Bientôt le cannabis sur ordonnance ? Un pas majeur vient d'être franchi en ce sens par le groupe de travail de l'ANSM, qui planche sur cette question depuis bientôt un an. Il propose un cadre d'expérimentation précis pour dispenser des traitements à base de cannabis hors AMM, sur deux ans. "L'objectif était de faire en sorte que le dispositif proposé soit compatible avec un accès pour les patients et une adhésion des professionnels de santé", précise le Pr Nicolas Authier (CHU Clermont-Ferrand), psychiatre pharmacologue et président du comité d’experts mandaté par l'agence. Les traitements à base de cannabis pourraient être délivrés dans les situations suivantes : douleurs neuropathiques réfractaires, épilepsies résistantes aux traitements, soins de support en oncologie, soins palliatifs et spasticité douloureuse dans la sclérose en plaques. Autant d'indications où le cannabis commence à faire ses preuves en matière d’efficacité, même si les données sont encore parcellaires. C’est sur la base de ces situations cliniques, établies en décembre dernier par le comité, qu’ont été dessinés les contours de la prescription. Les patients pourraient être de tout âge, la seule contre-indication ferme étant la grossesse. D'après les éléments communiqués, la "prescription initiale" serait réservée à des spécialistes hospitaliers travaillant dans les cadres suivants : structures de prise en charge de la douleur chronique, centres experts pour la sclérose en plaques et l'épilepsie, services d'oncologie médicale et de soins palliatifs, sans oublier les services de médecine physique et de réadaptation. Ces praticiens volontaires auraient pour responsabilité de sélectionner les patients et d’initier les traitements, qui seraient dispensés en pharmacie hospitalière. Des traitements "très personnalisés" Les préparations de cannabis devraient être disponibles en plusieurs formes, permettant une administration à effet immédiat (comprimés sublinguaux, fleurs séchées ou huile à vaporiser) ou effet prolongé (solution buvable, capsule d’huile). Le cannabis demeurant un stupéfiant au regard de la loi française, la prescription se ferait via une ordonnance sécurisée. Du point de vue de la composition, le paramètre clé serait… le rapport entre les quantités de tétrahydrocannabinol (THC, la principale substance psychoactive) et de cannabidiol (CBD) présents dans la spécialité. Les ratios THC/CBD proches de 1:1 semblent ainsi plus indiqués pour la spasticité musculaire, tandis que les préparations à haute teneur en CBD sont efficaces dans l'épilepsie, et les ratios intermédiaires dans les douleurs neuropathiques. "Ce sont des traitements symptomatiques et il faut prendre le temps de les instaurer, avec une titration très progressive, en commençant très bas, jusqu’à atteindre la dose minimale efficace avec le moins d'effets indésirables possibles", indique Nicolas Authier, qui évoque des "médecines qui risquent d’être très personnalisées". "C'est comme pour la morphine, on ne peut pas prédire quelle dose va marcher."
Cantonné à l'hôpital, le cannabis thérapeutique ? Au contraire : les experts du groupe de travail ont pris soin d'ouvrir l'expérimentation à la médecine de ville. "On a fait un choix en deux temps pour les prescriptions. On ne s’est pas limité aux prescriptions hospitalières, car on ne peut pas évaluer l’accès aux thérapeutiques si on oublie les médecins généralistes", affirme le psychiatre clermontois.
De fait, le dispositif prévoit une deuxième phase dans la prise en charge du patient, qui serait du ressort du médecin traitant. Charge à celui-ci de prendre le relai avec le spécialiste hospitalier, "de façon un peu formalisée", une fois le patient stabilisé. À ce stade, la dispensation pourrait avoir lieu en officine. Un registre pour les rassembler tous Élément central de l’expérimentation : un registre national serait mis en place par l’ANSM, et toute prescription devrait obligatoirement y être reportée. "On propose une sorte d’essai clinique en vie réelle, via le remplissage d’un registre par les médecins – pas trop compliqué, suffisamment allégé, pour que les médecines y adhèrent", explique Nicolas Authier. "Les médecins pourraient d'ailleurs y consulter les données de chacun de leurs patients." Les données du registre ont vocation à démontrer l’efficacité et l’innocuité du cannabis médical. "Il y a beaucoup de doutes : on le sait, on les entend, et ils sont légitimes", admet Nicolas Authier, qui espère les lever "avec de l'information et de la formation". L’enjeu n’est pas mince. "C’est un point crucial qui est revenu à plusieurs reprises au cours des auditions : sans formation et sans adhésion des médecins, il n’y aura pas de cannabis thérapeutique en France." "On a travaillé avec le collège de médecine générale, qui nous paraît attentif mais demande des éléments concrets d’encadrement et de réassurance", poursuit-il. L'accent sera donc mis sur la formation : sans doute à distance (e-learning), et validant le DPC si possible. "Il faut que le médecin puisse comprendre comment moduler les traitements, les arrêter, etc. Ce n'est pas un exécutant qui renouvelle les ordonnances." Quelques "centaines à milliers" de patients seraient concernés par l'expérimentation, calibrée sur deux ans : 6 mois de mise en place, 6 mois d'inclusion des sujets, 6 mois de suivi puis 6 mois d'analyse des données, avant la remise d'un rapport définitif sur l'efficacité et l'innocuité du cannabis thérapeutique. Il faudrait également travailler, en parallèle, sur une filière de production française, par exemple en Creuse. À quand la ruée vers l’or vert ? Quant aux préconisations définitives du comité, elles seront remises le 26 juin. Elles devront encore être adoptées par la direction de l'ANSM, puis ce sera au ministère de la Santé de prendre la main. Contrairement à la légalisation du cannabis récréatif, qui a reçu une fin de non-recevoir de la part du gouvernement, les astres semblent plutôt alignés en ce qui concerne l’usage thérapeutique. D’après un sondage Ifop-Terra Nova de 2018, huit Français sur dix se déclarent favorables au cannabis thérapeutique. De plus en plus de voix se font entendre chez les élus, notamment dans la portion du spectre politique allant de la gauche au centre. Le 19 juin dernier, en sortie du conseil des ministres, la porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye a admis l’existence de "réflexions" sur la question. Prudente, Agnès Buzyn a toujours déclaré pour sa part n’avoir "pas de doctrine arrêtée" sur la question. "Pour l’instant, c’est neutre. On n’a pas de prise de position très officielle, ni d’ailleurs officieuse, qui soit véritablement rassurante", indique Nicolas Authier, qui se dit néanmoins "optimiste". Dans l'hypothèse la plus favorable, l'expérimentation pourrait débuter à la rentrée 2019, ce qui permettrait une inclusion des premiers patients avant l'été 2020.
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