Dre Xavière Barreau. Crédit : Julien Benhamou/Opéra de Paris
"Être médecin à l’Opéra de Paris, c’est accepter une disponibilité quasi permanente"
Derrière les lourds rideaux de velours de l’Opéra Garnier, la Dre Xavière Barreau s’active en coulisses. Sa mission depuis 10 ans : assurer la prise en charge physique et mentale des danseurs du ballet pour leur permettre d’exceller dans leur art.
Dre Xavière Barreau. Crédit : Julien Benhamou/Opéra de Paris
Une table d’auscultation, des schémas explicatifs au mur, un bureau… A première vue, le cabinet de consultation de la Dre Xavière Barreau semble classique. A un détail près. Il est installé au cœur de l’Opéra Garnier, à Paris, avec une patientèle unique. 154 danseurs qui composent la compagnie y défilent quotidiennement, en plus des jeunes danseurs du Junior Ballet. Soit environ 200 personnes. "Être médecin au sein de l’Opéra, c’est accepter une disponibilité quasi permanente, explique Xavière Barreaux. Les danseurs ont mes coordonnées et n’hésitent pas à me solliciter en semaine comme le week-end. Mais travailler dans un lieu aussi exceptionnel et merveilleux que l’Opéra, c’est une vraie chance."
Pourtant, cette praticienne spécialisée dans la médecine du sport ne se destinait pas initialement à évoluer dans l’univers de la danse. Ni même à celui de la médecine. Tout commence à l’âge de 13 ans. Adepte du tennis, celle qui voulait être professeure de sport se blesse sérieusement à l’épaule. Opérée, elle est prise en charge dans un service hospitalier à Saint-Nazaire pour sa rééducation. "Durant six mois, trois fois par semaine, je côtoyais des patients lourdement traumatisés notamment à cause d’accidents de la route, confie la jeune femme. Ce séjour a changé ma vie. Je me suis rendu compte à la fin que je voulais devenir médecin pour m’occuper des autres."
"Tout était à mettre en place, notamment la prévention, qui n'existait absolument pas"
Le bac en poche, elle s’inscrit à l’université de médecine de Nantes. S’ensuit un cursus classique de médecine générale, puis une spécialisation en médecine du sport où elle débute sa carrière dans un service de traumatologie à Paris. L’internat lui ouvre les portes de l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep), où elle commence à suivre les équipes de France jeunes de taekwondo. "C’était une expérience très formatrice où j’ai pu suivre les équipes dans le monde entier", indique-t-elle.
Mais c’est en 2015 que tout bascule. Benjamin Millepied, nommé directeur de l’Opéra de Paris, s’étonne de l’absence de suivi médical des danseurs. "Il n’y avait qu’un kinésithérapeute et un ostéopathe pour l’ensemble de la compagnie, observe la praticienne. Les danseurs avaient chacun leur médecin à l’extérieur de l’Opéra." Une situation qui ne peut plus durer. Le directeur la contacte et lui propose de venir travailler au sein de la compagnie. Défi accepté pour la Dre Barreau. Elle commence par quelques vacations hebdomadaires mais constatant les besoins importants, augmente rapidement la fréquence de ses visites. En 2020, la soignante installe définitivement ses quartiers à l’Opéra. "Il y avait un tel nombre de pathologies, d'atteintes articulaires, d'arthroses… décrit-elle. Tout était à mettre en place, notamment la prévention, qui n'existait absolument pas."
Devant l’ampleur de la tâche, la jeune femme décide de s’entourer et crée un pôle santé, qui regroupe plusieurs professionnels. Kinésithérapeutes, ostéopathes mais également psychologues, gynécologues, podologue et pédicure. L’objectif de la nouvelle équipe pluridisciplinaire est double : renforcer le travail de prévention et la prise en charge globale des danseurs. "Dès mon arrivée, je me suis dit qu’il fallait absolument que les danseurs soient pris en charge comme des sportifs de haut niveau, explique Xavière Barreau. Autant sur le plan médical, traumatologique que psychologique, avec une prévention adaptée pour éviter les blessures. Notre rôle consiste à optimiser leurs capacités physiques, psychologiques et mentales pour leur permettre de s’exprimer le mieux possible sur le plan artistique."
Le rythme des danseurs est en effet très intense. S’ils se considèrent d’abord comme des artistes, la médecin leur répète quotidiennement qu’ils sont également des athlètes. Ces derniers dansent habituellement entre 35 et 40 heures par semaine mais la fréquence des répétitions double avant les spectacles et peut atteindre jusqu’à 70 heures d’activité hebdomadaire. "Le public ne mesure pas l’ampleur de leur travail, observe la jeune femme. L’objectif final du danseur est que tout paraisse simple, alors que la charge physique et mentale est considérable. D’où l’importance de travailler l’endurance musculaire et cardiovasculaire, afin de limiter la fatigue musculaire ou l’essoufflement, en particulier en fin de spectacle, où les risques de blessure augmentent."
