Typhoid Mary : quand une cuisinière sème la maladie et la mort à New York

27/12/2019 Par Aveline Marques
Histoire
C'est l'une des patientes les plus célèbres d'Amérique. Mary Mallon, cuisinière d'origine irlandaise, a travaillé dans de nombreuses familles de la bourgeoisie new-yorkaise au début du XXe siècle, répandant la maladie partout où elle passe. En 1906, un épidémiologiste mène l'enquête, partant sur les traces de celle qui sera identifiée, à son corps défendant, comme la première porteuse saine de fièvre typhoïde du pays.
 

« Typhoid Mary » : ce surnom est devenu outre-Atlantique une expression, qualifiant une personne répandant involontairement la maladie et le malheur. Durant des années, au début du XXème siècle, Mary Mallon, de son vrai nom, a fait la une des journaux américains. Elle est probablement la porteuse saine de typhoïde « la plus célèbre au monde », d'après son découvreur, le médecin George A. Soper. Tout commence en août 1906, à Oyster Bay, lieu de villégiature près de New York. Un riche banquier de la ville loue une maison de vacances avec sa femme et ses trois filles, quand l’une d’entre elles tombe soudainement malade, rapidement suivie d’une servante. En quinze jours, six des onze occupants de la maison sont cloués au lit par la fièvre typhoïde, sans qu’aucune cause apparente de l’épidémie n’ait été trouvée : aucun cas ne semble relié à un autre. Craignant pour son affaire, la propriétaire des lieux fait appel à un ingénieur sanitaire, le Dr George A. Soper, qui a acquis une certaine renommée en tant que « combattant d’épidémie » pour le compte de la ville et de l’Etat de New York : cette année-là, pas moins de 3467 cas de typhoïde ont été déclarés sur le territoire, conduisant au décès de 639 personnes.   Crème glacée à la pêche La piste de l’eau ou du lait contaminés ayant été rapidement écartée, le Dr Soper porte ses soupçons sur les fruits de mer vendus par une vieille Indienne du coin : mais comment expliquer, alors, qu’aucun habitant des environs n’ait été contaminé ? Après avoir minutieusement inspecté la maison et son environnement, le médecin envisage l’hypothèse d’un visiteur convalescent, encore contagieux, qui aurait apporté la maladie. Mais aucun autre cas à Oyster Bay n’a été recensé récemment. C’est alors que George Soper entend parler d’une cuisinière d'origine irlandaise...

 employée durant trois semaines dans la maison : une certaine Mary Mallon, 40 ans, embauchée via une agence spécialisée. Un plat, en particulier, attire son attention : une crème glacée aux pêches. La cuisinière, via ses mains souillées, aurait pu ainsi contaminer les occupants de la maison, les bactéries n'étant pas éliminées par la cuisson. Se rapprochant de l'agence, le médecin retrouve la trace des précédents employeurs de l’Irlandaise et découvre que sept des huit familles où elle a officié depuis 1900 ont été frappées par la fièvre typhoïde peu de temps après son arrivée. Dans l’une d’entre elles, Mary Mallon s’est même distinguée en prodiguant ses bons soins aux sept malades, empochant 50 dollars de prime à la fin du contrat. La cuisinière, une femme robuste respirant la santé, n’a jamais été suspectée.   Première confrontation Soper finit par la retrouver en 1907 dans une belle demeure située sur Park avenue. Un foyer qui vient tout juste d’être frappé par le malheur : une jeune fille vient d’être emportée par la typhoïde, tandis qu’une lingère a été hospitalisée. Mais la confrontation tant attendue entre l’enquêteur et sa suspecte tourne au vinaigre. "Je dois avouer que j'ai bien mal commencé", relate le médecin devant la Section d'histoire et de culture de la médecine, en 1939. "Mary n'a apparemment pas compris que je cherchais à l'aider." L'épidémiologiste a fait l'erreur de questionner de but en blanc la cuisinière, lui réclamant des échantillons de selles, d'urine et de sang. Sûr d'avoir trouvé la première porteuse saine des Etats-Unis, le praticien veut comprendre les mécanismes de transmission de la maladie, suspectant une mauvaise hygiène des mains. Choquée d'être ainsi mise en cause, la cuisinière le renvoie séance tenante. Quelques jours plus tard, le médecin fait le pied de grue devant sa chambre : nouveau refus. "Elle a nié savoir quoique ce soit concernant la typhoïde. Elle ne l'a jamais eue (…) Elle a toujours été en parfaite santé et ne permet pas qu'on l'accuse", rapporte Soper. Alors que le contrat de Mary Mallon s'achève, l'épidémiologiste décide d'en référer aux autorités sanitaires : il recommande à l'officier médical du département de santé de la ville de New York de placer la cuisinière en quarantaine, la qualifiant d'"incubateur vivant" de fièvre typhoïde. Une inspectrice sanitaire, le Dr S. Josephine Baker, est à son tour dépêchée sur place pour tenter une approche diplomatique : qu'elle soit une femme ne change rien, Mary Mallon lui "claque la porte au nez".   En quarantaine Le département de santé est contraint d'user de la manière forte. Le lendemain matin, une ambulance est envoyée au domicile de l'Irlandaise : accompagnée de trois policiers, le Dr Baker s'en va quérir la patiente, contre sa volonté s'il le faut. Mary Mallon ne veut rien entendre : elle refuse obstinément de fournir les prélèvements demandés. Après s'être enfuie...

