Alerte

Avec l'accès direct aux médecins spécialistes, "on va répondre à la demande et non au besoin" : le coup de semonce de la présidente de MG France

Depuis l'annonce par Gabriel Attal de l'expérimentation d'un accès direct aux médecins spécialistes dans 13 départements - dont on ne sait pour le moment rien, MG France est vent debout. Le principal syndicat de médecins généralistes s'est retiré des négociations conventionnelles, qui "n'ont plus de sens", déplore sa présidente, la Dre Agnès Giannotti. Dans une interview accordée à Egora, elle alerte sur les conséquences de cette mesure, qui, en permettant un contournement du médecin traitant, risque de désorganiser le parcours de soins, augmenter les dépenses de santé... et "laisser sur le carreau" les patients qui ont le plus besoin de soins.

12/04/2024 Par A.M.
Interview Spécialistes
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Egora : Le Premier ministre Gabriel Attal a annoncé samedi dernier la mise en place d'un accès direct aux médecins spécialistes. En savez-vous plus à ce stade sur cette expérimentation ? Concernera-t-elle l'ensemble des spécialités?
Dre Agnès Giannotti : Absolument pas. Ce que l'on sait, c'est que ce sera expérimenté dans un département par région métropolitaine et dans un département d'Outre-mer. Il reste à définir les conditions de cette expérimentation.

Suite à cette annonce, MG France a suspendu à son tour les négociations avec la Cnam. En quoi l'accès direct aux spécialistes est problématique selon vous? Est-ce une remise en cause du rôle du médecin traitant?
Le médecin traitant est celui qui a la vision globale sur le patient, qui pose les diagnostics, l'oriente en fonction de ses besoins et l'accompagne. Si un accès direct aux spécialiste est mis en place, ça va désorganiser les parcours de soins et ça va augmenter les dépenses de santé. Les gens s'orienteront spontanément vers les spécialistes, de façon non pertinente.
Car tous les jours, on a des gens qui viennent nous voir en disant "je voudrais voir le cardiologue", qui ont mal à l'estomac et veulent aller chez le gastro-entérologue ou qui sont essoufflés et réclament un pneumologue... alors que c'est le cœur ! Les médecins généralistes règlent quand même 9 problèmes sur 10... Il y aura forcément une inflation des dépenses en cas d'accès direct.

"L'acné va passer avant le cancer de la peau"

De plus, les spécialistes sont complétement embouteillés, avec des délais de rendez-vous à 6 mois ou à un an en ce moment et on décide l'accès direct...
Alors que ça fait un an, un an et demi qu'on discute avec l'Assurance maladie pour construire des dispositifs visant à mieux articuler le premier et le second recours, pour avoir une logique de régulation afin que, par exemple, en dermatologie, le cancer de la peau passe avant l'acné... Là, ce sera l'inverse!
Moins on est nombreux, plus il faut réguler, pour répondre au besoin et non à la demande... Or, plus on dérégule, plus on répond à la demande, pas au besoin ! Le patient qui a les moyens et qui veut aller voir le cardiologue tous les mois, même si ce n'est pas pertinent, il pourra le faire... Tandis que des patients bien malades risquent, eux, de rester sur le carreau car ils seront pauvres et ne sauront pas de débrouiller dans le système de santé.

"On met à la poubelle tout le travail que l'on a fait avec l'Assurance maladie"

Cette annonce met à mal le système conventionnel selon vous?
On met à la poubelle tout le travail que l'on a fait ces derniers mois. C'est la raison pour laquelle on a dit stop. On ne reprendra les négociations que si on a l'assurance que l'Etat tient au système conventionnel parce que là, ça nous met le doute... Après cinq mois de négociations, le Premier ministre annonce une mesure qui va à l'opposé de tout ce que l'on a imaginé avec l'Assurance maladie. Expliquez-moi l'intérêt des équipes de soins spécialisées (ESS) si on met en place un accès direct aux spécialistes, pour ne citer que cela?

