L’antibiorésistance, une menace sous-estimée par les chirurgiens

L’antibiorésistance, une menace sous-estimée par les chirurgiens

L’antibiorésistance, une menace sous-estimée par les chirurgiens

La résistance aux antibiotiques risque-t-elle de compromettre la pratique de la chirurgie ? Face à sa progression mondiale, l’Académie nationale de chirurgie exhorte la profession, peu sensibilisée à ce risque, à fournir des efforts en matière de bon usage.

31/12/2024 Par Romain Loury
Infectiologie
L’antibiorésistance, une menace sous-estimée par les chirurgiens

L’antibiorésistance, une menace sous-estimée par les chirurgiens

Problème majeur de santé publique selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’antibiorésistance aurait causé 1,27 million de décès en 2019 dans le monde, bilan qui pourrait s’élever à 1,91 million en 2050 si rien n’est fait pour l’enrayer (1,2). Selon la Pre Céline Pulcini, infectiologue au CHRU de Nancy, « il y avait plein de choses qu’on ne pouvait pas faire avant l’arrivée des antibiotiques. Notamment les chirurgies compliquées, dont le risque était très élevé à cause des infections du site opératoire, mais qui est devenu minimal grâce aux bonnes pratiques et à l’antibioprophylaxie. L’antibiorésistance pourrait remettre en cause la pratique de la chirurgie mais aussi l’hospitalisation en réanimation ou la mise de patients sous immunosuppresseurs ».

À l’hôpital, la chirurgie est la deuxième activité en termes de fréquence des infections associées aux soins. En 2022, 7,83 % des patients opérés ont contracté une infection, derrière la réanimation (23,17 %). Ils sont 0,87 % à développer une infection du site opératoire, au troisième rang derrière les infections urinaires (1,69 %, les plus courantes à l’hôpital) et les pneumonies (0,99 %). Or les germes associés à ces infections présentent des taux croissants de résistance, compromettant la prise en charge des patients. Parmi les principaux agents, Escherichia coli, dont 8 % des isolats sont producteurs de bêtalactamase à spectre étendu (BLSE) et résistent ainsi aux pénicillines, et le staphylocoque doré, dont 16 % de Streptococcus aureus résistants à la méticilline (Sarm).

Un niveau d’information insuffisant

Or malgré le risque croissant, les chirurgiens semblent trop peu concernés par ce problème. Selon une enquête menée par l’Académie nationale de chirurgie sur 269 chirurgiens, rendue publique mercredi 30 octobre à l’occasion d’une séance « Chirurgie et antibiorésistance », seuls 51 % d’entre eux y voient une menace sur la capacité à « réaliser des soins chirurgicaux de qualité dans un futur proche en France ». Pourtant, 42 % disent avoir été confrontés, lors du mois écoulé, à au moins un problème d’antibiorésistance ayant compliqué la prise en charge chirurgicale de leurs patients.

Par ailleurs, seuls 31 % des chirurgiens se disent « bien ou très bien informés » sur le phénomène de l’antibiorésistance et son évolution, et 30 % quant aux moyens de la maîtriser dans le cadre de leur pratique. Selon le Dr Gabriel Birgand, pharmacien hygiéniste au CHU de Nantes, il demeure « une méconnaissance persistante de l’antibiorésistance par les chirurgiens. Pourtant, ce sujet doit faire partie intégrante de la stratégie chirurgicale : si on ne prend pas en compte cette problématique, nous serons confrontés à l’avenir à un problème de résilience des services de soins ».

Cette faible prise de conscience face à l’antibiorésistance proviendrait notamment d’un manque de connaissances sur le sujet, du fait d’une insuffisance de la formation, initiale comme continue. « À l’hôpital, les prescriptions d’antibiotiques émanent en grande partie des services de chirurgie, or c’est là qu’il y a le moins d’experts sur le sujet », observe le Dr Patrice Baillet, chirurgien viscéral et digestif à Cormeilles-en-Parisis (Val-d’Oise) et chargé de l’antibiorésistance à l’Académie nationale de chirurgie.

