"Ça a changé mon regard de médecin" : Généraliste, il raconte son parcours d’aidant avec ses parents
Dr Vincent Valinducq : Initialement je ne savais pas que j’étais aidant, je l’ai découvert. Pour moi, c’était complètement normal d’aider sa mère au quotidien dans les tâches de tous les jours parce que c’était de l’amour. J’ignorais ce que c’était parce que je n’avais pas le souvenir d’avoir appris pendant mes études le rôle primordial qu’ont les aidants. Et un jour en regardant la télévision, j’ai entendu un journaliste utiliser le mot “aidant” et je me suis dit “c’est ça”. Mon sacerdoce a un nom. C’est là que j’ai compris que j’étais aidant et bien sur ça a changé mon regard en tant que médecin. Aujourd’hui quand je reçois en consultation un homme qui accompagne sa femme malade et vice versa, je m’occupe du patient qui est malade, mais je vais également demander à l’aidant comment il va. Et surtout je vais lui donner un rendez-vous, uniquement pour lui, pour m’assurer qu’il va bien.
Mon père était aidant, au début il refusait de se faire aider. Quand ma mère avait un petit accident nocturne, il changeait les draps, il changeait ma mère. Il était en hypervigilance en permanence, c’est épuisant. Il avait tendance à mettre sa vie de côté. Je le vois aussi avec mes patients. Ils considèrent que c’est normal, que plus ils en font, plus ils aiment, et que c'est leur “travail”, leur “rôle”, mais ce n’est pas vrai. Les aidants font un travail phénoménal, 24 heures sur 24.
Comment se déroulent les rendez-vous que vous instaurez entre vous, médecin, et l’aidant ?
L’une des difficultés quand on est aidant c’est de savoir qu’on l’est. Donc d’abord, je cherche à lui faire comprendre qu’il est aidant, parce que souvent il l’ignore. Ensuite, on peut mettre en place plusieurs choses. Par exemple, j’essaye de faire le point avec lui sur comment il va. Est-ce qu’il dort bien ? Est-ce qu’il mange bien ? Est-ce qu’il a perdu du poids ? Est-ce qu’il a des douleurs ? Je me rappelle très bien de mon père qui ne mangeait plus. Il prenait une heure pour donner à manger à ma mère le soir, de 19h à 20h et puis il allait la coucher. Autant dire qu’à 20h30-21h, il n’avait plus faim, donc il avait tendance à ne pas manger. Il avait aussi des douleurs dans le dos. Donc je suis vigilant sur le sommeil, l’alimentation, les douleurs musculaires et le moral, parce qu’on a le droit d’être triste. Il y a la partie psychologique qui est aussi importante à prendre en charge.
Enfin, j’essaye de balayer avec lui s’il a bien mis toutes les aides en place qu’elles soient humaines, matérielles et financières. Déjà, est-ce que moi, en tant que médecin, j’ai bien fait mon travail ? C’est-à-dire, est-ce qu’il y a besoin d’infirmières ou d’auxiliaires de vie ? J'essaie de faire comprendre aux aidants que c'est important qu’ils se fassent aider parce que souvent les aidants ne veulent pas être aidés. Selon moi, quand on parle à un aidant, il faut toujours présenter l’avantage que cela va apporter à la personne malade. L’erreur que j'ai faite, c'est d'avoir dit à mon père, “tu verras une aide en plus ça va être bien pour toi, ça va te soulager”. Mais il s’en fichait totalement. A partir du moment où j’ai dit “pense à maman, à ton avis, qu’est-ce qui est le mieux pour sa dignité, que ce soit moi qui la lave ou quelqu’un dont c'est le métier ?” J’ai transposé à mon père. Et là il a compris.
Après les aides matérielles : par exemple, est-ce qu’il y a besoin d’un lit médicalisé, d’un lève-malade ? Et puis les aides financières : est-ce qu’il a demandé l’allocation personnalisée d'autonomie (APA), la prestation de compensation du handicap (PCH) ?… J’essaye de faire le point sur tout ça.
Lorsque vous étiez aidant, est-ce qu’un médecin vous a dit toutes ces choses qui semblent essentielles pour vous maintenant ?
