Obligation de déclarer un médecin traitant, contrôles… Comment le rapport Evin-Stefanini veut adapter l’AME

06/12/2023 Par L. C.

Alors que le Sénat a une fois de plus tenté de restreindre l’aide médicale d’Etat dans le cadre du projet de loi immigration, Claude Evin et Patrick Stefanini ont rendu leur rapport sur le sujet, ce lundi 4 décembre. S’ils jugent le dispositif sanitaire "utile" et "maîtrisé", l’ancien ministre de la Santé et le conseiller d’État proposent néanmoins quelques "resserrements" et adaptations.   C’est avec un peu plus d’un mois d’avance que l’ancien ministre de la Santé socialiste Claude Evin et l’ancien préfet et homme de droite Patrick Stefanini ont rendu leur rapport sur l’aide médicale d’Etat. Les conclusions de cette mission, commandée par Elisabeth Borne, devaient initialement être remises au Gouvernement le 15 janvier prochain. Mais l’exécutif a souhaité avancer la date, compte tenu de l’accélération de l’examen par l’Assemblée nationale du projet de loi immigration, indiquent les auteurs en préambule de leur rapport. Et pour cause, en première lecture, le 14 novembre, le Sénat a tenté de transformer l’AME en une aide médicale d’urgence (AMU), restreignant ainsi le champ d’action de ce dispositif créé en 1999. Si les députés l’ont depuis rétablie en commission, le dispositif fait régulièrement débat au Parlement car il est accusé de créer un "appel d’air" pour l’immigration clandestine et d’être trop coûteux. Ainsi, Claude Evin et Patrick Stefanini avaient pour tâche "d’objectiver autant que possible la situation, en particulier en mesurant l’effet des resserrements successivement introduits pour maîtriser la dynamique de l’AME et les efforts mis en œuvre dans la lutte contre la fraude". "Il était également attendu que nous proposions d’éventuelles pistes d’évolution pouvant porter tant sur le contenu du panier de soins couvert par l’AME que sur les délais de carence mis en œuvre pour la prise en charge des pathologies non urgentes", expliquent les auteurs. Pour mener à bien leur mission, les deux hommes ont procédé à l’audition de multiples acteurs (directions ministérielles, services de l’assurance maladie, postes diplomatiques d’Europe occidentale, associatifs…). Ils se sont en outre appuyés sur un précédent rapport de l’Igas et de l’IGF, datant de 2019, et disent être parvenus à établir des constats "apportant un éclairage complémentaire".  L’AME est un dispositif "encadré", "utile", mais il mérité "d’être adapté", estiment l’ex-ministre et le conseiller d’Etat. Il ressort de leur travail, des "hypothèses d’évolution" permettant "de poursuivre la sécurisation du dispositif, de renforcer la confiance dans le fonctionnement de l’aide médicale de l’Etat, dont l’utilité est confirmée, et d’améliorer l’efficience des soins délivrés aux bénéficiaires de l’AME".   De plus en plus de bénéficiaires L’aide médicale d’Etat permet aux étrangers en situation irrégulière - et à leurs enfants, conjoints ou concubins - de bénéficier d’une prise en charge gratuite de leurs soins médicaux* à condition qu’ils résident sur le sol français depuis plus de trois mois, et qu’ils disposent de moins de 809,90 euros par mois de ressources (pour une personne seule, depuis avril 2023). Il existe néanmoins certaines restrictions. A la fin juin 2023, le dispositif concernait 439 000 bénéficiaires sans-papiers, dont 107 967 mineurs. "De nombreux étrangers en situation irrégulière, très marginalisés, ne demandent pas l’AME faute d’en connaître l’existence. D’autres enfin n’y ont pas recours faute d’en ressentir le besoin ou par crainte des conséquences que pourraient avoir sur leur situation les démarches administratives nécessaires", soulignent les auteurs, précisant que le nombre de sans-papiers qui ne bénéficient pas de l’AME est "difficile à déterminer". Plusieurs études chiffrent à environ 50% le taux de potentiels bénéficiaires ne demandant par cette aide médicale d’Etat.

