"Il manque l'enveloppe" : l'envers du décor des négos dévoilé par les syndicats de médecins

19/12/2022 Par S. B.
Syndicalisme
Lors d'une séance multilatérale de négociations conventionnelles, ce jeudi 15 décembre, entre syndicats et Assurance maladie, de nombreux sujets ont été évoqués, comme la hausse du forfait médecin traitant en zone sous-dense, la suppression des verrous à l'embauche des assistants médicaux ou encore la mise en place de trois niveaux de consultation. Si Thomas Fatôme, directeur général de la Cnam, a salué "une ambiance et une qualité d'échange excellentes", quel a été le ressenti des syndicats ? Qu'ont-ils pensé des propositions ? Egora leur a posé la question.

 

"Ça avait mal commencé. Nous avions exigé des prérequis lors de la précédente réunion multilatérale, nous n'avons rien eu", raconte le Dre Corinne Le Sauder, présidente de le FMF. En effet, le 9 novembre dernier, la première réunion de négociations sur la future convention avait tourné court. Les syndicats avaient exigé pour reprendre les discussions de recevoir un texte sur l'indexation des pensions de retraite ASV et obtenir des garanties sur l'accès au secteur 2 pour les jeunes spécialistes. 

Une lettre de François Braun adressée au syndicat Avenir Spé/Le Bloc a toutefois permis la poursuite des discussions, lors cette deuxième séance multilatérale, jeudi 15 décembre. "Nous avons reçu cette lettre 24 heures avant la séance pour nous dire que les sujets étaient en cours d'instruction", explique le Dr Patrick Gasser, président d'Avenir Spé. Les Drs Gasser et Philippe Cuq [Le Bloc, NDLR] ont néanmoins maintenu leur décision de ne pas se rendre à la rencontre, préférant envoyer quelqu'un.  

Face à cette absence de prérequis, le SML, la FMF et l'UFML ont également demandé une suspension de séance pour décider ensemble d'une éventuelle poursuite des discussions. "Si nous n'avons pas de réponses plus précises sur les éléments demandés, nous ne participerons pas aux prochaines réunions bilatérales", a tranché le Dr Jérôme Marty, président de l'UFML.  

Si Thomas Fatôme, directeur général de la Cnam, a salué "une ambiance et une qualité d'échange excellentes", le point de vue des syndicats semble donc un peu différent, à l'exception de la Dre Agnès Giannotti, présidente de MG France. La séance s'est déroulée dans une "ambiance constructive", "on s’est aperçus qu’on était assez d’accord sur les fondamentaux", a estimé la généraliste. "La dernière fois, on est tous partis, c'est sûr que là que c'était mieux", s'est amusée la Dre Le Sauder. "Nous nous sommes parlé cordialement, mais sans jamais évoquer l'investissement de la Caisse", a résumé la Dre Sophie Bauer, nouvelle présidente du SML. "On a eu une séance pour rien. Nous n'avons fait que parler de la couleur de l'emballage du papier cadeau", s'est emporté Jérôme Marty. "L'essentiel reste à faire", a jugé le Dr Luc Duquesnel, président des Généralistes-CSMF. 

Sur les points clés avancés par l'Assurance maladie, quel a été le ressenti des syndicats ? 

 

Trois niveaux de consult'

"Nous allons essayer de construire une nouvelle nomenclature sur trois niveaux", avait expliqué Thomas Fatôme, avec la volonté d'une simplification maximum. La Cnam souhaite donc réduire le nombre de codes en intégrant certaines majorations et en regroupant et harmonisant les consultations d’un même "niveau tarifaire" sous une seule lettre-clé. Le contenu des différents niveaux de consultation et périmètres des actes devra être défini lors des prochaines séances de négociations. 

"Ces trois niveaux de consultations, c'était notre demande", a commenté la Dre Sophie Bauer. Même son de cloche du côté de la CSMF ou d'Avenir Spé qui se disent également être à l'origine de cette proposition. Mais lorsque l'on rentre dans les détails, un élément majeur fait figure de grand absent dans ce débat. L'enveloppe. "Nous sommes restés sur la forme. Qu'est-ce qu'il y aura dans ces consultations, quels seront les tarifs, combien de consultations de niveau 2 ou 3 pourrons-nous faire par an ? Nous ne savons rien", s'est emporté le Dr Marty. "On ne sait rien de ce qu'il y aura sur la table, on a demandé que nos revenus soient indexés sur l'inflation", a ajouté la Dre Le Sauder.  

"Nous allons faire une proposition pour bien border ces trois niveaux de consultations et ne pas avoir de surprise. Certaines choses ont été dites en bilatérales, je sais ce que souhaite l'Assurance maladie", a glissé le Dr Gasser.  

 

Ne pas revaloriser les actes de télémédecine 

Si aucune décision n'a encore été prise à ce stade des négociations, les représentants des médecins libéraux et l'Assurance maladie se seraient accordés sur le fait de ne pas revaloriser les actes de télémédecine, a indiqué Thomas Fatôme.  

