Etudiants en santé, ils passent la nuit au domicile de personnes dépendantes : "Cela me permet de gagner entre 200 et 300 euros par mois"
Soulager les aidants en proposant des jobs aux étudiants en santé, c'est le concept lancé par la start-up bordelaise Ernesti. Fondée en 2017, la société met en relation des jeunes avec des familles cherchant un accompagnement de nuit pour leurs proches. Et la mayonnaise a tellement pris que l'entreprise va étendre son offre aux gardes de journée.
C'est l'histoire de Quentin et Séverine Zakoian, frère et sœur jumeaux, enfants d'une mère, médecin généraliste. "L'idée d'Ernesti vient de ma sœur Séverine et de notre mère", retrace Quentin Zakoian, co-fondateur. "Ma mère avait dans sa patientèle des aidants familiaux qui repoussaient systématiquement leurs examens médicaux parce qu'ils s'occupaient d'un parent en perte d'autonomie. Un jour, ma mère, excédée que l'une de ses patientes refuse de faire des examens pour elle-même depuis plus de six mois, a tapé du poing sur la table en lui disant que ma sœur irait s'occuper de sa maman le temps de son examen. Ma sœur y est allée, le contact est très bien passé et l'aidante a demandé à Séverine de revenir régulièrement", rapporte l'entrepreneur.
Après cette première expérience, survenue un peu par hasard, Séverine a alors suivi cette famille, puis d'autres. "Très vite, elle n'a pas pu gérer toutes les demandes et a dû faire appel à des amis à elle", raconte Quentin Zakoian, qui "observait tout cela du coin de l'œil". De là est née l'entreprise Ernesti, "à partir de rien", se souvient-il, ému.
Lancé en 2017, la start-up bordelaise Ernesti mise alors sur un nouveau principe d'accompagnement à domicile de personnes en perte d'autonomie. Conscients que les sociétés d’aide à la personne "classiques" proposaient souvent des prix trop dissuasifs pour beaucoup de familles, le frère et la sœur décident de mobiliser des étudiants en santé pour pouvoir être plus attractifs.
Plus de 200 inscriptions en 24 heures
Les entrepreneurs trouvent alors une première famille prête à tenter l'expérience. "A ce moment-là, on n'avait encore aucun étudiant dans notre base de données", sourit Quentin Zakoian. Les deux entrepreneurs commencent par lancer une petite annonce sur Facebook. "On a réussi à contacter l'association des carabins de Bordeaux qui a accepté de relayer notre offre", se remémore l'entrepreneur, qui obtient alors plus de 200 inscriptions en 24 heures. "Là, on a compris qu'il y avait aussi une demande de la part des étudiants", analyse-t-il.
Si au départ le concept n'était pas uniquement dédié à la nuit, les jumeaux identifient rapidement que c'est sur ce créneau que le besoin est le plus important. "C'était aussi hyper compatible avec les emplois du temps des étudiants", remarque Quentin Zakoian.
Baptisés "les Chouettes" - "car Ernesti est une race de chouette" -, les étudiants sont payés par les familles, particuliers employeurs, sur le dispositif du Cesu*. Ils sont rémunérés minimum 55 euros nets pour une nuit allant de 20h à 8h. A cela s'ajoutent 27 euros de cotisations sociales pour les particuliers employeurs, ainsi que des frais de service dégressifs en fonction du nombre de nuits. "La plupart de nos familles font une nuit sur deux et cela leur revient autour de 110 à 120 euros la nuit, avant crédit d'impôt, donc environ 60 euros après", calcule Quentin Zakoian, qui constate que ces tarifs peuvent grimper jusqu'à 285 euros la nuit dans une agence traditionnelle.
C'est un bon complément pour les fins de mois
"Cela me permet de gagner entre 200 et 300 euros par mois pour quatre à cinq nuits", confie Mathilde Barrabes, étudiante en soins infirmiers. "C'est un bon complément pour les fins de mois", estime la future infirmière, qui travaille surtout les week-ends. "Je commence à 20h. Généralement, les personnes que je garde ont déjà mangé. On discute ou on fait une activité, puis elles vont se coucher vers 22h ce qui me permet de travailler. Le matin, je les réveille à l'heure demandée. Je m'occupe de personnes en post-chute, donc je n'ai pas souvent de réveils durant la nuit. Mais elles ont peur de retomber, donc ça les rassure d'avoir quelqu'un", décrit-elle.
Depuis trois ans et demi, Jean-Philippe Millet, étudiant en quatrième année de médecine, travaille avec la même famille "quatre à six nuits par mois". Il s'occupe d'une patiente atteinte d'une maladie neurodégénérative qui ne peut plus parler ni bouger. "Elle reste bloquée dans son lit, nuit et jour, mais tousse beaucoup la nuit, donc je lui relève la tête de temps en temps pour dégager ses voies aériennes", confie le carabin, qui gagne également autour de 300 euros par mois. "Je dors dans un lit, dans une pièce à côté, avec un babyphone relié à la chambre de la patiente. Globalement, c'est toujours assez calme", décrit le jeune homme, qui apprécie de pouvoir travailler dans le domaine de la santé.
Aujourd'hui, Ernesti s’appuie sur un réseau de 14 000 à 15 000 étudiants en santé. "Nous essayons de rassembler tous les étudiants qui seront plus tard amenés à travailler avec des personnes en perte d'autonomie. Nous avons environ un tiers d'étudiants en médecine. Nous ne prenons qu'après la première année. Nous avons aussi un tiers d'étudiants en soins infirmiers et, pour le reste, c'est assez divers : des futurs psychomotriciens, ergothérapeutes, pharmaciens, kinésithérapeutes, orthophonistes… Ces différents profils nous permettent de nous adapter au mieux à la personne accompagnée", détaille Quentin Zakoian. Par exemple, "pour un début d'Alzheimer, nous allons plutôt nous tourner vers des futurs orthophonistes ; pour une sortie d'hospitalisation ou une chimiothérapie, nous allons proposer des étudiants en médecine ou en soins infirmiers", développe-t-il.
Bien qu'étudiants en santé, ces derniers ne sont pas autorisés à faire du déconditionnement de médicaments ou des soins, à part le change si nécessaire - qui est payé en supplément. Les "Chouettes" ne sont pas là non plus pour faire du ménage. Ces jeunes "sont là pour tenir compagnie et prendre le temps avec la personne accompagnée. Ils doivent pouvoir dormir dans une pièce séparée sur un lit ou un canapé", pointe Quentin Zakoian.
Huit ans après sa création, la start-up a décidé de franchir une nouvelle étape dans l’accompagnement des personnes dépendantes en officialisant le lancement de ses gardes de jour. "Nous testons la partie 'gardes de jour' depuis quelques mois, et ça intéresse beaucoup", se félicite l'entrepreneur, qui a déjà atteint "une masse suffisante" d'étudiants pour proposer ce service.
*Le Cesu permet de déclarer la rémunération d'un salarié à domicile pour des activités de service à la personne
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