C’est vrai qu’on ne m'a jamais expliqué tout ça, déjà parce que je ne sais pas si en face mes collègues le savaient. Je ne sais pas si mes confrères médecins savaient ce qu’était un aidant. Je pense que maintenant ça commence à se démocratiser et je pense que le livre a un peu aidé. J’ai des copains médecins qui ont lu le livre, qui m’ont dit “jamais je n’aurais imaginé ce que c’était que d’être aidant”.
J’avais aussi la double casquette de fils de personne aidée et de médecin. Et, même si j’étais médecin, toutes les décisions que j’ai dû prendre en lien avec la santé de ma mère, médicales ou quelles qu’elles soient, à chaque fois je les faisais valider par le généraliste ou par un confrère. Je ne voulais pas qu'il y ait d'ambiguïté dans mon raisonnement, parce que c’est dur de soigner sa famille. Et surtout, je ne voulais pas que mon raisonnement soit biaisé par l’émotion. Je ne voulais pas faire les choses dans mon coin, sans l’avis des autres médecins, parce que c'est une sacrée charge mentale. Si c’est une fois ce n’est pas gênant mais comme ma mère avait une pathologie lourde, qu’il fallait surveiller, je ne voulais pas court-circuiter le généraliste.
Est-ce plus difficile d’être aidant quand on est médecin ?
C'est plutôt un avantage d’être un professionnel de santé, que ce soit infirmier, aide-soignant, médecin… On a des connaissances en plus. On peut repérer, agir, avoir des contacts, remplir les dossiers… Et encore, je ne connaissais pas tout. J’ai découvert plein de choses auxquelles je n'avais pas été formé quand j’ai fait mes études. J’avais ce raisonnement de me dire : “Je peux peut-être demander des infirmières à la maison pour remplir le pilulier ? Qu’est-ce qu’on peut mettre en place pour la toilette ? …” Je trouve aussi que lorsqu’on appelle un secrétariat et qu’on dit qu’on est médecin, ça va un peu plus vite. Et puis on connaît certains acteurs qui peuvent intervenir. L’aidant qui n’a pas une profession médicale peut tout à fait s’en sortir, évidemment, mais cela doit demander un peu plus de temps et d’énergie…
La seule difficulté dans tout ça, c’est que je connaissais déjà un peu la fin. J’avais les connaissances médicales pour savoir comment la maladie allait évoluer, chose que peut-être mon père et mon frère n’avaient pas.
Vous dites également dans votre livre que les aidants s’oublient un peu eux-mêmes. Vous par exemple, vous n’aviez pas le moral, vous avez été suivi par une psychologue. Elle vous a conseillé de prendre des antidépresseurs. Même si en tant que médecin, vous êtes convaincu de leur intérêt et de leur efficacité, vous n’avez pas voulu les prendre, pourquoi ?
Oui, je suis convaincu de leur efficacité et il m’arrive d’en prescrire quand c’est nécessaire bien sûr. Il n’y a pas de sujet là-dessus. J’étais accompagné par une psychologue et je tiens à le dire, il faut absolument être accompagné. Elle m’a permis de garder la tête hors de l’eau.
Je ne sais pas pourquoi j’ai été réfractaire à prendre des antidépresseurs. Je vois aussi au cabinet des patients dans ce même cas. Je pense que j’avais le sentiment d’être en permanence sous tension et que prendre ce médicament allait me faire tout lâcher, comme...
une perte de contrôle, alors que pas du tout. Je ne sais pas vraiment pourquoi, j’ai fait un blocage là-dessus. C’est infondé. Ma psychologue me disait : “Vincent, je crois que vous ne dormez pas bien, je crois que vous êtes triste, je crois que vous remplissez tous les critères de la dépression.” Mais je lui disais que venais justement la voir pour ne pas prendre d’antidépresseurs.