L’antibioprophylaxie souvent prolongée en postopératoire

« La prévention infectieuse en chirurgie repose sur trois piliers principaux : les mesures d’hygiène, la vaccination et l’antibioprophylaxie », poursuit-il. Cette dernière, qui vise à prévenir les infections du site opératoire, a fait l’objet de récentes recommandations, élaborées par la Sfar et la Spilf*. Malgré l’existence de lignes directrices bien définies, celles-ci font l’objet de fréquentes entorses. Selon l’enquête de l’Académie, 47 % des chirurgiens disent parfois (8 % souvent et 1 % toujours) la prolonger en postopératoire, ce qui est hautement déconseillé, car source potentielle d’antibiorésistance. Selon Gabriel Birgand, « il y a encore des efforts à faire au sujet de l’antibioprophylaxie », notamment en matière de répartition des tâches entre le chirurgien et l’anesthésiste.

Outre la nécessité d’un apprentissage plus poussé, Céline Pulcini conseille aux chirurgiens de mieux s’appuyer sur les dispositifs en vigueur, en particulier le référent en antibiothérapie au sein de l’hôpital. « Quand le chirurgien soupçonne la présence d’une infection, quand il doit pratiquer une antibioprophylaxie, il peut se référer au guide de prescription de l’établissement, ou se rapprocher du référent en antibiothérapie. En bref, ne prescrire ces médicaments que quand il le faut, privilégier les durées de traitement les plus courtes possible, éviter les antibiotiques les plus générateurs d’antibiorésistance ».

* Sfar : Société française d’anesthésie-réanimation. Spilf : Société de pathologie infectieuse de langue française.

  1. Murray CJL, et al. Lancet, 19 janvier 2022.
  2. Naghavi M, et al. Lancet, 16 septembre 2024.

Références :

D’après les propos de la Pre Céline Pulcini (CHU de Nancy) et des Drs Gabriel Birgand (CHU de Nantes) et Patrice Baillet (Cormeilles-en-Parisis, Val-d’Oise), lors d’une séance et d’une conférence de presse de l’Académie nationale de chirurgie (30 octobre).

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Claire FAUCHERY

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Débatteur Passionné
Anesthésie-réanimation
il y a 11 mois
Je n'aurais presque rien à ajouter dans les recommandations de la SFAR et de la SPILF. C'est vrai pour l'avoir constaté et contesté qu souvent l'antibioprophylaxie chirurgicale est prolongée à tort et/ou pas toujours administrée dans les délais et à la bonne posologie quand notamment les horaires des interventions ne sont pas respectés. C'est parfois vrai aussi que des prescriptions systématiques sont réalisées en oncologie quand des chimiothérapies se compliquent de fièvre en ambulatoire ne font pas toujours l'objet de prélèvements (dans ma pratique en réa, j'ai vu arriver des patients traités depuis 24 ou 48h par un antibiotique prescrit "au cas où" ce qui complique singulièrement la tâche quand la fièvre se complique de sepsis et qu'on a toute les peines du monde à faire "pousser" les hémocultures sur un dispositif implanté qu'il faut respecter ou retirer). C'est encore plus vrai en ORL en pédiatrie alors qu'on dispose de recommandations (et de TROD... Et viennent maintenant des recommandations contradictoires) pour ne traiter QUE les angines bactériennes par AB et qu'il faudrait aussi tenir compte de "l'écologie" bactérienne "géographique" notamment pour les otites. Idem pour les infections urinaires récidivantes. C'est encore vrai pour les surinfections des BPCO pour lesquelles il existe des recommandations. des protocoles et une palette d'antibiotiques à préférer ou éviter avec là aussi des germes poly résistants difficiles à isoler et à gérer quand la surinfection est prolongée et/ou compliquée. Pour ce qui concerne les réanimations, les CLINs et les sociétés savantes ont fait progresser les pratiques concernant les choix, les doses, et les durées des antibiothérapies et recommander si ce n'est imposer dans les démarches qualité, la tenue de tableaux de bord sur le suivi des infections acquises ou non à l'hôpital et les revues de morbi-mortalité sont imposées par les certifications hospitalières. C'est beaucoup de travail mais les dialogues inter services s'en trouvent renforcés. Ces réflexions sont indispensables à pouvoir maintenir l'efficacité globale des antibiotiques et éviter des fermetures de services entiers pour désinfection comme cela s'est produit dans la fin des années 2010 avec l'importation de germes multirésistants de pays étrangers... Mais pas que!
 
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