Claude Evin et Patrick Stefanini se sont penchés sur les chiffres des sept dernières années (31 décembre 2015 au 30 juin 2023) de la Cnam et de la direction générale des étrangers en France (DGEF). Sur la période, le nombre de bénéficiaires de l’AME a cru de près de 123 000 personnes (+39% en sept ans). Une croissance particulièrement marquée chez les mineurs et les personnes âgées de plus de 60 ans. Plus marquée aussi depuis 2019. Et cette croissance "s’accélère encore en 2023". "Comme ce nombre est directement la conséquence de l’augmentation du nombre d’étrangers en situation irrégulière, tout laisse à penser qu’elle va se poursuivre en 2024", prédisent Claude Evin et Patrick Stefanini.   Des dépenses de soins "très stables" Après avoir réalisé cet état des lieux, Claude Evin et Patrick Stefanini ont analysé la consommation de soins des bénéficiaires de l’AME. Il résulte que "l’augmentation des dépenses d’AME, qui s’établit à 968 millions d’euros en 2022, est largement corrélée à celle de l’évolution du nombre de bénéficiaires". En outre, "la consommation trimestrielle moyenne par bénéficiaire est restée stable au cours des 15 dernières années, en dépit de l’augmentation du coût des soins sur la période" : 642 euros en 2009 contre 604 euros en 2022. La consommation moyenne par consommant est, elle, "passée de 785 euros en 2009 à 823 euros en 2022".   Renforcer encore les contrôles La mission s’est ensuite penchée sur le contrôle de la délivrance des droits par les services de l’Assurance maladie. 13% des demandes d’AME ont été refusées parce que les conditions d’obtention n’étaient pas réunies. Lors de contrôles a posteriori de dossiers, des "anomalies" ont été détectées mais "restent nationalement à un taux inférieur à 3%", notent Claude Evin et Patrick Stefanini. Les capacités de détection des fraudes et anomalies ont par ailleurs été renforcées après la publication du rapport Igas-IGF de 2019. Globalement, "le dispositif ne génère pas de consommations de soins faisant apparaître des atypismes, abus ou fraudes structurelles". Le rapport suggère néanmoins de développer les "analysées ciblées sur les plus gros consommants". Malgré "l’impact positif" des "resserrements successifs du dispositif", le rapport précise que "des progrès" sont encore réalisables en matière" de contrôle. L’enjeu de la confiance dans la bonne administration et le contrôle de l’AME est essentiel à son acceptabilité collective", estiment les auteurs, dans le contexte actuel. "Les points de fragilités restent les capacités réelles à contrôler des informations déclaratives ou des justificatifs aisément falsifiables" : l’identité, le domicile... Claude Evin et Patrick Stefanini suggèrent ainsi de réviser les outils mis à disposition des CPAM, en leur permettant d’accéder, par exemple, à l’AGDREF (application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France). Ils suggèrent en outre que "la présence physique du demandeur dans les locaux de la CPAM soit exigée pour toute demande AME" sauf cas "d’impossibilité manifeste" (hospitalisation par exemple). Autre importante évolution proposée : le rapport envisage de porter la durée de validité d’une admission à l’AME à deux ans afin de faciliter le renforcement des mesures de contrôle. "La non-prise en compte, dans la détermination des ressources financières, des revenus du conjoint, concubin ou partenaire de Pacs si ce dernier est Français ou en situation régulière pose question", avancent-ils, proposant de prendre en compte pour l’admission à l’AME les ressources de l’ensemble du foyer. Ils identifient également des risques d’abus et de fraudes "lorsque les soins nécessitent des suites plus ou moins longues". "Enfin, la situation des mineurs accompagnés de leurs parents (ou d’un parent) qui ne peuvent pas bénéficier de l’AME car ils sont en situation régulière ou ont des revenus au-dessus des plafonds est atypique", ces enfants devenant "immédiatement à leur arrivée en France éligibles à l’AME". Claude Evin et Patrick Stefanini proposent ainsi "l’émancipation des majeurs ayants-droits", réservant ce statut aux seuls enfants mineurs. Ils soumettent également la proposition d’exclure du bénéfice de l’AME les personnes frappées d’une mesure d’éloignement du territoire pour motif d’ordre public.   Un médecin traitant pour les patients AME Si l’AME est mise en œuvre dans des conditions globalement "satisfaisantes", les auteurs du rapport identifient néanmoins un "risque de discrimination" et de "non-recours au droit" par les bénéficiaires éligibles du fait, entre autres, de "la complexité des situations et la diversité des contraintes" (matérielles, sociales, culturelles…)". Ils identifient également "des parcours de droit chaotiques avec de nombreuses ruptures de situations" : situation régulière, situation d’attente, situation irrégulière. "Le séjour irrégulier n’est pas une période transitoire, d’une durée de quelques mois, mais bien une situation durable", avancent Claude Evin et Patrick Stefanini. "On peut aussi constater que l’AME contribue au maintien dans la clandestinité de longue durée." Parmi les propositions faites pour lutter contre ces phénomènes de rupture et améliorer l’inclusion : aligner le régime applicable aux demandeurs d’asile sur l’AME pour réduire les ruptures de statuts et de prises en charge ; et organiser à l’arrivée en France un bilan de santé pour les demandeurs d’asile et les primo bénéficiaires de l’AME. Le rapport suggère également de procéder à l’informatisation de la carte de bénéficiaire et d’inclure les bénéficiaires de l’AME "dans les dispositifs de l’Assurance maladie promouvant la prévention, facilitant l’organisation des parcours de soins coordonnés et renforçant leur efficience et leur pertinence". Notamment, l’extension de l’obligation de déclarer un médecin traitant aux bénéficiaires de l’AME, ainsi que l’ouverture d’un DMP.   Des craintes liées à l’AMU A la lumière de ces éléments, Claude Evin et Patrick Stefanini craignent qu’une transformation de l’AME en une AMU (avec un panier de soins restreint aux soins urgents, soins liés à la grossesse, aux vaccinations réglementaires), ne complexifie davantage le dispositif, tant du côté des services de l’Assurance maladie, que dans "l’articulation avec le dispositif des soins urgents et vitaux" – qui existe déjà, ou encore dans "l’interprétation de la notion de prophylaxie et de traitement des maladies graves". Cette situation renverrait par ailleurs "la décision de prise en charge aux praticiens". Ils alertent sur des "conséquences négatives sur la santé des personnes" et "sur la sollicitation des établissements hospitaliers fragilisés" – "une partie" des consultations en ville "basculerait sur l’hôpital". "Le dispositif de l’aide médicale urgente recèle in fine un risque important de renoncement aux soins. En raison de l’imposition d’un droit de timbre et des incertitudes mêmes liées à la reconnaissance du caractère grave d’une maladie. La prise en charge d’une maladie au titre de l’aide médicale urgente impliquerait en effet que le patient ait fait réaliser et pris en charge l’ensemble des soins, examens et analyses préalablement à ce que sa maladie puisse être reconnue comme grave." Le rapport souligne un risque de dégradation de la santé de ces sans-papiers du fait de prises en charge tardives, avec des conséquences également sur le plan budgétaire : "les hospitalisations sont beaucoup plus coûteuses que les soins prodigués en ambulatoire", indiquent Claude Evin et Patrick Stefanini : "La dépense moyenne d’un bénéficiaire de l’AME a été près de 7 fois supérieure au titre des séjours hospitaliers qu’au titre des honoraires médicaux en ville en 2022 (1.468 euros vs 212 euros), quand le nombre de consultations de ville pour les assurés sociaux était 4,3 fois plus important que les séjours hospitaliers." Quand bien même, "il n’est pas acquis que le remplacement de l’AME par l’AMU se traduirait par des économies pour les dépenses de l’Etat". S’ils jugent, contrairement à ses détracteurs, que l’AME n'apparaît pas comme "un facteur d'attractivité pour les candidats à l'immigration", les auteurs du rapport estiment qu’elle contribue "au maintien en situation de clandestinité d'étrangers dont elle est parfois le seul droit". Deux pistes n’ont pas fait consensus au sein de la mission, notamment le fait de "subordonner le renouvellement du bénéfice de l’AME à la présentation par l’étranger d’un refus de séjour", mais aussi le fait de "subordonner la poursuite de soins chroniques et lourds à la vérification que l’étranger en situation irrégulière ne peut bénéficier d’un traitement approprié dans son pays d’origine". *"Elle ouvre droit à l’accès à un panier de soins et de services et à une prise en charge à 100 % avec dispense d’avance de frais déclinés de ceux applicables aux assurés sociaux bénéficiaires de la C2S".  

