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Réflexologie, naturopathie, astrothérapie… Enquête sur ces pratiques qui passent la porte de certaines maisons de santé

Dans son dernier rapport d'activité, la Miviludes notait l’installation de "non-professionnels de santé" "dans les salles vacantes de maisons médicales" ou "dans des maisons de santé en recherche de professionnels". Réflexologues, énergéticiens, psychopraticiens, astrothérapeutes… Si en MSP, le Code de la santé publique autorise l'installation des professions médicales, de la pharmacie et de 18 "auxiliaires médicaux", d’autres pratiques de soins, bien moins régulées, ont également franchi la porte de certaines structures. Au risque de la confusion, et d’une menace sur la qualité et la sécurité des soins. Enquête.

08/07/2025 Par Mathieu Plessis
Enquête Maisons de santé
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Article initialement publié sur concourspluripro

Un demi-siècle après le développement à l’hôpital de l’homéopathie et l’acupuncture, les pratiques de soins dites non conventionnelles, alternatives ou complémentaires continuent de se banaliser et gagnent du terrain dans les établissements publics de santé, dans des maisons de retraite et des maisons de santé pluriprofessionnelles. Lesquelles de ces pratiques et dans combien de MSP ? AVECsanté, la fédération nationale des maisons de santé, n’a pas de statistique précise. Faute de cadre strict, justement, pour les recenser précisément. 

La presse régionale se fait de temps en temps l’écho de l’arrivée de tel ou tel praticien "alternatif", réflexologue plantaire par exemple, dans une MSP. En 2022, la Répression des fraudes (DGCCRF) avait documenté l’installation de telles disciplines – sans préciser lesquelles parmi une cinquantaine qu’elle avait contrôlée (naturopathie, réflexologie, reiki, biorésonance, magnétisme…) – "à proximité ou au sein même de lieux de santé (maison de santé, cabinet médical pluridisciplinaire…)". Au printemps 2025, dans son dernier rapport d’activité, la Mission de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) a aussi recensé l’installation de "non-professionnels de santé" (citant réflexologues, énergéticiens, psychopraticiens…) "dans les salles vacantes de maisons médicales situées dans des zones rurales", ou de "pseudothérapeutes" "dans des maisons de santé en recherche de professionnels". 

Risque sectaire et perte de chances

Est-ce grave, docteur ? "Si le recours aux pratiques non conventionnelles n’est pas toujours dangereux, en particulier lorsqu’il s’associe à un suivi médical traditionnel, il peut ouvrir une porte aux dérives sectaires", indique la Miviludes. Autre menace majeure : une atteinte à la qualité et à la sécurité des soins. Car "une grande majorité" de ces pratiques non conventionnelles "n’a pas été approuvée scientifiquement", rappelle la Miviludes. Pas plus qu'elles ne donnent lieu (hormis l’acupuncture) à des diplômes nationaux. Or des patients qui y recourent finissent par s’écarter des soins conventionnels, s’exposant à une perte de chance. Les plus exposés sont souvent les plus vulnérables en raison de leur maladie ou de leur situation.

Un dernier danger porte sur l’information éclairée et le libre choix du patient. La coexistence en un même lieu de professionnels de santé conventionnels ou non, et le voisinage de leurs plaques, parfois similaires (arborant un caducée, par exemple), peuvent prêter à confusion. La DGCCRF a aussi déploré, comme facteurs d’embrouillamini, l’exposition d’ouvrages médicaux dans les salles d’attente de ces professionnels et leur référencement dans des annuaires dédiés aux professions de santé reconnues, tandis que la Miviludes a noté la création d’associations "regroupant plusieurs spécialités et recourant à des termes volontairement ambigus". "On a vu apparaître des 'pôles bien-être'", témoigne le Dr Pierre de Bremond d’Ars, médecin généraliste et président du collectif No FakeMed. Qui plus généralement dépeint un système d’enchaînement d’ailleurs plutôt lucratif : tel médecin conseille au patient d’aller voir un naturopathe, renvoyant lui-même vers un "maître reiki", conseillant à son tour tel autre praticien non conventionnel.  

"Contours mal définis"

Pour éviter toute confusion entre professions dans les maisons de santé, le Conseil national de l’Ordre des médecins a phosphoré. D'après une décision de 2008, actualisée en 2012*, les médecins ne peuvent pas s’associer, dans ces structures, avec "des professions dont les contours sont mal définis et pour lesquels la présence de médecins peut servir de caution et entretenir une certaine confusion sur leur champ d'exercice".  Quels sont ces contours ? De quelles professions parle-t-on exactement ? L’Ordre cite un article-clé du code de la santé publique (CSP), "le seul qui réglemente la composition des maisons de santé", expose Axel Véran, avocat au cabinet Houdart : l’article L6323-3 qui précise que "la maison de santé est une personne morale constituée entre des professionnels médicaux, auxiliaires médicaux ou pharmaciens". Le CSP reconnaît les professions médicales (médecins, dentistes, sages-femmes), celles de la pharmacie et 18 "auxiliaires médicaux" dont les infirmières, les kinésithérapeutes, les pédicures-podologues, les ergothérapeutes, les diététiciens, etc. 

Dans ce texte, ne figurent pas, évidemment, certaines pratiques aux intitulés parfois déroutants, de l’aromathérapie quantique à l’astrothérapie. Mais pas non plus les psychologues ni les ostéopathes, pourtant davantage régulés et souvent pleinement inscrits dans l’équipe pluriprofessionnelle. Signe que les pratiques de soins non conventionnelles, ou en tout cas celles non reconnues dans le CSP, ne sont pas toutes à mettre dans le même panier. Dans sa décision de 2008, l’Ordre des médecins a souhaité laisser les ostéopathes (du moins, semble-t-il, ceux dépourvus par ailleurs d’un statut de professionnel de santé) à la porte des MSP*, mais il a jugé "concevable" la présence de psychologues et d'assistantes sociales.  