débattue et avoir maudit ses assaillants, la cuisinière est finalement conduite à l'hôpital. Le verdict tombe : l'échantillon de selles est positif. Tout comme l'immense majorité des échantillons prélevés durant les 8 mois qui suivent, trois fois par semaine. Considérée comme dangereuse, la cuisinière est enfermée dans sa chambre d'hôpital. Lui rendant visite, le Dr Soper tente une nouvelle fois une approche, soulignant qu'elle ne doit sa captivité qu'à son obstination. "Personne ne pense que vous avez propagé volontairement la typhoïde", lui assure-t-il, lui expliquant qu'il suffirait de s'astreindre à se laver les mains après être allée aux toilettes… ou de lui ôter la vésicule biliaire afin de couper court à l'infection, une bonne fois pour toute. Nouveau refus. La patiente est finalement transférée au Riverside hôpital, sur l'île North Brother (près de Rickers Island), où elle occupe un bungalow réservé à l'infirmière en chef. Mary Mallon y reste deux ans, avant d'intenter un procès à la Ville : elle a été emprisonnée sans avoir pu bénéficier d'un procès, ni avoir été reconnue coupable d'un quelconque crime ; elle continue de clamer sa bonne santé. La presse s'empare de l'affaire, lui attribuant ce fameux surnom de "Typhoid Mary". Elle perd son procès, mais est finalement relâchée après trois ans de quarantaine, non sans avoir promis d'abandonner la cuisine et de se laver correctement les mains.   Evasion Mais Mary Mallon disparaît… Elle change de nom et retourne aux fourneaux. Durant cinq ans, elle continue de propager la maladie dans tout New York, passant de restaurants en hôtels. Elle finit par être localisée au Sloane Hospital pour femmes : 20 cas de fièvres typhoïde sont recensés quand le Dr Soper est appelé sur place. Mary Mallon est immédiatement reconduite à l'hôpital. Elle y restera 23 ans. Au fil des années, la surveillance se relâche : l'Irlandaise est employée au laboratoire de l'hôpital et autorisée à se rendre en ville, de temps en temps. Résignée, Mary Mallon a fini par accepter son sort, mais sans jamais comprendre ce qu'on lui reprochait. En 1932, elle fait un AVC qui la laisse paralysée, et décède en 1938, à l'âge de 69 ans. George Soper attribuera 53 cas de typhoïde à la cuisinière, dont 3 décès. "De nombreux cas sont sans doute restés inconnus", relève-t-il.   Sources
- G. A. Soper, "The Curious career of Typhoid Mary", The Bulletin, Mai 1939
- "Mary Mallon", American Journal of Public Health, Janvier 1939
- Filio Marinelli, Gregory Tsoucalas, Marianna Karamanou and George Androutsos, "Mary Mallon (1839-1938) and the history of typhoid fever", Annals of Gastroenterology, 2013

Limiter la durée de remplacement peut-il favoriser l'installation des médecins ?

François Pl

François Pl

Non

Toute "tracasserie administrative" ajoutée ne fera que dissuader de s'installer dans les zones peu desservies (et moins rentables)... Lire plus

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