MG France a été reçu mercredi par le ministre délégué Frédéric Valletoux. Qu'est-il ressorti de cet entretien?
Oralement, il nous rassure : on tient au médecin traitant, etc. Mais on a besoin d'assurances écrites, que l'Etat s'engage sur ces trois points : l'attachement au système conventionnel, au rôle du médecin traitant et au parcours de soins. Quand on aura cette assurance, on pourra retourner discuter. Ça ne veut pas dire que les négociations seront terminées, mais on pourra au moins se remettre à la table. Mais là, ça n'a aucun sens...
Il faut quand même signaler que ces mesures ont été annoncées par le Premier ministre sans aucune concertation.

L'expérimentation de l'accès direct aux kinés, qui doit démarrer en juin, fait-elle également partie des lignes rouges?
L'accès direct aux kinés pose également question. Pourquoi ? Parce qu'on n'arrive déjà pas à trouver des rendez-vous pour les patients qui en ont le plus besoin. C'est toujours la même problématique : qui on fait passer en premier ? L'entorse ou le patient âgé, grabataire, en perte d'autonomie ?
On comprend bien que les kinés ne sont pas assez payés quand il s'agit de prendre en charge des patients compliqués... comme nous d'ailleurs ! Et du coup, la profession va vers ce qui est plus facile, plus lucratif, c'est logique et on ne peut pas leur en vouloir.
Mais la question posée avec l'accès direct, c'est celle là : qui on fait passer en premier ? Or nous, quand on adresse, on sait que ce sont des patients qui en ont vraiment besoin.
Et je souligne aussi l'importance d'avoir les bilans et les comptes-rendus. On n'a pas besoin de 10 pages, mais il nous faut quand même un retour en quelques lignes : "on ne peut pas aller plus loin" ou "il a bien récupéré"... Avec un accès direct sans aucun retour au médecin traitant, les parcours des patients vont être de plus en plus compliqués. Et ça va coûter de plus en plus cher.
Au final, la santé des patients risque de se dégrader s'il n'y a pas quelqu'un pour coordonner tout cela. Pour nous, ce ne sont pas des histoires de hiérarchie. Mais moins on sera nombreux, plus il sera important de s'organiser.
Regardez les urgences, qui sont en accès direct... eh bah elles ferment car quand il n'y a pas assez de monde, ça ne tient pas ! CQFD.

"On nous demande à nous, généralistes, d'aller réguler l'accès aux urgences et on fait l'accès direct. Expliquez-moi !"

Alors que l'on tente de filtrer l'accès aux urgences par le 15...
On nous demande à nous, généralistes, d'aller réguler l'accès aux urgences et on fait l'accès direct. Expliquez-moi !

Même si les négociations sont suspendues, avez-vous gardé le contact avec la Cnam? Y a-t-il toujours un dialogue ?
On espère quand même que l'Etat va répondre positivement à notre demande et qu'on pourra reprendre les discussions. Là, la balle est dans le camp du Gouvernement.

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14 commentaires
6 débatteurs en ligne6 en ligne
Photo de profil de Dominique Souvestre
1,7 k points
Débatteur Passionné
Médecine générale
il y a 17 jours
Cette annonce de Gabriel Attal peut paraitre effectivement complètement stupide. La réforme du médecin traitant inventée par Philippe Douste Blazy est une des meilleures réformes, vécues dans toute ma...Lire plus
Photo de profil de Dominique Adelving
1,2 k points
Débatteur Passionné
Médecine générale
il y a 17 jours
Car l'appétence des patients pour des soins médicaux gratuits est sans fin. Par exemple pas de chir ortho sans 2 voir 3 avis chir (décision finale sur quels critères empiriques ?). Des biologies ann...Lire plus
Photo de profil de Avocat  Du Diable
942 points
Débatteur Passionné
Médecine générale
il y a 17 jours
Que l'accès direct au spécialiste soit aujourd'hui une incohérence est une évidence qui ne mérite aucun commentaire , je n'en ferais qu'un , c'est satisfaire l'électorat bobo de Mozart et de ses music...Lire plus

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