Régulation par la subvention

Autre élément contribuant à cadrer l'installation en MSP, la définition de la société interprofessionnelle de soins ambulatoires (Sisa), forme nécessaire pour que la structure perçoive le financement de l’Assurance maladie via l’ACI : seules "des personnes physiques exerçant une profession médicale, d’auxiliaire médical ou de pharmacien" peuvent en faire partie. Une régulation par la subvention, en somme.  

"Rien ne s’oppose, ajoute toutefois Axel Véran, à ce que, sans en être associé, un ostéopathe participe à l’animation du projet de santé porté par la MSP. L’article L6323-3 du CSP prévoit expressément que le projet de santé puisse être signé 'par toute personne dont la participation aux actions envisagées est explicitement prévue par le projet de santé'. L’ostéopathe pourra ainsi intervenir à la vacation, à la mission, etc., et être rémunéré par la Sisa." 

Le maintien d’une association loi 1901 préfiguratrice de la Sisa permet, quant à lui, d’associer à la gouvernance du dispositif les acteurs investis dans le projet de santé mais non reconnus comme professionnels de santé par le CSP. La création d’instance consultative au sein de la Sisa est une autre voie, retenue par plusieurs porteurs de projet, poursuit l’avocat.  

À noter qu’ostéopathes et psychologues sont mentionnés dans le CSP (article R1110-2) parmi les professionnels pouvant partager avec les soignants des informations sur la prise en charge d’une personne.  

Contrôles à géométrie variable

Voilà pour les balises. Quid de leur contrôle ? Les conseils départementaux des ordres, note Axel Véran, sont censés recevoir divers documents des médecins, chirurgiens-dentistes et sages-femmes : les contrats et avenants ayant pour objet l’exercice de leur profession ainsi que, s’ils ne sont pas propriétaires de leur matériel et du local, les contrats ou avenants leur en assurant l’usage. "Des conseils départementaux de l’Ordre des médecins ont tiqué en cas de partage des locaux avec des ostéopathes ou des psychologues. D’autres n’ont rien dit. Il y a des divergences d'interprétation aussi selon les ordres, le plus regardant étant celui des médecins, et selon la localisation, une plus grande tolérance existant en zone manquant de professionnels de santé." 

Il n’est certes "pas impossible" que des charlatans exercent aux côtés de soignants reconnus installés en MSP, imagine Axel Véran. Mais, dans ce cas, "l’intention délictueuse des professionnels de santé est rare, assure l’avocat dont le métier consiste à les accompagner dans la structuration de leurs modes d’exercice. Cela relèvera le plus souvent d’une méconnaissance des pratiques réalisées ou de la règlementation applicable. Et les ordres jouent leur rôle de gardiens du temple... Encore faut-il que les éléments aient été portés à leur attention." 

Des risques pour les professionnels de santé

"Respectez au maximum le code de la santé publique et le cahier des charges des MSP : au minimum deux médecins et un paramédical", tel est le conseil d’AVECsanté, glisse son coprésident, le Dr Patrick Vuattoux. Selon ce médecin généraliste, l’équipe de la MSP doit définir dans son règlement intérieur le mode de recrutement des nouveaux membres, et réfléchir collectivement à ce que ceux-ci vont apporter. Et même locataire, garder la main sur l’outil de travail, pour éviter par exemple qu’un maire ne concède un local à une pratique déviante.  

"L’arrivée d’un nouveau membre dans une MSP engage toute l’équipe, ajoute Patrick Vuattoux. En termes d’images et peut-être même, un jour, sur le plan de la responsabilité, puisque ce qui est considéré, c’est de plus en plus l’équipe de soins." Dès aujourd’hui, des risques existent pour les professionnels de santé qui feraient le choix d’exercer en MSP au voisinage de professions non reconnues comme telles. Par exemple, des risques de non-couverture par l’assureur en cas de dommage, pointe Axel Véran, en plus des éventuelles sanctions disciplinaires et, dans des cas très spécifiques, de poursuites d’ordre pénal, notamment pour complicité d’exercice illégal de la médecine (R.4127-30 du CSP).  D'après l’analyse de l’Ordre des médecins, c’est ce que pourrait encourir un médecin adressant des patients à des personnes exerçant illégalement la médecine, ou les recevant en présence d’un radiesthésiste ou d’un magnétiseur.  


* Les ostéopathes ont contesté cette décision, en vain, comme le précise la décision du Conseil d’Etat : https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000023109995/  

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Claire FAUCHERY

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2 débatteurs en ligne2 en ligne
Photo de profil de ROMAIN L
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Débatteur Passionné
Médecins (CNOM)
il y a 5 mois
Moi je me demande surtout si ces pratiques ne répondent pas à un vide laissé par la médecine conventionnelle, qui bien souvent ne prend pas le temps d'écouter et de rassurer les gens. Attention à ne pas tomber dans une vision trop technique et protocolaire du soin.
Photo de profil de PAUL LE MEUT
393 points
Incontournable
Médecine générale
il y a 5 mois
Moi ça m'interroge surtout sur la validité des pratiques des médecins qui acceptent de pratiquer dans les mêmes locaux que des professionnels dont les pratiques ne sont absolument pas validées quand elles ne sont pas carrément déviantes .
Photo de profil de pierre frances
1,7 k points
Débatteur Passionné
Médecine générale
il y a 5 mois
Ce qui est très énervant c'est de voir que certains de ces "professionnels" (surtout le naturopathes) demandent aux patients de venir voir leur généraliste pour prescrire des bilan à rallonge avec des éléments traces, et autres c......
 
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