"C'était une de nos demandes lors des négociations bilatérales", a confié le Dr Luc Duquesnel. "Nous avons demandé la non-augmentation des tarifs liés à la téléconsultation", a abondé la Dre Agnès Giannotti, "ça ne représente que...

3 à 4% des consultation du médecin traitant" a ajouté la praticienne.   

"Ça ne me bouscule pas dans l'absolu. On ne sait pas ce qu'on met dans les actes de télémédecine. On demande des référentiels. Les plateformes, ça n'est pas de la médecine", a commenté le Dr Gasser.  

Si le SML est également d'accord pour éliminer les plateformes, la Dre Bauer n'est pas d'accord pour cette absence de revalorisation. "C'est du temps et de la responsabilité médicale", a-t-elle plaidé.  

 

Engagement territorial des médecins 

Sur la question des déserts médicaux, "la participation des médecins à un engagement territorial pour répondre aux besoins de la population" a reçu "l'adhésion des syndicats", s'est félicité Thomas Fatôme. "Au-delà de leur patientèle, les médecins doivent pouvoir s’organiser pour apporter des solutions adaptées pour répondre aux enjeux populationnels et de santé publique spécifiques à leurs territoires", écrit l'Assurance maladie dans son document de travail. 

"Cette responsabilité territoriale, on la porte depuis toujours. On a été les premiers à le dire. Thomas Fatôme a repris mot pour mot notre cahier des charges", s'est félicité le Dr Gasser. "Nous sommes d'accord pour dire que nous avons des devoirs, mais aussi des droits, a souligné le Dr Duquesnel. Mais pour l'instant l'Assurance maladie ne respecte pas nos droits." 

"Cet engagement territorial ne veut rien dire. Je suis responsable de mes patients et pas d'un territoire. C'est le maire qui est responsable du territoire, le médecin n'est pas un élu. Il faut avoir du toupet pour demander aux médecins un catalogue de devoirs alors qu'ils tiennent le système à bout de bras. On n'est pas obligés de travailler 55 heures par semaine. Ce n'est pas la Cnam qui se lève la nuit. On ne leur doit rien", s'est emporté le Dr Jérôme Marty. "On fait déjà le max avec nos patients. Il n'y a que 24 heures dans une journée, on ne va pas pouvoir tout faire", a abondé la Dre Le Sauder. 

 

Augmentation du forfait médecin traitant 

L'Assurance maladie propose d'augmenter de manière pérenne le forfait médecin traitant pour tous les médecins qui s'installent ou qui exercent en zone sous-dense. "Cela représente plusieurs milliers d'euros de plus par an", qui s'ajouteraient aux 16 000 euros en moyenne par an versés au titre du forfait médecin traitant, calcule le directeur général de la Cnam. Pour motiver les jeunes à s'installer, l'Assurance maladie propose également d'augmenter le forfait médecin traitant à 30% pour les jeunes médecins qui s'installeraient moins de trois ans après leurs études. Ce coup de pouce serait limité aux trois premières années d'installation.   

"Ça représente un tiers du territoire", a commenté la Dre Agnès Giannotti qui a semblé satisfaite de cette proposition. "Ce n'est pas encore gravé dans le marbre", a toutefois tempéré la généraliste, qui "demande des valorisations plus importantes que ça".  

"Toute revalorisation est bonne à prendre mais ce n'est pas ce que nous attendons, le forfait c'est une carotte avec un boulet au pied", a commenté le Dr Jérôme Marty.  

"Il faut qu'on analyse et qu'on calcule", a estimé la Dre Le Sauder. "Nous savons que beaucoup de médecins sont attachés à ce forfait, nous allons en discuter", a ajouté la Dre Bauer. 

 

Supprimer les verrous à l'embauche des assistants médicaux 

"Il faut une simplification massive du dispositif", a estime Thomas Fatôme, qui souhaite "supprimer la plupart des verrous à l'embauche des assistants". L'aide à l'embauche devrait être pérenne, au-delà de trois ans. Le dispositif ne devrait plus être réservé à l'exercice coordonné.

"On est absolument pour l’assouplissement", a souligné la Dre Giannotti, qui a eu le "sentiment d'être entendue". "Nous n’avons utilisé que la moitié de l’enveloppe budgétaire à l’occasion de la convention de 2016", "nous essaierons de faire mieux" cette fois a espéré la généraliste.  

"Il y a des avancées, notamment le fait que les embauches soient possibles pour tout le monde ou que les aides soient pérennes, mais on aurait préféré pouvoir embaucher sans aides", a commenté la Dre Le Sauder. "Nous demandons simplement une revalorisation suffisante pour pouvoir embaucher sans aide", s'est agacée la Dre Bauer.  

"Encore une fois, tout cela ce n'est que de la forme, si on ne définit pas la hauteur de l'aide, ça ne veut rien dire. Aucun chiffre n'a été abordé", a grincé le Dr Marty. 

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La consultation longue à 60 euros pour les patients de plus de 80 ans et/ou handicapés est-elle une bonne mesure ?

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