ne plaît guère aux représentants des généralistes.
Pour améliorer l’accès des patients à des soins spécialisés, AvenirSpé soutient la création d’une consultation "de type nouveau", facturée au tarif de l’APC (avis ponctuel de consultant), soit 60 euros, dans deux cas : pour les soins non programmés ou sur demande d’avis "rapide" d’un spécialiste. Elle permettrait à un spécialiste de rediriger un patient vers un confrère d’une autre spécialité, un pneumologue par exemple pourrait rediriger son patient essoufflé, pour lequel il soupçonne un risque d’insuffisance cardiaque, vers un cardiologue.
Cet élargissement de l’APC avait été évoqué au printemps dernier lors des négociations conventionnelles et suscité de vives tensions entre syndicats de généralistes et syndicats de spécialistes. MG France, craignant un contournement du parcours de soin et dénonçant un mépris pour le rôle du médecin traitant, avait menacé de ne pas signer le projet de convention si cet élargissement subsistait. La mesure avait finalement été retirée.
Dans son manifeste, AvenirSpé remet ainsi la mesure sur le tapis, et milite pour que cet adressage soit aussi ouvert aux paramédicaux – "exemple : un kinésithérapeute envoie chez un orthopédiste un patient sportif souffrant d’entorses graves récidivantes" – ainsi qu’aux personnes référentes d’une personne âgée. Celles-ci pourraient prendre directement rendez-vous avec un ORL ou un gériatre pour le compte d’une personne âgée ou vulnérable.
Objectif avancé : "recevoir le patient dans les 4 jours pour un soin non programmé et dans les 3 à 4 semaines pour un avis spécialisé non urgent", s’engage le syndicat, avec un compte-rendu qui sera versé au DMP.
"Il faut faire attention à ne pas dégrader l’accès en soin en voulant faire sauter les barrières"
"On a inscrit dans la convention un certain nombre de sujets à approfondir autour de ces thématiques de cotation de l’APC, de spécialités en accès direct", a rappelé Thomas Fatôme, DG de la Cnam, lors de la table ronde qui a suivi la présentation du manifeste. Ce dernier s’est montré plutôt réservé vis-à-vis de la proposition d’AvenirSpé. "Je ne crois pas vraiment à la théorie qui voudrait qu’on ait aujourd’hui un système qui bloque les gens, et mobilise du temps de médecin traitant, dans un parcours très organisé ", a-t-il déclaré. Et d’ajouter : "On continue à croire au médecin traitant avec une équipe autour de lui."
Jouant franc jeu, le patron de la Cnam a expliqué que l’avis ponctuel de consultant prend "de plus en plus de place" et donc "coûte de plus en plus cher" à l’Assurance maladie. Mettre en œuvre la proposition d’AvenirSpé, telle que présentée ce samedi, serait particulièrement coûteux pour la Sécu, dont les comptes sont en berne. "Entre adressage par un spécialiste, adressage par un professionnel de santé et adressage par une personne référente […] c’est un encadrement qui existe, mais qui a de larges fenêtres… C’est plus la baie vitrée que la petite fenêtre", a estimé Thomas Fatôme, attaché "à une forme de régulation des systèmes" : "le juste professionnel pour le juste soin".
Le directeur général de la Cnam s’est par ailleurs montré "chiffonné" par le lien fait entre APC et "accès facile aux spécialistes". "Est-ce que c’est systématiquement ça qui doit être le leitmotiv pour déclencher un rendez-vous rapide ? Je me pose la question", a-t-il lâché, se disant toutefois prêt à travailler sur la question. "Il faut faire attention à ne pas recréer des files d’attente sur certaines spécialités et à finalement dégrader l’accès aux soins en voulant faire sauter les barrières pour le simplifier", a alerté Marie Daudé, directrice générale de l’offre de soins.
Outre cet accès direct, AvenirSpé entend développer les équipes de soins spécialisés (ESS). Elle souhaite en installer une dans au moins 5 spécialités par département ou par région dans les trois ans à venir. "Nous les avons portées, mais nous avons encore des choses à faire sur le cahier des charges", a expliqué le Dr Gasser. Un dispositif auquel croit beaucoup le directeur général de la Cnam. "Nous avons mis dans la convention un principe de financement pérenne", a-t-il souligné. Un crédit d’amorçage (80 000 euros) et une dotation annuelle (entre 50 000 et 100 000 euros) ont été inclus dans le texte conventionnel. Un cahier des charges comprenant les modalités d’évaluation doit encore être validé par les partenaires lors d’une prochaine commission paritaire nationale.
À ce jour, selon la directrice générale de l’offre de soins, "une cinquantaine de projets ESS existent ; toutes les régions, sauf une je crois, ont au moins une ESS". "Ce sera important d’avoir un pilotage national [afin d’évaluer] comment les ESS améliorent l’accès aux soins", a indiqué Marie Daudé. La nouvelle convention prévoit de fait que chaque ESS remette annuellement un rapport d’activité à sa CPAM et à son ARS pour "justifier du respect des missions socles".
AvenirSpé s’engage également à augmenter le nombre d’assistants médicaux employés dans les cabinets de médecine spécialisée, et à "abaisser à 15 jours les délais médians des rendez-vous pour les patients adressés par leur médecin traitant sur tout le territoire dans les deux ans", lit-on dans le manifeste.
Au-delà des ESS, le syndicat soutient aussi le développement des pôles de spécialités (ou instituts), qu’ils soient centrés sur un organe ou une pathologie ou qu’ils relèvent d’une thématique de santé publique (exemple, les pôles mères-enfants). Il fixe d’ailleurs l’objectif d’au moins un pôle de ce type "dans chaque spécialité et dans chaque région de France" d’ici cinq ans. Ceux-ci diffèrent des ESS, qui "traite[nt] plusieurs parcours ou maladies d’une même spécialité". "Attention toutefois à ne pas multiplier les structures", a mis en garde Marie Daudé.
"La juste prescription est un levier considérable"
Alors que doit être présenté jeudi le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), AvenirSpé promet aussi de contribuer à réduire son déficit, en prenant le chemin de la déprescription. "La juste prescription est un levier considérable", a admis Thomas Fatôme, rappelant que les prescriptions des médecins libéraux représentent 57 milliards d'euros de dépenses d'assurance maladie : "C’est trois fois plus gros que les honoraires." Au travers de la convention, la Cnam a ainsi mis en place 15 programmes d’action, dont plusieurs objectifs de diminution des prescriptions (d’IPP par exemple). "On aura une pression qui va s’exercer sur nous", a prévenu le directeur général de la Cnam.
AvenirSpé propose entre autres de mettre en place des formations communes avec les différents métiers de soignants sur la déprescription.
Le syndicat milite également pour une meilleure coopération de tous les soignants autour d’un même patient. "Il faut accepter en tant que médecin de participer uniquement collectivement à la prise en charge des patients […] C’est très difficile à faire comprendre, car à l’école des docteurs, on a été élevés comme ça […] avec cette idée que [nous sommes] les élites", a déclaré le Dr Gasser. Favorable à la délégation de tâches "dès lors que celle-ci est raisonnée et concertée", AvenirSpé juge que la coopération passe aussi par le partage d’informations entre les professionnels de santé, qui n’est pas toujours au rendez-vous.
Enfin, éducation thérapeutique et prévention sont aussi d’autres leviers que le syndicat appelle à développer pour un meilleur accès aux soins.
"Nous sommes dans l’obligation d’aller plus loin et de remanier l’ensemble de nos exercices", a conclu le président d’AvenirSpé, appelant les médecins libéraux à se saisir de son manifeste, à l’adapter et à l’enrichir.
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