Aujourd’hui, je pense que c’est une erreur. J’en ai pris après avoir perdu mes parents et bizarrement je l’ai fait en me disant “si tu ne prends pas les antidépresseurs pour toi, fait le pour les autres”. Un peu de la même manière que mon père qui ne voulait pas être aidé, il ne voulait pas d'auxiliaire de vie. De mon côté, c’est pareil, bien que j’ai accepté d’être aidé par une psychologue, je ne voulais pas prendre de médicaments. Mais quand j’ai perdu mes deux parents, je sentais que je commençais à me renfermer sur moi-même. J’avais besoin de retrouver de l’énergie. Aujourd’hui, avec le recul, je me dis que j’aurais dû en prendre avant. Ça ne m’aurait pas changé pour autant, au contraire ça m’aurait aidé.
Vous avez écrit dans votre livre que “si la France l’autorisait, votre mère n’aurait jamais voulu mourir de cette façon”. Quel est votre regard sur la fin de vie ?
Je pense qu’elle n’aurait jamais voulu se voir dans cette situation dans laquelle elle était à la fin. Il y a différentes solutions qui sont déjà en place, comme les soins palliatifs, qui je l’espère, seront mieux développés sur tout le territoire. J’ai conscience que le sujet sur la fin de vie est très complexe mais j’espère que la loi prendra en compte les différentes situations possibles. Par exemple, qu’est-ce qu’il sera prévu pour les patients qui, comme ma mère atteinte d’une maladie apparentée à Alzheimer, ne sont plus en mesure d’exprimer leur volonté ? Il me semble important de respecter le choix de la personne.
Depuis votre expérience d’aidant, abordez-vous davantage la question des directives anticipées lors de vos consultations ?
Pas toujours. Ce dont je vais davantage parler, ce sont les protections juridiques, parce que ça on n'y pense pas assez. Tout ce qui est tutelle, curatelle, habilitation familiale, il m’arrive d’en parler parfois avec les aidants. Lorsque l’aidant décède avant l’aidé, la situation qui est déjà difficile peut encore plus se compliquer. Mon père, par exemple, a été hospitalisé en réanimation. A ce moment-là, on s’est demandé avec mon frère si ce n’était pas mon père qui partirait le premier, ce que je n’avais pas anticipé. Si cela s’était passé, il y aurait eu vrai problème notamment pour la gestion de la maison car ma mère n’aurait pas été en mesure de prendre la moindre décision administrative. Ces mesures de protection prennent du temps à se mettre en place entre l’évaluation médicale, la constitution du dossier et la rencontre du juge… Il est donc important de les anticiper.
Vous dites que vous voulez maintenant aider les aidants. Selon vous, qu'est-ce que le Gouvernement devrait mettre en place pour améliorer leurs conditions de vie ?
Il y a plein de choses qui ont été annoncées par Aurore Berger [ministre des Solidarités et des Famille à l’époque] lors de la Journée nationale des aidants, le 6 octobre dernier. Elle a parlé du guichet unique, j’ai hâte de voir quand et comment il va être mis en place. Il doit permettre de faire toutes les démarches à un seul endroit. C’est essentiel parce que c'est un vrai parcours du combattant.
J’avais aussi parlé avec la ministre de la campagne de sensibilisation pour le repérage des aidants. De ce que j’ai compris, il pourrait y avoir une campagne de sensibilisation nationale pour essayer de sensibiliser les Français aux aidants. Je pense que ça doit aussi passer par nous, les professionnels de santé, dont les généralistes et les infirmières qui interviennent à domicile. Ça doit aussi passer par les entreprises, par les ressources humaines, parce qu’une fois qu’on sait qu’on est aidant, on comprend qu’on a une santé plus fragile. C’est important de le prendre en compte et puis ça permet de mieux les accompagner.
Il y a aussi un axe important concernant les auxiliaires de vie. Elles font un travail incroyable, mais elles ne sont pas reconnues, ni valorisées et sont sous-payées alors qu’elles font des horaires de dingue. Si on veut permettre un bon maintien des patients à domicile dans de bonnes conditions, il faut se réveiller. Et ça passe par une revalorisation de ces professionnels.
Les aidants représentent 11 milliards d’économies chaque année. Si on ne prend pas soin d’eux, si les aidants coulent, les personnes qui sont aidées ne pourront plus rester à domicile et seront orientées vers l’hôpital. Donc je trouve que les aidants font vraiment partie du système de santé tout en étant invisibles. Il faut les accompagner au maximum.
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