Un emploi du temps millimétré
La journée de Xavière Barreaux, seule médecin aux commandes, est millimétrée. La matinée est dédiée aux consultations, qui peuvent parfois s’étirer. "Travailler avec des danseurs est très différent de travailler avec des patients en médecine générale, précise-t-elle. Le danseur connaît parfaitement son corps, c’est son outil de travail. Il va formuler précisément ce qu’il ressent, parfois même émettre des hypothèses sur ses symptômes voire remettre en question le diagnostic. Contrairement à d’autres sportifs de haut niveau qui suivent sans discuter les décisions médicales, les danseurs analysent et cherchent à comprendre chaque détail. Cela crée un dialogue permanent, parfois surprenant, mais très stimulant intellectuellement."
S’ensuivent ensuite les échanges de transmission avec les différents professionnels. "Nous faisons ensemble un point sur les danseurs suivis, explique-t-elle. Nous partageons les bilans, les orientations, et parfois j’accompagne les danseurs en répétition pour expliquer les consignes en direct avec la maîtresse de ballet." L’après-midi est consacrée à la prise en charge des danseurs blessés et au suivi des différents traitements. "Je réserve aussi ce créneau pour les réunions avec les équipes du ballet, indique la praticienne mais également pour m’occuper du management des équipes et de la gestion du matériel." Parmi les équipements dont disposent les kinés, certains sont à la pointe comme des appareils de cryothérapie ou mésothérapie, chargés de réduire la douleur par le froid ou des mini injections.
Parallèlement au suivi quotidien des danseurs, Xavière Barreaux met en place une batterie de tests obligatoires pour la dizaine de nouveaux arrivants annuels dans la compagnie de l’Opéra de Paris. Épreuve d’effort, échographie cardiaque, consultation de nutrition, gynécologie ou tests physiques avec les kinésithérapeutes... "Ces évaluations servent à faire un bilan général et à identifier un déséquilibre musculaire potentiel, indique-t-elle. Elles servent à proposer un renforcement spécifique adapté… Que ce soit sur les chevilles, les pieds, les mollets ou le bassin." Une prise en charge à 360 degrés saluée par ses collègues. "C’est très agréable de travailler avec elle, souligne Nicolas Brunet, kinésithérapeute, qui exerce à ses côtés depuis 10 ans. Elle est très à l’écoute de nos remarques et n’hésite pas à remettre en question son diagnostic. On collabore très facilement ensemble et c’est très enrichissant."
"Quand les danseurs sont sur scène, je ressens une immense fierté à les voir danser"
Aujourd’hui mère de deux jeunes enfants, la praticienne a légèrement ralenti le rythme, s’appuyant sur son équipe pour gérer la charge colossale de travail. "Les premières années à l’Opéra ont été plus compliquées, concède la jeune femme. Je rentrais souvent avec beaucoup de choses en tête. Mais aujourd’hui, je réalise que mes enfants m’aident à couper avec le travail. Sans eux, je serais restée plongée dans l’Opéra du matin au soir, chaque jour de la semaine." Avec ce nouveau rythme, les projets de la médecin et de son équipe sont toujours nombreux. Le prochain en vue ? La prise en charge globale de la santé mentale au sein de la compagnie. Un second psychologue vient d’être recruté pour rejoindre le pôle santé. "Cette évolution est cruciale, car au-delà du soin, il s’agit désormais de développer une vraie culture de préparation mentale, encore peu ancrée dans le monde de la danse", explique-t-elle.
Une prise en charge globale qui commence déjà à porter ses fruits. Entre 2015 et 2019, le nombre de blessures a diminué de 40%. Le nombre de jours d’absence liés aux accidents du travail a, lui, diminué de 53%. "Je vois aussi les effets de ce que nous avons mis en place depuis 2015, affirme Xavière Barreau. Les générations précédentes terminaient parfois leur carrière avec des souffrances physiques, mais aussi psychologiques. La jeune génération va mieux à tous les niveaux et cela me fait très plaisir. Quand les danseurs sont sur scène, je ressens une immense fierté à les voir danser, poursuit-elle, émue. Je me souviens de leurs pathologies, des soins, de leur progression…. C’est une émotion particulière de voir cette résilience s’incarner dans la grâce d’un mouvement…"
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