Des mesures appliquées dès les prochaines semaines ?
Lors de la séance des questions au Gouvernement à l'Assemblée nationale, ce mercredi, le ministre de la Santé, Aurélien Rousseau, a promis de mettre en oeuvre rapidement certaines mesures du rapport Evin-Stefanini. "Il pointe des évolutions possibles, certaines de niveau réglementaire, certaines de niveau législatif, et nous aurons les débats, et celles qui sont convergentes et de niveau réglementaire, nous les mettrons en oeuvre dans les prochaines semaines", a-t-il déclaré. Le locataire de l'avenue de Ségur, qui s'était montré défavorable à une suppression de l'AME, juge que le rapport vient "remettre de la clarté, de la lisibilité" dans le débat, "plus utile que les postures, les vindictes, la facilité ou quelquefois, un zeste de démagogie sur ce sujet". Surtout, ce document montre "que l'AME ne crée pas de tourisme médical" ni "d'appel d'air" migratoire, a souligné le ministre.
L.C. avec AFP
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6f2eb2f8-138d-462b-857e-a08e32b2787d
il y a 5 mois
Je vais m’arrêter sur une seule chose on nous bassine avec les patients qui ne trouvent pas de médecin traitant mais pour les AME ils ont auront l’obligation d’en déclarer un. Je sors donc ma boule de...Lire plus
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Débatteur Passionné
Chirurgie générale
il y a 5 mois
CLAUDE EVIN:triste souvenir micro-diplôme,mais carte du PS tout s'explique pays du tiers monde!...Lire plus

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